En Pennsylvanie, les déçus de la fracturation hydraulique restent fidèles à Donald Trump

  • AFP
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Bryan Latkanich s'est longtemps revendiqué comme un fan de la fracturation hydraulique, mais il lui reproche aujourd'hui d'avoir ruiné la santé et les finances de sa famille, sur son exploitation agricole du sud-ouest de la Pennsylvanie. Pour l'enseignante à la retraite Rose Friend, dont la famille habite la région depuis plusieurs générations, la fracturation hydraulique s'est traduite par des arbres centenaires coupés, et ce ballet incessant de camions remuant la poussière dans son coin de campagne.

Les deux, pourtant, voteront Donald Trump dans une semaine, bien que le président républicain se soit autoproclamé champion de cette technique d'extraction. Leurs histoires illustrent la complexité du débat autour du "fracking", qui a aidé les États-Unis à devenir le premier producteur mondial de pétrole, mais sans apporter l'âge d'or promis par ses promoteurs.

"J'étais au fond du trou quand ils sont venus me dire que je pouvais devenir millionnaire", raconte à l'AFP Bryan, 49 ans, à propos de la société Atlas America, rachetée par la suite par Chevron. Bryan venait de tomber aveugle d'un œil après une opération d'une tumeur au cerveau. Il était en train de divorcer, et venait de perdre son travail. Atlas lui a assuré que les réserves de gaz dans le sous-sol de sa propriété lui rapporteraient 13 millions de dollars. Une décennie plus tard, il a gagné 135 000 dollars. Atlas est partie.

Les premiers problèmes de santé ont commencé en 2013 : le corps de son fils Ryan, après un bain, s'est recouvert de brûlures. Le garçon a aujourd'hui 10 ans et souffre d'asthme, d'otites à répétition et d'incontinence. Bryan lui-même fait de l'asthme, et pense que ses problèmes cardiaques et neurologiques sont dus à la contamination de la nappe phréatique. Pourquoi soutient-il encore Donald Trump ? "Je défends le port des armes", répond-il.

À 83 ans, Rose Friend, elle, ne votera pas pour Joe Biden, le démocrate. "Je suis anti-avortement, c'est très important, je ne peux pas accepter qu'on tue les bébés".

Passe-droits

La fracturation hydraulique consiste à extraire du pétrole et des gaz emprisonnés dans le sous-sol en injectant des fluides à forte pression, pour fracturer les roches. L'industrie s'est beaucoup développée dans les années 2000 et 2010, faisant des États-Unis depuis 2014 le premier producteur pétrolier mondial.

Le coût environnemental et sanitaire est de mieux en mieux documenté : des secousses sismiques d'une part, et la pollution de l'air et de l'eau. Sans compter que les fuites de méthane dans l'atmosphère renforcent le réchauffement climatique.

Le comté de Washington compte plus de 1 600 puits de fracturation hydraulique. Lois Bower-Bjornson est revenue dans la région élever ses enfants au moment du boum. Il y eut d'abord l'odeur des grands réservoirs à l'air libre des fluides usagés, et dont plusieurs ont brûlé pendant des semaines. Puis la multiplication des torchères, qui brûlent les gaz rejetés par les puits. Quant à l'eau courante, elle a des teneurs en éléments radioactifs au-dessus des niveaux normaux, à cause du radium libéré par le processus de fracturation.

Lois, devenue militante écologiste, soutient Joe Biden à l'élection du 3 novembre. L'ancien vice-président de Barack Obama ne veut pas mettre fin à la fracturation hydraulique, mais a proposé d'interdire toute nouvelle exploitation sur des parcelles publiques. Elle-même préfère un renforcement des normes et des contrôles plutôt qu'une interdiction pure et simple qu'elle croit, comme beaucoup ici, infaisable politiquement.

Nombre d'habitants jugent l'industrie mal réglementée. La justice commence à s'en mêler. Le ministre de la Justice de Pennsylvanie a récemment déclaré que le secteur avait des "passe-droits". Les associations ont rempli le vide et surveillent autant qu'ils le peuvent les sites.

Avec une caméra ultra-sophistiquée infrarouge à 100 000 dollars, Leann Leiter, de l'association Earthworks, filmait récemment un puits à quelques centaines de mètres de la maison d'un ancien mineur, Dale Tiberier, à la recherche d'émission invisibles de gaz. La vérification est réussie : après des années de bataille judiciaire, le site n'émet plus rien de dangereux.

Comme le tabac

Depuis quelques années, à force de soutenir sans état d'âme le fracking, le parti républicain est devenu majoritaire dans le comté. "L'énergie dont a besoin l'Amérique se trouve sous nos pieds, cette énergie a soutenu l'essor de notre économie", dit Diana Irey Vaughan, élue locale.

Une éternelle bataille concerne le nombre exact d'emplois de la filière : un demi-million selon l'industrie qui inclut les emplois indirects, 26 000 selon des statistiques officielles.

Quoiqu'il en soit, la pandémie de Covid-19 a accéléré un retournement de tendance évident : le secteur n'est plus aussi prometteur qu'auparavant, explique la journaliste experte Bethany McLean. L'autre point de discorde est le lien entre la fracturation hydraulique et la hausse récente de 40% du nombre de cas d'un cancer extrêmement rare qui touche les enfants. L'industrie nie tout lien de causalité.

L'argument fait penser à celui utilisé pendant des décennies par l'industrie du tabac, dit Alison Steele, du Southwest Pennsylvania Environmental Health Project. "Il suffit de regarder les tendances en termes de santé, et la proximité des gens souffrant de ces problèmes de santé avec les puits, pour se rendre compte que les chiffres sont vraiment stupéfiants", dit-elle.

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