Numérique : quels impacts sur les émissions de gaz à effet de serre ?

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Numérique et décarbonation

Dans l'habitat, les thermostats connectés permettent d'optimiser la température en fonction des besoins et de réduire la consommation d'énergie associée. (©Qivivo)

Les émissions de CO2 attribuées à l'utilisation des technologies numériques comptent pour « environ 2,5% de l'empreinte carbone de la France », indique France Stratégie dans une note publiée fin juillet. Mais le numérique peut-il également contribuer aux trajectoires de décarbonation ?

Quelle contribution du numérique à la décarbonation ? (France Stratégie, juillet 2024).

Un potentiel « globalement modeste »

L'impact énergétique croissant du numérique est une thématique de plus en plus abordée : les émissions associées à ce secteur pourraient encore croître de 45% d'ici à 2030 par rapport à 2020 (pour atteindre 25 Mt CO2 équivalent) et la consommation électrique pourrait s'élever de 5% pour atteindre près de 54 TWh à cet horizon.

Premier constat de France Stratégie : « Sans être négligeable, le potentiel de ces solutions numériques paraît globalement modeste au regard du niveau actuel des émissions de leur secteur d’application ». L'impact en matière de décarbonation de ces solutions est en particulier limité par des effets rebond, indique cette note qui se concentre sur « quatre cas d’usage choisis dans les domaines clés de l’énergie et des transports : les smart grids, les smart homes, le télétravail et le covoiturage ».

Télétravail et effets rebond

En France, « les gains d’émissions directement liés à la réduction des trajets domicile-travail pour un jour télétravaillé hebdomadaire s’élèveraient en moyenne à 271 kg CO2e par an et par télétravailleur », selon l'Ademe. 

Mais différents paramètres doivent être pris en compte pour affiner cette estimation brute : les effets rebond d'abord mais aussi l'impact du recours à la vidéoconférence ou encore la hausse de la consommation d'énergie au domicile du travailleur. En tenant compte de ces effets, l'Ademe réduit les gains annuels liés à un jour de télétravail à 181 kg CO2e.

L'estimation du niveau des effets rebond semble parfois constituer une gageure compte tenu de la diversité des situations : une étude britannique de 2023 estime même que le télétravail peut conduire à une augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre avec la hausse des consommations énergétiques à domicile(1).

En définitive, France Stratégie considère que la pratique du télétravail par 10 millions de personnes ayant un métier « télétravaillable » - à raison d'un jour par semaine - pourrait théoriquement permettre d’éviter en France « entre 1 et 4 Mt CO2 par an, en fonction de leurs comportements et de l’organisation des espaces de travail ». Une fourchette large qui reflète « une contribution modérée(2) à la nécessaire réduction des émissions des transports » selon son rapport.

Réseaux électriques intelligents (« smart grids »)

« Entre 2% et 10% de la consommation énergétique des ménages européens se trouverait économisée » grâce aux solutions permettant d'ajuster les flux d'électricité en temps réel (en collectant des données sur la consommation notamment et en optimisant l'équilibre offre-demande avec les capacités de stockage et d'effacement) selon France Stratégie.

Faisant référence à une étude de RTE de 2017, cette note évoque pour la France « un gain net d’émissions d’environ 0,8 Mt CO2/an à l’horizon 2030 [...] soit environ 3% des émissions annuelles du système électrique français » grâce au déploiement de l'ensemble des solutions de smart grids.

Le gestionnaire de réseau a récemment souligné à de nombreuses reprises l'impact favorable d'un pilotage intelligent de la recharge des véhicules électriques en France.

Gestion intelligente des logements

Il est parfois difficile de distinguer la part des gains attribués aux dispositifs intelligents installés au sein d'un bâtiment (« smart home ») pour en réduire la consommation énergétique (en particulier de chaleur) de celle qui revient au pilotage du réseau (smart grids), remarque France Stratégie.

Et là encore, les effets rebond tendent à réduire l'impact positif d'une gestion intelligente : ceux-ci pourraient en moyenne réduire en France les gains d'une solution de smart home de 72% à 86% selon une étude de référence de 2020. 

La mise en œuvre d'une solution intelligente engendre en outre une consommation supplémentaire (variable selon le nombre de capteurs) et des émissions associées(3). « Sous des hypothèses défavorables, les gains d’efficacité énergétique après effets rebond pourraient être insuffisants pour compenser les émissions liées à la mise en œuvre de la solution elle-même », indique même France Stratégie.

Plateformes de covoiturage

Le potentiel de développement du covoiturage en France est important (la part du covoiturage quotidien des particuliers est de seulement 3% à l'heure actuelle) mais encore insuffisamment documenté.

Les plateformes de covoiturage communiquent certes sur des niveaux d'économies d'émissions, à l'image de la société BlaBlaCar, mais elles ne comptaient en 2023 que pour « 4% des 900 000 trajets covoiturés quotidiens réalisés en France métropolitaine »(4), indique France Stratégie, le covoiturage informel restant « largement prépondérant ».

Selon les estimations les plus récentes « établies dans la littérature sur la base du registre de preuve de covoiturage, cette pratique aurait permis un gain d’émissions de 5 000 t CO2e en 2021 ». Mais cette estimation ne prend pas en compte « le principal effet rebond du covoiturage, soit le report modal des usagers sur des véhicules particuliers au détriment des transports collectif » : près de 69 % des passagers se seraient déplacés en train s’ils n’avaient pas utilisé le covoiturage pour réaliser leur dernier déplacement, selon l'Ademe.

La note de France Stratégie souligne que l'Agence de la transition écologique a lancé des travaux qui permettront à l'avenir une meilleure modélisation des gains de décarbonation des solutions numériques « en privilégiant une approche par cas d’usage (méthode empreinte projet) et qui systématisera l’approche par arbre de conséquences ».

Sources / Notes

  1. Shi Y., Sorrell S. et Foxon T. (2023), « The impact of teleworking on domestic energy use and carbon emissions: An assessment for England », Energy and Buildings, vol. 287, mai.
  2. Belaïd F., Ben Youssef A. et Lazaric N. (2020), « Scrutinizing the direct rebound effect for French households using quantile regression and data from an original survey », Ecological Economics, vol. 176, octobre.
  3. « On considère que la solution elle-même consomme un coût carbone constant dans tous nos scénarios, de 10,7 kgCO2e par an et par logement (correspondant à une solution moyenne d’une dizaine de capteurs) », indique France Stratégie. 
  4. 27 000 trajets par jour en moyenne ont été réalisés par le biais de plateformes de covoiturage (33 participent au plan national d'accompagnement au covoiturage)

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