Relance du nucléaire en France : les projets d'EPR et de SMR

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centrale nucléaire de Gravelines

Le site de Gravelines pourrait accueillir deux réacteurs EPR. (©Nord Littoral)

La relance du nucléaire en France marque un tournant stratégique dans la politique énergétique du pays, avec un engagement renforcé dans le développement de nouveaux réacteurs de type EPR (European Pressurized Reactor) et de petits réacteurs modulaires (SMR). Alors que les préoccupations environnementales et de sécurité avaient initialement conduit à une réduction de l’énergie nucléaire, la nécessité d’assurer une production électrique localement, stable et faible en carbone a réorienté les priorités. En anticipant une hausse des besoins énergétiques, notamment liée à l’électrification accrue des transports et des bâtiments, la France voit en cette relance une réponse aux défis climatiques et énergétiques à venir.

Ce projet ambitieux, porté publiquement par le président Macron, s’accompagne cependant de défis concrets, dont celui de la formation et du recrutement de personnel qualifié pour assurer la réussite de ce programme nucléaire modernisé.

Les origines d'un revirement idéologique

La France tire la majorité de son électricité du nucléaire.

Après l'accident de Fukushima en 2011, en parallèle de la montée des idées écologistes dans la société et face aux déboires autour de la construction de l'EPR de Flamanville, le nucléaire était vu par beaucoup comme une industrie du passé.

La crise sanitaire et son exigence accrue de souveraineté, y compris énergétique et industrielle, avait commencé à remettre le nucléaire en selle. L'arrêt de la centrale de Fessenheim en 2020 pour des raisons politiques a engendré la perte de ses 13 TWh de production annuelle au pire moment. Fin 2021, alors que s'amorce une crise énergétique sans précédent avec une baisse de la production électrique, une baisse des livraisons de gaz et une envolée des coûts, le nucléaire s'est offert un retour en grâce en France, tant auprès du Gouvernement que de la population. 

Alors qu'Emmanuel Macron avait repris à son compte l'engagement de réduire le nucléaire à 50% de la production électrique initié par François Hollande, il a opéré un virage progressif, jusqu'à assumer haut et fort son choix pro-nucléaire.

Le parlement a d'abord repoussé de 2025 à 2035, puis abrogé la loi fixant comme objectif de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique national, synonyme de fermeture d'une douzaine de réacteurs ; et plus aucune fermeture de centrale n'est prévue. A l'inverse même, puisque la relance du nucléaire a été actée. La France a aussi poussé pour que l'Europe classe le nucléaire comme énergie propre, un passeport pour les subventions "vertes".

Le nucléaire est de nouveau vu comme un atout énergétique, économique et climatique pour le pays, pouvant produire beaucoup à un prix abordable en occupant peu de place, pilotable, et sans émettre de gaz à effet de serre.

Anticipation des futurs besoins énergétiques

Dans son étude prospective des « futurs énergétiques 2050 », RTE détaillait en octobre 2021 le coût global du système électrique. Il ressort que dans le contexte d'une forte hausse de la consommation électrique, avec entre autres l'électrification des transports, du chauffage et de l'industrie, « construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) ».

Cette publication avait incité l'exécutif à accélérer son calendrier, alors que les décisions sur le nucléaire étaient jusqu'alors repoussées après le démarrage de Flamanville.

A sa lecture, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili avait déclairé : « RTE nous dit qu'il faut agir vite, donc la décision va être prise, et rapidement », en insistant que le "triptyque" nucléaire, économies d'énergie et renouvelables. « La consommation d'électricité augmente tout de suite, construire un nouveau réacteur nucléaire ce n'est pas avant 15 ans, donc les énergies renouvelables on en a besoin tout de suite », soulignait-on à l'Elysée.

Dans une commission parlementaire de mars 2023 visant « à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France », la première ministre Elisabeth Borne expliquait le sous-investissement dans le nucléaire par le fait qu'« en 2014, les informations qui étaient à ma disposition, c'étaient les bilans prévisionnels de RTE, qui prévoyaient une évolution de la consommation d'électricité stable ou en baisse. »

L'annonce de la relance

Moins de trois semaines après la publication du rapport de RTE, le président Macron annonce la relance du nucléaire en France : « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires ». Seul le chantier de l'EPR de Flamanville a été lancé au cours du siècle.

