Mikael Philippe, Docteur énergéticien, BRGM.
Fanny Branchu, Chargée de communication, BRGM.
La période de janvier à juillet 2020 est la plus chaude qu’ait connue la France depuis le début de l’enregistrement des relevés de température(1). L’augmentation de la température moyenne globale pourrait atteindre « 6,5 à 7 °C en 2100 » par rapport à l’ère préindustrielle (1850 à 1899), indique le scénario pessimiste de Climeri-France(2). Les vagues de chaleur devraient également progresser en intensité et en fréquence(3).
La possibilité de rafraîchir ou de refroidir des bâtiments en été est déjà indispensable pour certains lieux (hôpitaux, maisons de retraite…). Elle va devenir déterminante pour les constructions et rénovations actuelles, si l’on veut éviter qu’elles soient obsolètes dans 20 ans en raison de températures insupportables. Mais comment conjuguer ce besoin de fraîcheur avec l’impératif de sobriété énergétique ?
Il existe un moyen de produire du frais et du froid en été, écologique, économique et qui s’intègre harmonieusement à son environnement : la géothermie. Du grec geo (« la Terre ») et thermos (« la chaleur »), elle désigne à la fois la science qui étudie les phénomènes thermiques internes du globe terrestre, et la technologie qui vise à les valoriser.
La géothermie est bien connue pour la production de chaleur ou d’électricité mais on oublie parfois que la stabilité des températures du sous-sol peut aussi contribuer à refroidir.
Produire du froid avec la géothermie, comment ça marche ?
La géothermie « de surface » (à une profondeur inférieure à 200 mètres) permet de créer du chaud à l’aide d’une pompe à chaleur mais également du froid, avec ou sans pompe. À ces profondeurs, ce n’est pas la température élevée du sous-sol que l’on cherche à valoriser, mais plutôt sa stabilité au cours des saisons.
Deux systèmes sont couramment utilisés en la matière : la pompe à chaleur en mode climatisation pour obtenir du froid « actif »(4), et le « géocooling » pour générer du frais.
La première consiste à prélever la chaleur du bâtiment via l’évaporateur. Le compresseur rehausse ensuite le niveau de température afin d’évacuer cette chaleur, par échange avec le sous-sol, frais.
Le rapport entre l’énergie frigorifique produite par la pompe à chaleur et l’énergie électrique consommée est appelé coefficient de performance (COP). Il est de l’ordre de 4, c’est-à-dire que pour 4 kWh de froid produits, 1 kWh électrique est utilisé par la pompe à chaleur.
La production de frais par géocooling permet quant à elle de répondre aux besoins de « confort d’été », notamment pour les secteurs résidentiel et tertiaire. L’eau chaude, circulant dans le plancher rafraîchissant d'un bâtiment, est refroidie par la mise en contact indirecte avec le liquide frais issu du sous-sol et réintroduite dans le plancher, ce qui diminue la température de l’air ambiant par le sol – ici, la pompe à chaleur n’est pas sollicitée.
Schéma de principe du géocooling pour rafraîchir.(©Connaissance des Énergies, d'après BRGM)
L’énergie nécessaire au fonctionnement du dispositif est donc réduite à l’électricité consommée par les circulateurs des deux boucles de fluide. Ce système permet ainsi d’obtenir des coefficients de performance très élevés de 10 à 50 suivant les cas (jusqu’à 50 kWh de frais produits pour 1 kWh électrique consommé).
Du froid et du frais décarbonés
Pour générer du « froid actif », on considère que les installations de géothermie de surface rejettent en moyenne moins de 10 g de CO2 par kWh de froid produit (émissions associées à la consommation électrique de la pompe à chaleur, hypothèse d’un COP à 4, valeurs en kgCO2/kWh issues de la base de données carbone de l’Ademe(5)). Les ¾ des besoins thermiques sont ainsi couverts par une énergie gratuite et locale puisée dans le sous-sol.
Avec le géocooling, 1 kWh de frais produit entraîne l’émission de 0,77 g de CO2 dans l’hypothèse d’un coefficient de performance de 50, ce qui est réellement minime. Disponible localement, la géothermie de surface n’implique pas de transport. Par nature, elle est consommée là où elle est produite. Il s’agit donc d’une solution de production de frais et froid durable et proche.
Du froid et du frais compétitifs
Sous réserve de disposer d’émetteurs adaptés, c’est le même système géothermique, équipé d’une pompe à chaleur réversible, qui produit du froid actif et du chaud.
Certes, le coût d’investissement pour ces dispositifs est important : à titre indicatif, l’Ademe l’estime, en fonction des technologies adoptées, de 13 000 à 19 000 € pour une maison récente de 130 m2 occupée par 4 personnes(6).
En revanche, les coûts d’exploitation sont ensuite réduits, grâce à la faible consommation électrique liée aux performances élevées de la pompe à chaleur, et ainsi plus déconnectés des fluctuations des prix du marché. Le temps de retour sur investissement des installations de géothermie produisant du chaud est estimé entre 8 et 13 ans, sachant que la durée de vie de ces installations est longue – 50 ans pour les forages, de 17 à 25 ans pour les pompes à chaleur. Si un même système produit du chaud et du froid, l’investissement initial est alors amorti plus rapidement.
Une intégration harmonieuse
Disponible presque partout, de façon continue, la géothermie une fois installée est invisible (pas d’espace de stockage, d’unités extérieures de climatisation…). Cela rend la solution particulièrement pertinente pour la rénovation de bâtiments patrimoniaux.
Ainsi, c’est le choix qui a été fait par la ville de Blois, entre autres, en 1982 pour la rénovation de la Halle aux grains. Une solution « discrète » devait permettre de chauffer et refroidir les 4 880 m2 de cet espace culturel, classé monument historique. Plus de 30 ans de retour d’expérience sur ce système qui fournit du chaud et du froid révèlent qu’il a été possible de conjuguer confort des utilisateurs et motivations écologiques et économiques. La géothermie a permis de diviser par 2,5 la facture énergétique du bâtiment (par rapport à un chauffage électrique et une climatisation) et d’éviter l’émission de 186 tonnes de CO2 par an.
Autre avantage de la géothermie pour produire du froid dans les villes en été : elle contribue à réduire le phénomène d’îlots de chaleur urbain. Ces élévations localisées des températures sont en effet accrues par l’usage des climatiseurs. Ils rejettent à l’extérieur des bâtiments une quantité de chaleur supérieure à celle extraite de l’intérieur. Avec la géothermie, la chaleur est stockée dans le sous-sol et contribue donc à rafraîchir l’atmosphère urbaine.
Dans un contexte d’augmentation des besoins en refroidissement et rafraîchissement pour les bâtiments, la géothermie offre une solution durable, compétitive et adaptable aux enjeux urbains. Une option à creuser à l’heure où la mobilisation de toutes les énergies renouvelables est nécessaire pour l’adaptation au changement climatique.
Sources / Notes
- Juillet 2020, mois encore chaud : début d'année le plus chaud jamais observé, Météo France, 4 août 2020.
- CLIMERI-France : Infrastructure nationale de modélisation du système climatique de la Terre.
- Changement climatique : les résultats des nouvelles simulations françaises, CNRS, septembre 2019.
- On parle de froid « actif » parce qu’il nécessite le recours à un compresseur, consommateur d’électricité. Le froid « passif » consiste à simplement faire circuler les fluides et échanger de la chaleur « naturellement ».
Site Geothermies, Ademe et BRGM.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.