- Source : Ifri
Après avoir vu leur production tripler entre 2010 et 2014(1), les « light tight oil » américains (LTO), fréquemment appelés « pétroles de schiste », ont fait preuve d’une résilience étonnante lors de la chute des prix. Ils surprennent aujourd’hui à nouveau les marchés et pourraient contrarier la stratégie de l’OPEP.
Dans cette étude publiée par le Centre Énergie de l’Ifri, Sylvie Cornot-Gandolphe(2) présente les grands changements du secteur des LTO américains au cours des dernières années en expliquant leur résilience lors de la chute des cours et leurs perspectives de croissance.
Face à la baisse de leurs revenus et de la valeur de leurs actifs lors de la chute des prix du pétrole, de nombreux indépendants fortement endettés ont dû se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur la faillite(3). Les opérateurs ont toutefois réussi à réduire leurs coûts et à améliorer notamment la production initiale par puits, ce qui a permis de limiter la baisse de production malgré la chute brutale du nombre de forages. Les prix d’équilibre (« breakeven »(4)) moyens des opérateurs ont quasiment chuté de moitié, d’environ 80 $ par baril en 2014 à 47 $/b en 2016, avec des fortes variations d’une zone à une autre(5).
L’essentiel de la production américaine de LTO provient de 3 zones : les formations de Bakken et Three Forks (Montana et Dakota du Nord), Eagle Ford (Texas) et le bassin du Permian (Texas et Nouveau-Mexique). Ce dernier bassin du Permian joue un rôle central dans la nouvelle carte américaine du pétrole(6) : il a compté pour 71% de la croissance de la croissance de la production américaine de LTO entre son point bas en septembre 2016 et juin 2017. Ce bassin est considéré comme un nouvel eldorado pétrolier en raison de sa géologie et de sa proximité des raffineries et ports du golfe du Mexique. Il concentre des investissements colossaux, en particulier des majors(7) (on parle d’ailleurs de « Permania »).
A la fin du premier semestre 2017, la production américaine de pétrole brut est remontée à un niveau de 9,3 Mb/j (dont 5,3 Mb/j de LTO). L’augmentation constatée des activités de forage laisse présager une hausse de la production de LTO de 1 Mb/j sur l’ensemble de 2017, puis de 1 Mb/j supplémentaire en 2018 (ce qui ferait passer la production américaine de brut au-dessus de la barre historique de 10 Mb/j en 2018). Cette hausse pourrait ainsi complètement compenser la baisse de production de l’OPEP (associée à la Russie).
A plus long terme, de nombreuses incertitudes persistent, tant sur l’évolution des prix que sur l’état des ressources d’huiles de schiste. Compte tenu de la fin de l’interdiction américaine d’exporter du pétrole non raffiné fin 2015, les États-Unis pourraient jouer un rôle croissant sur les marchés pétroliers. Après une croissance encore timide des exportations américaines (520 000 b/j en 2016), les opérateurs de LTO se préparent à une évolution plus radicale, soutenus par l’administration Trump et le développement de nouvelles infrastructures de transport comme Dakota Access.
Sources / Notes
- La production américaine de « LTO » est passée de 1,55 millions de barils par jour (Mb/j) en 2010 à 4,71 Mb/j en 2014.
- Consultante en énergie et chercheur associé du Centre Énergie de l’Ifri, Sylvie Cornot-Gandolphe est spécialiste des marchés gaziers et charbonniers. Elle est par ailleurs membre du Comité des Experts de Connaissance des Énergies.
- Près de 80% des sociétés qui ont déposé une restructuration de leur dette dans le cadre de ce chapitre 11 sont depuis sorties de ladite loi.
- Prix nécessaire aux projets de forage pétrolier pour être rentables (point mort).
- Les LTO présentaient des coûts de production parmi les plus élevés en 2014 et se trouvent désormais « au milieu de la courbe de coûts de la production mondiale de pétrole », indique Sylvie Cornot-Gandolphe.
- Dans le Permian, l’US Geological Survey (USGS) a évalué en novembre 2016 les ressources de pétrole et de gaz de schiste récupérables dans la formation de Wolfcamp dans le Midland à 20 milliards de barils (Gb) de pétrole et 450 milliards de m3 de gaz (et 1,6 Gb de liquides de gaz naturel).
- En janvier 2017, ExxonMobil a notamment racheté pour 6,6 milliards de dollars d’actifs dans le Permian, doublant ainsi sa superficie dans le bassin.