Le Gouvernement dira envisager de construire six EPR supplémentaires, en plus des investissements prévus dans de futurs petits réacteurs modulables (SMR), mais dont l'horizon de mise en service est plus lointain.

Le projet a pour but de « garantir l'indépendance énergétique de la France, pour garantir l'approvisionnement électrique de notre pays et atteindre nos objectifs, en particulier la neutralité carbone en 2050 », a fait valoir Emmanuel Macron. « Si nous voulons payer notre énergie à des tarifs raisonnables et ne pas dépendre de l'étranger, il nous faut tout à la fois continuer d'économiser l'énergie et d'investir dans la production d'énergies décarbonées sur notre sol. »

Détail du programme de relance

Emmanuel Macron a annoncé le grand plan de relance nucléaire à Belfort en février 2022.

« La décennie passée a été marquée par un doute international sur le nucléaire [...] Certaines nations ont fait des choix radicaux de tourner le dos au nucléaire. La France n'a pas fait ce choix, elle a résisté mais elle n'a pas réinvesti parce que ce doute était là [...] Il nous faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France. »

6 + 8 EPR

Le principal objectif est de construire six à quatorze EPR de seconde génération entre 2035 et 2050, afin d'installer 25 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires. Le parc nucléaire français en compte actuellement 61 GW. C'est EDF, appartenant entièrement à l'Etat, qui les construira et les exploitera, avec le soutien financier de l'Etat.

Les travaux préparatoires des deux futurs réacteurs de nouvelle génération EPR2 prévus à partir de 2035 sur la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime) ont été accordés par l'Etat par un décret du 3 juin 2024. Le Gouvernement prévoit de construire deux autres EPR2 à Gravelines et deux autres sur la centrale du Bugey. Les sites des huit réacteurs supplémentaires ne sont pas encore connus.

Nouveau carénage

Ensuite, le Gouvernement compte prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être au-delà de 50 ans. Aucun réacteur nucléaire en état de produire ne devrait avoir à fermer, sauf raison de sûreté.

La relance du nucléaire devrait coûter au minimum 51 milliards d'euros pour les six premiers nouveaux réacteurs et environ autant pour la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs existants qui le peuvent, hors gestion des déchets. Le coût de construction des six EPR2 a depuis été porté à 67,4 milliards.

SMR et réacteurs innovants

Enfin, l'investissement dans le développement des SMR a été confirmé, et celui dans des "réacteurs nucléaires innovants" annoncé.

Pour ces derniers, le Gouvernement a lancé en mars 2022 un appel à projet de 500 millions d'euros dans le cadre du plan d'investissement "France 2030". Il s'agit « d'introduire des innovations de rupture dans la recherche et développement de la filière nucléaire française, qu'il s'agisse de développer la production combinée d'électricité, de chaleur ou d'hydrogène, de favoriser la fermeture du cycle du combustible nucléaire et d'améliorer la gestion des déchets radioactifs, en permettant la réduction de leur volume ou de leur activité, ou d'améliorer la compétitivité de l'énergie produite, la sûreté et la sécurité nucléaires », détaillait le communiqué du Gouvernement.

La France soutient depuis plusieurs projets de réacteurs nucléaires innovants ; parmi lesquels figurent :

  • Naarea et Newcleo, qui ont reçu conjointement 25 millions d'euros.
  • Nuward, une filiale d'EDF créée début 2023, dédiée au développement de petits réacteurs modulaires (SMR).
  • GTA : un microréacteur à haute température développé par la start-up Jimmy Energy, destiné à fournir de la chaleur industrielle.
  • RF01 : un réacteur compact à fusion deutérium-tritium conçu par Renaissance Fusion.
  • Calogena : un réacteur modulaire porté par Gorgé visant à alimenter les réseaux de chaleur urbains.
  • Hexana : un réacteur à neutrons rapides capable de produire à la fois chaleur et électricité.
  • Otrera : un réacteur à neutrons rapides conçu pour le recyclage des combustibles usés.
  • Blue Capsule : un réacteur à haute température.

La loi de relance votée à l'Assemblée

Limitée à de nouvelles installations situées sur des sites nucléaires existants, ou à proximité, la loi vise à simplifier les procédures administratives pour réduire les délais de construction.

Les deux prochains EPR devraient être implantés à Penly, suivis de deux autres à Gravelines (Nord), avec l'objectif 2027 pour la première coulée de béton, et 2035-2037 pour la mise en service.

