Inde : les vaches sacrées, vecteurs de la transition énergétique

  • AFP
  • parue le

Sacrées vaches. Vénérées en Inde comme l'incarnation des divinités hindoues et symbole de la mère nourricière, les voilà promues agentes de la transition énergétique par le gouvernement, déterminé à doper la production de biogaz.

Bouse de vache et résidus de la culture du riz pour produire du biogaz

C'est peu de dire que Nakul Kumar Sardana est fier de son usine flambant neuve de Barsana (nord). D'abord parce qu'elle occupe l'"un des sites les plus saints au monde", clame le vice-président de la filiale des groupes indien Adani et français TotalEnergies qui l'a construite.

À quatre heures de route au sud de New Delhi, au milieu des champs hérissés des cheminées des briqueteries artisanales, les pèlerins se pressent à Barsana pour honorer la déesse hindoue Radha. Mais surtout, s'enorgueillit M. Sardana, parce que son usine de méthanisation est "la plus grande et la plus avancée technologiquement du pays".

Son site n'a pas été retenu par hasard, mais au plus près de sa matière première. "On recense un million de vaches dans la région (...) leur bouse est utilisée (comme combustible) pour faire la cuisine depuis des siècles", rappelle Nakul Kumar Sardana. "On trouve aussi ici des résidus de la culture du riz. Traditionnellement, les paysans les brûlent, causant fumées et pollution", poursuit-il. "Avec ces déchets naturels, nous produisons du biogaz et des engrais de très haute qualité."

5 000 usines de biogaz en 6 ans et une nouvelle contrainte

Depuis mars, une noria de tracteurs gave l'usine de tombereaux de bouse et de paille dont émanent chaque jour 10 tonnes de gaz, transformé en carburant pour véhicules ou injecté dans le réseau urbain, et 92 tonnes d'engrais 100% "verts".

Assoiffée d'énergie pour nourrir sa croissance économique, l'Inde a fait le pari du biogaz, une énergie renouvelable, pour accélérer ses objectifs de neutralité carbone - promise pour 2070 - et d'indépendance énergétique.

Le programme lancé en 2018 est ambitieux : bâtir en six ans 5 000 usines de biogaz. Malgré de généreuses subventions et une garantie de rachat par l'État, le projet a suscité peu d'intérêt. 

Jusqu'à ce que le gouvernement impose, à partir d'avril 2025, la présence d'au moins 1% de biogaz dans les mélanges destinés aux carburants automobiles et aux usages domestiques.

La contrainte a convaincu les grands acteurs du secteur comme les multimilliardaires Mukesh Ambani et Gautam Adani, réputés proches du Premier ministre Narendra Modi et de ses juteux contrats publics. Le groupe du premier, Reliance Industries, veut construire 55 usines avant 2026.

Une contribution du biogaz qui sera encore trop limitée

"Cela va augmenter les revenus de nos paysans en faisant de ces producteurs de nourriture des producteurs d'énergie", a plaidé récemment Mukesh Ambani, et "créer 30 000 emplois".

Son rival Adani veut investir quelque 200 millions de dollars (186 millions d'euros) dans le secteur dans les trois à cinq ans à venir. "Le gouvernement veut convertir les déchets en richesse pour le pays, c'est une bonne nouvelle", s'enthousiasme Suresh Manglani, patron de Adani Total Gas Ltd. "Nous nous réjouissons des nombreuses opportunités à venir."

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) confirme ces perspectives alléchantes et fait de la Chine et l'Inde les fers de lance du marché mondial des bioénergies, considérées comme des solutions au réchauffement climatique. Celui de l'Inde devrait progresser de 88% d'ici 2030, prédit-elle dans un récent rapport.

Mais la contribution du biogaz à l'effort engagé par le pays le plus peuplé de la planète pour sa transition énergétique devrait rester anecdotique. Pour réduire sa dépendance au charbon - près de 70% de son électricité - le troisième pollueur de la planète veut faire passer la part du gaz de 6 à 15% de son "mix" énergétique d'ici 2030.

Mais l'essentiel proviendra d'importations pas très "vertes" de gaz naturel liquéfié (GNL). Adani et TotalEnergies viennent d'inaugurer à Dharma (est) un terminal portuaire géant pour les accueillir.

Des investissements lourds face au GNL importé

La combustion du gaz pour produire électricité ou chaleur rejette des émissions dans l'atmosphère et contribue au réchauffement de la planète, mais moins que le charbon et le pétrole.

TotalEnergies ne le cache pas, son intérêt pour le biogaz indien relève plus de la responsabilité environnementale et de la preuve d'amitié que de l'opportunité commerciale. "Le biogaz va au-delà des chiffres et des business plans", note Sangkaran Ratnam, le patron du groupe français en Inde, "il a un énorme impact sur les communautés rurales en termes d'emploi, d'environnement, de revenus alternatifs". "C'est sûrement un secteur intéressant", ajoute-t-il, "mais un petit secteur".

"Le biogaz est une niche sur l'ensemble du marché", confirme Tejpreet Chopra, patron de l'entreprise Bharat Light and Power, spécialisée dans les énergies renouvelables. "Le potentiel est énorme, l'impact sur l'environnement significatif (...) mais le secteur est freiné par des problèmes d'approvisionnement (en matière première)", décrit-il, "il est difficile de signer un contrat de vingt ans avec un paysan".

En outre, les investissements sont lourds : l'usine de Barsana a coûté 25 millions de dollars. Et le prix du biogaz reste peu compétitif : 14 dollars le m3 contre 6 pour le GNL, pourtant acheminé de très loin par bateau.

Mais Nakul Kumar Sardana reste persuadé de la pertinence du biogaz. "Nous ne gaspillons plus d'énergie", argumente-t-il, "nous créons des emplois et contribuons à un meilleur environnement".

Ajouter un commentaire

Suggestion de lecture