©Pixabay
France Stratégie a publié ce 22 mai le rapport de l'économiste Jean-Pisani Ferry (avec Selma Mahfouz) sur les « incidences économiques de l'action pour le climat » (synthèse accessible en bas de cet article). Ce rapport abondamment commenté vise à « proposer une évaluation réaliste des implications économiques d’une action d’envergure, à la mesure du problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés, et qui permette d’atteindre la neutralité climatique en 2050 ».
Nous vous proposons de retrouver ci-après quelques infographies illustrant des constats et recommandations du rapport.
Quel effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaire d'ici à 2030 ?
La neutralité climatique est « atteignable », souligne le rapport mais « y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé » reposant sur 3 mécanismes économiques : la réorientation du progrès technique vers des technologies vertes, la sobriété (définie comme la réduction des consommations d’énergie qui ne découle pas de gains d’efficacité énergétique) et la substitution de capital aux énergies fossiles.
En 2021, les émissions françaises de gaz à effet de serre ont atteint 418 millions de tonnes d'équivalent CO2 (Mt CO2e), dont environ 30% provenant du secteur des transports.
Pour viser la neutralité carbone en France à l'horizon 2050, « l’objectif pour 2030 de la prochaine stratégie nationale bas carbone pourrait être d’environ 270 Mt CO2e, soit une réduction de près de 150 Mt CO2e de 2021 à 2030 » (- 35%). Autrement dit, une réduction des émissions de gaz à effet de serre en France similaire à celle constatée sur 3 décennies entre 1991 et 2021.
Dans les transports, les émissions devraient chuter de près de 39% d'ici à 2030 « alors que la baisse de la dernière décennie, largement liée à la crise Covid, n’a fait qu’effacer la hausse des émissions enregistrée depuis 1990 ».
Quels investissements supplémentaires pour une réelle « mutation » ?
Pour se « placer sur le chemin de la neutralité climatique en 2050 », le rapport de Jean-Pisani Ferry cite des estimations pour la France (comme pour l'UE) d'un « effort requis aux alentours de 2 points de PIB d’investissement supplémentaire, en 2030 ».
Le rapport chiffre le coût des mesures supplémentaires associées à une « mutation » vers la neutralité carbone (par exemple, le coût du remplacement accéléré des chaudières au fioul par des pompes à chaleur) par rapport à un scénario tendanciel (par exemple, remplacement des chaudières au fioul en fin de vie par des chaudières au fioul ou au gaz).
Au total, « l’ensemble des investissements supplémentaires tous secteurs confondus s’élèverait à environ 66 milliards par an à l’horizon 2030, soit 2,3 points de PIB, par rapport à un scénario sans les mesures de transition évaluées ».
Note : les investissements indiqués dans l'infographie ci-dessous sont en milliards d'euros supplémentaires par an d'ici à 2030.
Se pose alors la question très sensible du financement de ces investissements supplémentaires (très débattue, avec entre autres l'hypothèse dans le débat public d'un « ISF vert »). Ces derniers vont « probablement induire un coût économique et social [...] parce qu'elle sera orientée vers l’économie de combustibles fossiles plutôt que vers l’efficacité ou l’extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail ».
À cet égard, le secteur de l’automobile va subir « un choc particulièrement violent » : le rapport envisage à l'horizon 2030 un parc constitué de 15% de véhicules électriques (contre 1,2 % aujourd’hui), avec une part de 66% de véhicules électriques dans les immatriculations de véhicules neufs de 2030 (contre 12 % aujourd’hui), sachant que « le contenu en emplois d’un véhicule électrique est sensiblement inférieur à celui d’un véhicule thermique, et la nature de ces emplois n’est pas la même ».
Les finances publiques vont être appelées à « contribuer substantiellement à l’effort. Compte tenu des dépenses nouvelles comme de la baisse temporaire des recettes liée au ralentissement de la croissance potentielle, le risque sur la dette publique est de l’ordre de 10 points de PIB en 2030, 15 points en 2035, 25 points en 2040, même s’il est supposé que la baisse des recettes assises sur l’énergie est compensée afin de maintenir le taux de prélèvements obligatoires constant ». Pour Jean-Pisani Ferry, « il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. Sauf à parier sur la technologie, ce ne pourrait qu’accroître le coût pour les finances publiques et l’effort nécessaire les années suivantes pour atteindre nos objectifs climatiques ».
Croissance économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre inconciliables ?
Pour Jean-Pisani Ferry, « nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat ». Même la nécessaire sobriété, qui « contribuera (ndlr : d'ici à 2030) à la réduction des émissions, mais pour 15% environ, en tout cas pour moins de 20% [...] n’est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être »
À long terme, Jean-Pisani Ferry estime même que « la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible ».
Le rapport note par ailleurs que « la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs usuels (PIB) mesurent mal. Les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone ».