Daphné Lorne est ingénieur économiste, spécialisée sur les questions de biocarburants, au sein d’IFP Energies nouvelles. (©photo)
En 2014, 3,5% de la consommation mondiale d’énergie dans les transports routiers reposait sur les biocarburants (biodiesel et éthanol confondus). Nous avons interrogé Daphné Lorne, ingénieur économiste à IFP Energies nouvelles, qui suit ce secteur depuis plus de 10 ans.
1) Comment évolue la production mondiale de biocarburants ?
Pour la filière éthanol carburant, la consommation est en constante progression au niveau mondial même si ce constat ne se vérifie pas dans toutes les zones géographiques. La production mondiale d’éthanol a atteint 98,2 millions de m3 en 2015, autrement dit, 98,2 milliards de litres(1), soit légèrement plus qu’en 2014 (de l’ordre de 94 milliards de litres). Plus de 89% de cette production est concentrée en Amérique du nord et centrale et en Amérique du Sud, les États-Unis et le Brésil étant les deux principaux producteurs mondiaux. Suivent ensuite l’Asie et l’Union européenne dans des proportions comparables (de l’ordre de 5% de la production mondiale).
Pour le biodiesel, la dynamique est légèrement différente, notamment car il ne s’agit pas des mêmes zones de production que l’éthanol. C'est un marché essentiellement européen et la dynamique dans cette zone est assez molle. Au niveau mondial, la production a tout de même progressé grâce à la meilleure dynamique aux Etats-Unis et en Asie. La production mondiale de biodiesel classique a avoisiné 24,5 millions de tonnes dans le monde en 2015 tandis que celle de biodiesel « HVO » a atteint 3,4 millions de tonnes(2).
2) Quelle différence y a-t-il entre le biodiesel « classique » et le « HVO » ?
L’éthanol peut être considéré comme un produit à part entière car ses propriétés varient peu, quelle que soit son origine géographique ou la ressource utilisée pour le produire. Il existe en revanche plusieurs produits pour le biodiesel qui diffèrent fortement d'un point de vue qualitatif. Historiquement, les esters méthyliques d’acides gras (EMAG ou FAME en anglais), en particulier issus d'huiles végétales (EMHV), constituaient le produit « classique » : le biodiesel FAME est encore le produit majoritaire qui se mélange à des teneurs relativement limités dans les véhicules diesel conventionnels, autour de 7% à 8% comme en France.
Il y a quelques années, une nouvelle filière est apparue pour produire du biodiesel : les huiles végétales hydrogénées (HVO) qui correspondent à un gazole de synthèse. La ressource d’origine est la même que pour le biodiesel FAME mais le procédé de transformation est très différent : des molécules d’hydrogène sont ajoutées au produit pour former des chaînes d’hydrocarbures. Le produit final, qui ressemble fortement au gazole fossile, a un coût de revient légèrement plus élevé que le biodiesel classique mais on obtient un produit de bien meilleure qualité que l’on peut techniquement mélanger à près de 100% dans un moteur classique. A l’heure actuelle, un mélange à hauteur de 50% est certifié.
Le marché du biodiesel HVO reste très limité par rapport à celui du biodiesel FAME mais il pourrait se développer davantage, notamment pour traiter des charges un peu « moins nobles », par exemple des huiles usagées. Des raffineurs investissent dans de nouveaux projets, comme le finlandais Neste Oil avec de grosses unités à Singapour et Rotterdam, car le procédé de production est proche des unités de conversion retrouvées en raffinerie. Total est également en train d’installer sur son site de La Mède une unité qui sera très prochainement opérationnelle.
Si une réglementation plus contraignante, par exemple un marché du CO2, était imposée dans le secteur de l'aviation, ce produit pourrait également y avoir une place car il permet de produire une coupe kérosène et est déjà certifié. Mais rien n'oblige les avionneurs à utiliser ces « biojets » à l’heure actuelle.
3) Quels sont les principaux dispositifs de soutien aux biocarburants en France et ailleurs dans le monde ?
