Éclairage public : le dilemme entre recherche de sobriété et sentiment d'insécurité

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Depuis que la mairie de Bordeaux a coupé partiellement l'éclairage nocturne pour faire des économies d'énergie il y a deux ans, rentrer chez soi la nuit est devenu synonyme "d'angoisse" pour certains habitants, comme le dénonce une pétition largement commentée depuis fin octobre.

Des grands axes rallumés à Bordeaux

Près de 3 000 personnes l'ont signée pour demander à rétablir l'éclairage urbain dans toutes les rues de la ville de 260 000 habitants. Une vingtaine d'autres communes comme Royan, Montpellier ou Douai ont vu essaimer des pétitions sur change.org, demandant de "rallumer les lumières" pour pallier le "sentiment d'insécurité accru" par l'obscurité.

À Bordeaux, 57% du parc lumineux est éteint entre 01h00 et 05h00 du matin (à l'exception de l'hyper-centre) depuis janvier 2023, dans le cadre d'un plan de sobriété énergétique adopté au plus fort de l'envolée des prix consécutive à l'invasion russe de l'Ukraine. La ville économise ainsi près d'un million d'euros chaque année.

Sous la pression de certains habitants, la majorité écologiste a finalement accepté de rallumer plusieurs grands axes. Un compromis insuffisant pour l'initiatrice de la pétition bordelaise, Amaëlle Fontaine, 33 ans.

Il n'y a "rien de rassurant à prendre un grand axe éclairé pour s'engouffrer ensuite dans sa petite ruelle résidentielle", c'est "tout simplement l'angoisse", martèle cette sommelière qui est amenée à rentrer tard le soir.

Éclairage à la demande

"Les économies que réalise la mairie, moi je ne les fais pas en prenant le taxi !", dénonce-t-elle, balayant l'argument sur l'absence de hausse de la délinquance dans les zones non-éclairées la nuit. "Il faut arrêter de dire que c'est un +sentiment+ ! C'est sûr que ça dissuade les gens de sortir. Plein de copines me disent +Flemme de sortir et encore plus si c'est pour rentrer dans le noir+."

Laurent Guillemin, chargé notamment de l'éclairage public à la mairie, rétorque que la décision a été mûrement réfléchie et appuyée d'études au préalable.

"Si le maire (Pierre Hurmic, ndlr) avait été inquiet pour la sécurité de ses habitants, jamais on n'aurait pris une telle décision. Sur 100 piétons qui circulent entre 01H00 et 05H00 du matin, 99 sont en centre-ville, en zone éclairée", assure-t-il.

L'opposition municipale Les Républicains, qui ne cesse d'attaquer la mairie sur la question de la sécurité à Bordeaux, a relayé sur X la pétition et souligne "les inquiétudes des Bordelais sur l'extinction de l'éclairage public".

"Lyon est revenu sur cette mesure en 2023, Orléans cette année (...) Eysines rallume à la demande", pointe l'ancien maire LR Nicolas Florian.

Cette commune de 25.000 habitants dans l'agglomération bordelaise a installé fin octobre un dispositif d'éclairage à la demande. C'est notamment l'arrivée du tramway en 2020, permettant de rejoindre le centre-ville de Bordeaux en moins de trente minutes, qui a remis en question l'extinction totale des lumières instaurée en 2016.

Pollution lumineuse

"Un certain nombre de jeunes ou de femmes se sentent peut-être un peu en insécurité quand elles rentrent tard le soir", concède à l'AFP Christine Bost, la maire d'Eysines. L'élue socialiste, également présidente de la métropole bordelaise, a investi 65 000 euros pour déployer la technologie française "J'allume ma rue".

En deux mois, plus de 2 000 utilisateurs ont allumé sur leur passage, via leur smartphone, les candélabres des rues d'Eysines. Ce dispositif a également permis d'avancer l'extinction à 23H30 contre 01H00 auparavant, tout en réalisant chaque année 20 000 euros d'économies d'énergie, selon la maire.

Le contrôle de l'éclairage urbain par les habitants a été installé dans plus de 300 communes de France. Il n'a en revanche pas convaincu Bordeaux qui mise, à terme, sur des lampadaires LED à détection de mouvement, dont le déploiement n'est pas attendu "de façon notable" avant huit ans.

Outre les économies réalisées, l'adjoint au maire Laurent Guillemin rappelle aussi les bienfaits de la lutte contre la pollution lumineuse sur les animaux. "Laisser de la place au vivant fait aussi partie de notre politique", a-t-il souligné. "Je préfère prendre soin de l'environnement et ne pas avoir de la lumière H24. C'est un effort entendable", tranche l'élu.

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