Ligne électrique à très haute tension. (©Pan Denim-Shutterstock)
Sur la base des prévisions d’évolution du mix électrique en Europe, France Stratégie estime que la sécurité d’approvisionnement y sera de plus en plus « incertaine dans les périodes de tension ». Dans une note publiée le 15 janvier(1), le centre d’analyse rattaché à Matignon présente « quelques éléments permettant d’appréhender l’évolution de ces risques de défaillance afin d’engager à temps les politiques adéquates ».
Des « points de vigilance » sur l’évolution du parc électrique européen
France Stratégie rappelle que de nombreux arrêts de centrales pilotables sont programmés en France et dans les pays limitrophes : d'ici à 2035, « ce seront plus de 110 GW de puissance pilotable qui seront retirés du réseau européen » selon les données du gestionnaire de réseau belge Elia, dont 70 GW de centrales au charbon/lignite(2), 23 GW de centrales nucléaires(3) et 10 GW de centrales à gaz ou au fioul.
Dans le même temps, un déploiement ambitieux des filières renouvelables intermittentes (EnRi) – éolien et solaire photovoltaïque – est envisagé : « en 2030, près de 200 GW d’EnRi devraient être installés en Allemagne d’après la dernière loi EEG 21, et 75 GW en France, 20 GW en Belgique, 100 GW en Espagne, 70 GW en Italie, etc. ».
Au total, les capacités électriques provenant d’EnRi en Europe devraient « dépasser peu après 2025 celles des moyens conventionnels (grand hydraulique inclus) » selon France Stratégie, qui souligne que ces données de puissance ne peuvent toutefois pas être mises sur le même plan puisque, par définition, leurs disponibilités diffèrent : « 1 GW d’EnRi n’est pas de même nature que 1 GW de puissance pilotable et sa participation lors des situations de tension du système électrique n’est pas garantie car elle dépend de la météorologie ».
L’intégration croissante d’EnRi dans le mix électrique européen doit s'accompagner d'un développement important des solutions de stockage et de flexibilité (incluant le pilotage de la demande) afin que l’équilibre offre-demande soit maintenu en permanence sur le réseau. Or, ces solutions sont « à l’heure actuelle insuffisamment développées » et « leur rythme de développement d’ici 2030 est incertain » selon France Stratégie(4).
En définitive, les marges de sécurité d’approvisionnement électrique de la France et des 6 pays voisins considérés par France Stratégie (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suisse) pourraient passer « de + 34 GW en 2020, à + 16 GW en 2025 puis deviennent négatives à - 7,5 GW en 2030 et - 10 GW en 2035 » sur la base de l’évolution annoncée du parc électrique. La France, l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni seraient particulièrement concernés par ces risques.
Une meilleure coordination nécessaire au niveau européen
Dans ces conditions, France Stratégie estime qu’ « une partie de la puissance pilotable manquante (pour renforcer la sécurité d’approvisionnement) doit être reconstituée, alors que les capacités de production électriques se caractérisent par des durées de construction relativement longues — de l’ordre de la décennie ». La note d’analyse souligne que ces constructions sont en outre soumises à des contraintes de financement : « l’arrivée de quantités massives d’EnRi, avec des coûts marginaux quasi nuls [...] a entraîné une chute des prix de marché de gros, de plus en plus souvent négatifs »(5).
France Stratégie déplore surtout « les limites de la coordination politique » en Europe sur ces sujets, malgré le renforcement prévu d es coopérations techniques et économiques dans le cadre du « Green Deal »(6). L’institution appelle ainsi à davantage de « travaux de mises en cohérence des différents scénarios nationaux ».
À l’heure actuelle, le mix électrique européen est composé d’environ 20% d’EnRi. Selon France Stratégie, le « seuil (à partir duquel le système électrique devient instable) est actuellement évalué à 40% » dans le cas de l’Europe. Au Danemark, la contribution des EnRi dans le mix électrique avoisine pourtant 60% mais ce pays ferait figure d'exception puisqu'il « profite de sa position géographique centrale et sa forte interconnexion avec les pays limitrophes lui permet d’évacuer aisément ses surplus d’électricité ou d’en importer en cas de nécessité ».
France Stratégie souligne enfin qu’une réflexion sur la sécurité d’approvisionnement électrique est « d’autant plus nécessaire que l’électricité devrait satisfaire une part croissante des besoins en énergie. En France, les stratégies énergétiques et climatiques adoptées au printemps 2020 consacrent le rôle de l’électricité. Représentant près de 25% de la demande finale aujourd’hui, elle devrait en satisfaire 54% en 2050. L’Union européenne affiche pour sa part un objectif de 50% »(7).