La loi a aussi acté la suppression du plafond de 50% de la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique français d'ici 2035.

Le défi de trouver les personnes qualifiées

Dans le rapport "L’outil de pilotage de l’adéquation besoins-ressources de la filière nucléaire pour être au rendez-vous de ses programmes" remis en avril 2023 à la ministre de la Transition énergétique et au ministre délégué chargé de l’Industrie, le GIFEN détaille « les capacités et besoins de la filière nucléaire à l’aube de sa relance ». Cette évaluation s'inscrit dans le cadre du programme « MATCH » du syndicat qui vise à « doter la filière d’un outil fiable et pérenne pour partager les prévisions de besoins en ressources humaines et techniques dans ses principaux segments d’activité sur 10 ans glissants, et orienter les actions nécessaires à l’adéquation de ses capacités ».

Le GIFEN y estime entre autres que les besoins en emplois équivalents temps plein (ETP) sur les 20 principaux segments d’activité de la filière(1) vont augmenter « d'environ 25% en 10 ans ». « Extrapolé à l’ensemble des 220 000 emplois de la filière nucléaire, le besoin prévisible serait d’environ 100 000 recrutements équivalents temps plein », estime le GIFEN pour la décennie à venir. Les métiers les plus demandés sont la chaudronnerie, dont les recrutements vont augmenter de 140% sur 10 ans, et le génie civil (+220%). Tous les niveaux de qualification et toutes les tranches d'âge sont concernés.

Les ministres ont demandé au Gifen de compléter cette étude d'ici l'été en intégrant « les enjeux d'exports nucléaire en Europe et la perspective de construction de réacteurs nucléaires en France et de petits réacteurs modulaires, au-delà des 6 premiers réacteurs EPR2 ».

L’Université des métiers du nucléaire (UMN, créée en avril 2021) a par ailleurs publié son plan d’action(2) détaillé sur les « compétences » de la filière.

Les questions en suspens

Les questions prioritaires qui demeurent avant le lancement d’un nouveau programme nucléaire en France :

  • Opportunité d’un programme nucléaire : L'État doit clarifier les besoins énergétiques futurs d'ici 2035-40, incluant la consommation électrique, le développement des énergies renouvelables, et les objectifs de sobriété et d'efficacité énergétique. La Commission regrette l'absence de ces informations en amont du débat, d'autant plus nécessaire avant le prochain débat parlementaire sur la loi de programmation énergétique.
  • Garanties de bonne fin et suivi des projets : La question de la coordination des nombreux acteurs de la filière est soulevée, notamment au vu des retards de l’EPR de Flamanville. La Commission recommande un dispositif de suivi des chantiers, sous la responsabilité de l'État, avec une transparence via un site internet ouvert au public. Si le nouveau chiffrage à 67,4 milliards au lieu des 51,7 milliards annoncés n'a été confirmé ni par EDF ni par l'Etat, il a ravivé les doutes sur la capacité de l'électricien à livrer ses chantiers dans les clous budgétaires et temporels, au point d'agacer le ministre de l'Economie Bruno Le Maire: « EDF doit apprendre à tenir ses coûts et son calendrier. »
  • Équilibre économique : Une estimation précise du coût du kWh nucléaire est demandée, ainsi que des détails sur le financement du projet, incluant la part d’autofinancement et le rôle des ressources publiques. Il est également souhaité que les responsables indiquent qui prendrait en charge les dépassements de coûts en cas de retard. M. Pouyanné a annoncé que TotalEnergies était prêt à signer des contrats de 15 à 20 ans pour aider à financer de nouveaux réacteurs.
  • Considérations éthiques et sécuritaires : Des clarifications sont attendues sur la gestion des risques, la gestion des déchets, et la stratégie de traitement de l’uranium, actuellement en partie sous-traitée en Russie. La Commission recommande d’anticiper les impacts sur le projet de stockage de déchets de Cigéo si de nouveaux réacteurs sont construits.

En outre, plus de 500 scientifiques de France ont signé en juin 2023 un appel contre « tout nouveau programme nucléaire ».

Et dans le monde ?

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), il faudrait plus que doubler les capacités nucléaires dans le monde d'ici 2050 pour respecter les objectifs de neutralité carbone.

