Les tranches 3 et 4 de la centrale d'Ohi font partie des 9 réacteurs nucléaires redémarrés au Japon depuis l'accident de Fukushima Daiichi. (©JAIF)
Le gouvernement japonais souhaite voir le nucléaire compter pour environ un cinquième de la production électrique nationale en 2030. État des lieux de la filière au pays du Soleil-Levant, plus de 7 ans après l’accident de Fukushima Daiichi.
Des revirements sur la place du nucléaire dans le mix électrique
Mi-mai 2018, le ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI) avait présenté ses propositions relatives à la stratégie énergétique nationale. Après un mois de débat public, le « Basic Energy Plan » été adopté le 3 juillet par le Cabinet du Premier ministre. Il y est entre autres inscrit comme objectif de porter la part du nucléaire dans la production électrique japonaise entre 20% et 22% à l’horizon 2030, contre 3,6% en 2017(1).
En l’absence de ressources fossiles sur son territoire, le Japon a misé dans le passé sur le développement du nucléaire. Il disposait avant l’accident de Fukushima Daiichi de mars 2011 du 3e parc au monde, après les États-Unis et la France. En juin 2010, le « Plan stratégique énergie » du Japon prévoyait même de faire passer la part du nucléaire dans le mix électrique national de 29% à 50% entre 2010 et 2030.
Suite à l’accident de Fukushima Daiichi, cette cible s’était muée en 2012 en un objectif de sortie du nucléaire avant 2040. Arrivée au pouvoir fin 2012, Shinzo Abe a toutefois voulu réduire la dépendance de la production électrique aux énergies fossiles (88% contre 76% lors du premier choc pétrolier), en s’appuyant à nouveau sur le parc nucléaire.
L’ambition de rehausser la part du nucléaire à près d’un cinquième du mix électrique en 2030 avait ainsi déjà été exprimée en mai 2015. « Cette volonté gouvernementale d’accroître autant le nucléaire répond non seulement aux contraintes d’autosuffisance énergétique et d’émission de GES mais aussi à l’impératif de baisse des coûts de l’électricité », expliquait à l’époque Evelyne Dourille-Feer, économiste au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) spécialiste du Japon.
La perte de revenus liée à l’arrêt des réacteurs japonais entre 2011 et 2013 et l’augmentation des importations de combustibles fossiles a conduit les électriciens japonais à « augmenter entre 2011 et 2014 la facture d’électricité des ménages de 25% et celle de l’industrie de 35% », confirme Sunil Félix, conseiller nucléaire à l’Ambassade de France à Tokyo(2).
9 réacteurs redémarrés sur 39 « opérationnels »
Dans le sud du Japon, le réacteur nucléaire Genkai 4 exploité par Kyushu Electric Power a recommencé à produire de l’électricité mi-juin, près d’un an après avoir reçu le feu vert de la ville de Genkai et de la préfecture de Saga. Il s’agit du 9e réacteur à être redémarré(3) depuis l’arrêt contraint du parc nucléaire japonais(4). Les huit réacteurs l’ayant précédé sont Genkai 3, Sendai 1 et 2 (Kyushu Electric), Ikata 3 (Shikoku Electric), Takahama 3 et 4 (Kansai Electric) et Ohi 3 et 4 (Kansai Electric).
Le parc nucléaire japonais compte encore 30 réacteurs supplémentaires dits « opérationnels » car susceptibles d’être redémarrés(5). Pour une remise en service, les électriciens japonais doivent recevoir les autorisations des autorités locales et de l’autorité de régulation nucléaire (NRA)(6). « Au 22 juin 2018, 26 demandes de redémarrage avaient été déposées auprès de cette autorité » (en comptabilisant les 9 réacteurs redémarrés), indique Sunil Félix. Si 6 autres réacteurs nucléaires sont « bien avancés dans le processus (validation d’une partie des inspections avant le redémarrage), il reste impossible de prévoir leur date de redémarrage avec exactitude »(7).
Selon Greenpeace Japon, il faudrait que les électriciens japonais exploitent près de 30 réacteurs nucléaires (d’une puissance cumulée de 30 GW) pour atteindre la cible de 22% dans le mix électrique japonais en 2030. Selon l’organisation anti-nucléaire, il n’y a « aucune possibilité que des dizaines de réacteurs soient redémarrés » à cet horizon(8).
D'après les estimations de Greenpeace, seuls 9 à 23 réacteurs pourraient être « en théorie » en service en 2030, en étant alors susceptibles de compter pour 7,3% à 17,5% de la production électrique du Japon. La population japonaise est en majorité opposée au redémarrage de nouveaux réacteurs nucléaires (à 55% selon un sondage de mai 2017 pour le journal Mainichi(9)). Aujourd’hui en service, les réacteurs 3 et 4 de la centrale de Takahama ont notamment fait l’objet de recours en justice de citoyens et été arrêtés en mars 2016 (avant que leur redémarrage soit autorisé en 2e instance en mars 2017).
Compte tenu de ce l’opposition d’une partie majoritaire de l’opinion publique et de la mise en place de nouvelles normes de sûreté, « la relance du parc nucléaire national, même si effective, demeure fragile », confirme Sunil Félix. Ce dernier signale ainsi une « certaine atonie » du marché nucléaire domestique, « l’export de technologies nucléaires apparaissant comme un moyen de […] maintenir les compétences japonaises, dans l’attente de jours meilleurs ».
Le parc nucléaire japonais compte 9 réacteurs en service, 30 autres réacteurs potentiellement « opérationnels » et 3 réacteurs en construction. (©Connaissance des Énergies)
Des énergies fossiles encore omniprésentes et une ambition climatique limitée
En amont de la COP21 à Paris, le Japon s’est engagé à réduire de 26% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030(10) par rapport au niveau de 2013 (et de 80% d’ici 2050). À l’époque, le Japon se plaçait en 5e position des pays émettant le plus de gaz à effet de serre dus à la combustion de ressources fossiles(11). Rappelons toutefois que le pays présente une intensité énergétique (consommation d’énergie par point de PIB) parmi les plus faibles au monde.
Outre les objectifs relatifs au nucléaire, le plan énergétique japonais prévoit de porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique national entre 22% et 24% en 2030 (avec notamment 8,8% à 9,2% pour l’hydroélectricité et 7% pour le solaire). Les énergies fossiles seraient ainsi amenés à compter encore pour les 56% restants (27% gaz naturel liquéfié et 26% charbon), sachant que l’électricité compte pour seulement 28% de la consommation d’énergie totale japonaise (très carbonée).
En outre, les électriciens japonais se tournent aujourd’hui vers les centrales à charbon pour combler les pertes liées à l’arrêt des centrales nucléaires (et du fait d’une production insuffisante d’électricité issue de sources renouvelables), « éloignant un peu plus le Japon de ses objectifs bas carbone », explique Sunil Félix.