Le contexte français reste relativement contraignant avec la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) portant sur les carburants d’origine fossile qui oblige un taux d’incorporation de biocarburants. Dans le passé, un système d’agrément plus contraignant encore précisait les volumes de production de biocarburants à produire et à incorporer, unité par unité, produit par produit. Cette contrainte est aujourd'hui levée et il n'existe plus que la TGAP mais cette taxe reste suffisamment incitative pour que les raffineurs jouent le jeu. Dans le reste de l’Europe, il n'y a pas de règle générale, chacun ayant sa propre politique publique en la matière.
Les États-Unis ont un système assez complexe avec des mandats de production, année par année, famille de produit par famille de produit, qui augmentent de façon constante de manière à réduire globalement les émissions de gaz à effet de serre. Cette feuille de route date des années 2000 et une révision est effectuée chaque année. C'est un système de marché qui offre la possibilité aux différents acteurs d’échanger des crédits de production.
Au Brésil, le gouvernement fixe les prix de l'essence et de l'éthanol et pilote le marché via ce mécanisme. S’il craint un déficit de production sur le marché du sucre alimentaire, auquel le marché de l'éthanol est très lié (ayant la même ressource, à savoir la canne à sucre), le gouvernement peut par exemple baisser le taux d’incorporation global d’éthanol pour orienter le marché vers la production de sucre.
4) Quelles sont les différentes « générations » de biocarburants et quels sont leurs niveaux de maturité ?
Il n'y a pas vraiment de consensus sur la définition des différentes générations, cette terminologie étant conservée par habitude. Généralement, nous appelons « première génération » les technologies actuelles matures dont nous disposons sur le marché, à savoir l'éthanol de betterave, de maïs ou encore de canne à sucre ainsi que le biodiesel FAME. Le biodiesel HVO est aussi inclus dans la première génération car la technologie est mature et mobilise le même type de ressources.
Le traitement des ressources de type lignocellulosiques relève de la 2e génération. On retrouve parmi ces filières les technologies permettant la production de substituts à l’essence comme l’éthanol ainsi que les substituts au gazole issus du procédé BtL (Biomass-to-Liquid). Leur particularité est de traiter des ressources de type résidus agricoles (pailles, fanes, etc.), résidus forestiers (rémanents forestiers, bois de rebus, résidus de la transformation du bois, etc.), ou encore des cultures lignocellulosiques dédiées (non alimentaires) à forte productivité en biomasse.
Pour l’éthanol de 2e génération, la technologie a été prouvée à échelle industrielle, il existe déjà quelques unités commerciales récentes, les premières d’entre elles ayant été mises en service fin 2014. L’étape de prétraitement de la ressource pour extraire les sucres reste néanmoins aujourd'hui plus coûteuse que pour l’éthanol de 1re génération à partir de betterave ou de maïs.
La filière du biodiesel de 2e génération ou BtL se trouve à un niveau de maturité moins avancé : elle ne dispose pas à ce jour d’unité industrielle. Les résultats en laboratoire sont concluants mais les investissements sont extrêmement lourds pour lancer des unités à taille réelle et les débouchés ne sont pas encore assez clairs. En France, un projet important baptisé « BioTfueL » est toutefois en cours de développement, avec deux futures unités séparées, l’une située à Dunkerque (gazéification) et l’autre près de Compiègne (démonstration de torréfaction de la biomasse).
Pour rendre la 2e génération plus compétitive, il est encore possible de gagner en efficacité sur le procédé mais il faudrait également que le prix du baril remonte au dela de 100 $ ou qu’une taxe CO2 se généralise. Des travaux de R&D sont encore en cours.
Enfin, la 3e génération est encore lointaine et pose un problème de rupture technologique. Les procédés existent, à savoir cultiver des algues et en extraire de l'huile algale pour la transformer, mais ils ne sont pas du tout adaptés pour une production à grande échelle à l’image d’un marché de carburants. Ils servent actuellement à produire des produits à très forte valeur ajoutée, par exemple en cosmétologie.
Il est nécessaire d’imaginer une chaîne de production différente car celle-ci consomme actuellement plus d’énergie qu’elle ne permet d’en produire, ce qui exclut de fait tout débouché énergétique. Cette génération émergera donc probablement à plus long terme grâce à un autre marché que celui de l'énergie, probablement via un schéma de type bioraffinerie permettant de viser différents marchés comme la chimie ou les materiaux.