Président du Département de la Charente-Maritime et de l'Assemblée des départements de France (ADF)
Ancien Ministre
Le remplacement progressif de la part du nucléaire dans la production électrique nationale est un des aspects de la politique énergétique du Gouvernement. Dans un pays, où le nucléaire représente plus de 70% de la production totale d’électricité, le pari est audacieux et la marge d’action plus faible, voire moins nécessaire, que dans certains pays, comme l’Allemagne, où la part d’énergie polluante, assise sur le charbon, représente encore près de la moitié de la production électrique.
Le développement du « mix énergétique » en France porte en lui-même une ambiguïté, toujours pas levée, qui empêche d’avoir une lisibilité sur le développement de l’éolien.
Alors que la France peine à tenir ses engagements européens en matière d’énergies renouvelables, le Gouvernement veut porter à 40% leur part dans la production électrique à l’horizon 2030, avec un prévisionnel de doublement de la capacité de production des éoliennes d’ici 2028.
La Nouvelle-Aquitaine connait un développement éolien important, avec une concentration des implantations dans sa partie Nord.
La France paye au prix fort cet effort avec un territoire saturé par endroits de parcs éoliens. Le déséquilibre est criant au niveau national : près de la moitié de la puissance du parc national est située dans les régions Grand Est et Hauts-de-France.
Implantation des éoliennes en Nouvelle-Aquitaine. (©Connaissance des Énergies, d'après IGN-BDTOPO, cellule SIG de la Direction des infrastructures, source : DREAL)
La Nouvelle-Aquitaine connait un développement éolien important, avec une concentration des implantations dans sa partie Nord. La Charente-Maritime représente à elle seule plus du tiers de la puissance installée dans la Région. Aux 81 éoliennes en fonctionnement, 67 autorisées et 109 en cours d’instruction, s’ajoutent des projets toujours plus nombreux qui porteraient à 470 l’ensemble des mats montés dans le Département.
Malgré les velléités affichées par l’ancienne Région Poitou-Charentes, le Département a échappé au montage des pylônes aux endroits qui avaient été les plus indiqués par les différentes études, à savoir les parties avancées des îles de Ré et d’Oléron et bien sûr tout le littoral, qui enregistrent une force de vent optimale de plus de 6m/s. C’est donc paradoxalement dans les zones référencées parmi les indicateurs « corrects » et « moyens » que se sont implantés massivement les parcs éoliens.
À partir de l’adoption par le Conseil Régional de Poitou-Charentes de son schéma régional de l’éolien, en 2006, ce sont des secteurs voués au tourisme vert et à la mise en valeur du patrimoine historique, l’Aunis et les Vals de Saintonge, qui ont connu en dix ans une poussée préoccupante d’éoliennes. En 2008, le Département ne comptait que 2 parcs en fonctionnement et les projections de capacités de production lui étant imparties s’élevaient à 80 mégawatts (MW). Nous en sommes actuellement à 168 MW hors parcs autorisés !
Implantation des éoliennes en Charente-Maritime. (©Connaissance des Énergies, d'après IGN-BDTOPO, cellule SIG de la Direction des infrastructures)
Les projets se sont développés en dehors de toute planification territoriale équilibrée et aux dépens des aspects environnementaux qui ont été dramatiquement négligés. Le Conseil d’État a reconnu sévèrement ces graves manquements, en février 2018, par l’annulation du schéma régional de la Région Poitou-Charentes de 2012 qui avait jugé bon de ne procéder à aucune évaluation environnementale préalable.
Alors que dans certaines plaines, des villages sont entourés parfois d’une vingtaine de mâts, des projets touchant aux équilibres naturels et à la biodiversité voient le jour, sans qu’aucun garde-fou sérieux ne s’impose. C’est ainsi qu’EDF veut implanter une quarantaine d’éoliennes de 180 mètres de hauteur le long de l’estuaire de la Gironde, sans aucun égard pour les enjeux propres aux Espaces naturels sensibles et à la vie des milieux aquatiques, avec la défiguration d’un paysage sanctuarisant le plus grand estuaire d’Europe.
La Charente-Maritime a décidé d’installer un observatoire de l’éolien et de demander au Préfet un moratoire pour sursoir aux projets éoliens pendant deux ans.
Trop, c’est trop. Le « mix énergétique » ne doit pas se faire au détriment des enjeux environnementaux. Face à un développement anarchique, il faut imposer des règles et une méthode, tout ce qui a cruellement fait défaut jusque-là. Cela passe par un préalable : l’arrêt de toute implantation et la mise en œuvre d’une évaluation de la pertinence des projets.
C’est pourquoi le Département de la Charente-Maritime a décidé d’installer un observatoire de l’éolien et de demander au Préfet un moratoire pour sursoir aux projets éoliens pendant deux ans.
L’observatoire, qui réunit toutes les parties prenantes (élus, services du Département, experts, associations…), a déjà identifié les griefs que l’on nous signale sur le terrain : absence de concertation avec les élus et les habitants, prise en compte à minima des avis des commissions consultatives, expertise déficiente des enjeux paysagers et environnementaux, primat mercantile du démarchage commercial.
Stopper ces implantations dans l’immédiat, c’est donner le temps au Département de la Charente-Maritime d’élaborer un schéma départemental de développement durable qui réponde aux objectifs nationaux de la transition énergétique. Trois priorités vont guider notre action sur le volet éolien : la prise en compte des aspects environnementaux dans les projets d’implantation, la répartition équitable des parcs éoliens dans la Région Nouvelle-Aquitaine et la concertation avec les élus et les citoyens.
Cette position d’alerte du Département porte déjà ses fruits. La Région a pris acte de l’inégalité de la répartition géographique des parcs éoliens et préconise dorénavant un rééquilibrage infrarégional vers le sud.
Le développement de l’éolien n’est pas irrésistible, comme l’illustre très bien le cas de l’Allemagne, qui prévoit de démanteler plus de 5 000 éoliennes difficilement recyclables. Il doit être pensé intelligemment et programmé à bon escient dans les zones les plus propices à sa rentabilité et les moins touchées par les impératifs environnementaux et patrimoniaux. Le déploiement offshore peut constituer une piste intéressante, à condition qu’il apporte toutes les garanties en matière d’acceptabilité locale et d’impacts sur les milieux naturels. Le projet de parc éolien au large de l’île d’Oléron n’a pas levé tous les doutes qui l’entourent à ces égards. Le Gouvernement se montre sourcilleux sur ces points et a ajourné le lancement de l’appel d’offres. Il serait appréciable que les projets éoliens terrestres fassent l’objet de la même vigilance.
L’énergie solaire a le grand mérite de permettre un plus grand équilibre géographique et son déploiement se fait sans heurts sociétaux et environnementaux notables.
D’autres sources d’énergies renouvelables doivent être encouragées pour parvenir à un « mix énergétique » viable qui ne soit pas sujet à caution, à l’instar de la force hydraulique, qui garantit 10% de la production d’électricité en France, quand l’éolien en assure 5%. L’énergie solaire a le grand mérite de permettre un plus grand équilibre géographique et son déploiement se fait sans heurts sociétaux et environnementaux notables. Sa production électrique (3 térawattheures –TWh) en Nouvelle Aquitaine dépasse de loin la production éolienne (1,7 TWh), le tout dans un climat plus apaisé et plus consensuel.
L’urgence climatique ne doit pas semer la panique énergétique. La mer, le soleil et le vent sont des ressources inépuisables, qui méritent que l’on prenne le temps d’utiliser, là où il le faut et comme il le faut, leur formidable potentiel.