La France, pays le plus nucléarisé au monde par habitant (56 réacteurs pour 68 millions d'habitants), s'est érigée ces dernières années en fer de lance européen de la relance de l'atome, à la tête d'une "alliance européenne du nucléaire" destinée à défendre la place du nucléaire dans les négociations ardues sur la réforme du marché de l'électricité de l'UE.

Les pays pro-nucléaire de l'OCDE se sont réunis à Paris en septembre 2023 pour accélérer le recours à cette énergie. Regroupant notamment des pays d'Europe de l'Est, cette alliance veut aussi construire des coopérations industrielles pour mettre fin à la dépendance de certains à l'égard de la Russie.

Des annonces qui tardent à se concrétiser

L'AIE estime que « le nucléaire est une partie intégrante de ce que devrait être notre mix énergétique ». « On assiste à un retour du nucléaire dans le monde », constatait le 18 septembre devant la presse le directeur de l'AIE Fatih Birol, en citant le Japon, le Canada, la Finlande, la Suède, la Chine, et les États-Unis. En 2022, 7,9 GW de capacités nucléaires ont été mises en service, soit une progression de 40% d'installations nouvelles par rapport à 2021. 

Mais relancer l'atome, tombé en disgrâce après la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima (2011), implique de nombreux défis : construire des filières de formation, une chaîne d'approvisionnement, trouver des financements adaptés à ces investissements longs et coûteux.

« Nous sommes face à une multiplication extraordinaire des annonces mais il ne se passe pas grand-chose sur le terrain », relativise Mycle Schneider, coordinateur du World Nuclear Industry Status Report. Du point de vue de l'AIE, la reprise de l'activité nucléaire va « continuer», à condition que les industriels livrent les chantiers « à temps et en respectant les coûts», alors que retards et dérapages budgétaires pèsent sur des projets comme Flamanville en France ou Hinkley Point au Royaume-Uni.

Au 1er juillet 2024, 408 réacteurs étaient en fonctionnement (367 GW), soit un de plus qu'un an plus tôt, mais loin du pic de 438 atteint en 2002. La part du nucléaire dans la production d'électricité est restée quasiment stable à 9,15% en 2023, et est en baisse.

Mi-2024, 59 réacteurs étaient en construction dans 13 pays, parfois depuis de nombreuses années, mais ces chantiers relèvent quasi-exclusivement de deux pays : la Chine pour son marché intérieur (27 réacteurs) et la Russie, leader du marché international avec 26 chantiers, dont 20 dans sept autres pays.

EDF confiant

Le PDG d'EDF, Luc Rémont, compte accélérer la capacité de construction nucléaire du groupe pour la porter de « 1 à 1,5 réacteur par an » en Europe dans la prochaine décennie, avait-t-il indiqué lors du salon mondial du nucléaire civil à Paris. EDF souhaite réduire à moins de six ans le délai de construction d'une centrale nucléaire. Cette montée en cadence devra se faire progressivement sur le reste de la décennie en vue d'arriver à ce rythme-là lors de la décennie suivante, sur son marché prioritaire, l'Europe.

« On a déjà fait quatre par an, dans les années 1970-80, mais c'était il y a longtemps, donc s'ils y sont arrivés, c'est que c'est possible », a souligné le dirigeant. « Dans toute industrie, vous cherchez l'effet de massification pour améliorer la compétitivité, c'est quelque chose qui n'a pas été possible dans les 20 dernières années parce qu'il y avait trop peu de projets », a expliqué M. Rémont. « A partir du moment où on sait qu'on va en faire un certain nombre, on organise la chaîne d'approvisionnement, on organise les travaux pour réaliser cette série, on y arrivera et on montera en cadence, comme dans toute industrie ».

Aujourd'hui, seules deux centrales dotées d'EPR d'EDF sont en marche dans le monde, en Finlande et en Chine. Le groupe a entamé des discussions aux Pays-Bas, en Slovénie, Pologne, Finlande et Suède.

Lancé en 1992 comme le top de la technologie nucléaire, sur une collaboration initiale franco-allemande, le réacteur pressurisé européen (EPR) a été conçu pour relancer l'atome en Europe, après la catastrophe de Tchernobyl de 1986, en promettant une sûreté et une puissance accrues. Mais le fleuron n'a eu de cesse d'accumuler les difficultés sur fond de perte de compétences dans la filière alors que la construction du dernier réacteur mis en service en France a commencé en 1991, 16 ans avant Flamanville.

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