Ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (2003-2007)
Puisqu’il n’est pas souhaitable, ni même envisageable, qu’une autorité supranationale décide du mix énergétique de chaque pays, et puisque la chimère d’un monopole d’achat du gaz n’est plus défendue par personne, reste à définir le contenu de cette communauté.
Un lieu de solidarité : c’est une évidence ; la solidarité est ce qui fonde toute communauté humaine. Elle exige une volonté politique forte et des outils spécifiques. Le cas du pétrole étant convenablement traité par les mécanismes de l’AIE, le problème est celui des énergies de réseaux.
Il est impératif de disposer de suffisamment d’interconnexions transfrontalières pour que l’exercice de la solidarité soit effectivement possible. Le financement par les péages devrait suffire, à condition que les missions confiées aux régulateurs par les divers parlements ne se limitent pas à leur demander de faire fonctionner le système au moindre coût, mais aussi de prendre en compte les besoins liés à la sécurité et à la solidarité. Plus généralement, il est urgent de rapprocher les réglementations techniques pour que les fluides circulent. L’objectif à terme devrait être un régulateur européen unique.
Dans le cas du gaz, sécurité et solidarité peuvent être assurées dans chaque pays par différents moyens : diversité des approvisionnements, stockages souterrains ou GNL, interruptibilité effective de certains gros consommateurs. Chaque État membre pourrait définir son plan d’urgence permettant de faire face par exemple à la défaillance du principal fournisseur pendant trois mois d’hiver (c’est le cas en France), la Commission organisant des « Peer reviews » pour vérifier la réalité des dispositions annoncées.
Un lieu de responsabilité : il faut répondre à l’inquiétude allemande, pour qui la solidarité signifie que les autres font des bêtises et que l’Allemagne paie. Les outils communautaires ne doivent être utilisés qu’en dernier recours après épuisement des outils nationaux. C’est le sens de la proposition précédente sur la sécurité gazière. On pourra à l’occasion rappeler à l’Allemagne que les conséquences de sa décision nucléaire vont entraîner, une fois n’est pas coutume, l’exercice de la solidarité européenne à son profit.
Un lieu de cohérence : évitons que des décisions nationales prises sans tenir compte de la situation chez les voisins conduise à des impossibilités : quid si chacun envisage de boucler son bilan électrique grâce à l’importation ? La Communauté européenne de l’énergie pourrait susciter la création dans chaque État membre d’une procédure de planification indicative de l’équilibre emplois-ressources énergétiques (du type bilan à dix ans de RTE), la Commission organisant là encore une peer review pour vérifier la cohérence européenne.
Tout ceci suppose une refonte complète des mécanismes du Marché intérieur de l’électricité et du gaz : le marché intérieur a été progressivement bâti depuis vingt ans avec la conviction qu’il fallait confier plus au marché et moins aux politiques. Le résultat est que, tel quel, le marché ne permet pas de choisir un mix énergétique, de prendre convenablement en compte les investissements de sécurité, de développer des marchés de capacité pour faire face à l’explosion des renouvelables intermittentes ; il est incompatible avec la règle 3 × 20 édictée par la Commission, il entraîne la fermeture des turbines à gaz, chassées par les renouvelables dont elles sont pourtant l’auxiliaire indispensable.
Bref il ne permet de traiter aucun des problèmes essentiels auxquels les États membres font face ; donc ces derniers le contournent par des subventions, des tarifs de rachat, par l’octroi d’une priorité aux énergies renouvelables sur les réseaux, par une tarification du transport « à la tête du client » (les électro-intensifs en Allemagne). De plus l’Europe s’apprête à rester en marge de « l’âge d’or du gaz » que nous promet l’AIE, quel dommage ! Il est temps d’envisager une nouvelle approche.