- AFP
- parue le
L'Autriche, farouchement antinucléaire au point que son unique centrale n'a jamais fonctionné, ne décolère pas contre le projet de label "vert" en Europe pour l'atome et le gaz. Et portera plainte si Bruxelles persiste et signe.
"Aucune de ces deux formes d'énergie ne sont durables et n'ont donc aucune raison d'être incluses dans la taxonomie", la liste des activités pouvant bénéficier des avantages de la finance verte, déclare la ministre de l'Environnement Leonore Gewessler, dans un entretien à l'AFP. Depuis son bureau surplombant le Danube au cœur de Vienne, elle dénonce le "greenwashing" d'industries derrière la proposition européenne, envoyée par Bruxelles "le soir du réveillon du Nouvel an, une heure avant minuit !", s'emporte-t-elle.
Alors que la phase de consultations s'achève vendredi, l'Autriche redouble d'efforts, "d'échanges intensifs" pour convaincre ses partenaires européens de se joindre à son initiative. Pour l'instant, seul le Luxembourg s'est rallié à sa cause. Mais "des voix se sont clairement élevées contre le projet en Espagne, en Allemagne et dans d'autres pays", assure la responsable écologiste de 44 ans, au pouvoir depuis début 2020 au sein d'une coalition inédite avec les conservateurs.
« Énergie du passé »
"Désormais, la balle est dans le camp de la Commission. Si elle va de l'avant, alors nous lancerons une procédure" pour nullité devant la Cour de justice de l'UE (CJUE), martèle-t-elle, se disant "confiante".
Le document fixe les critères permettant de classer comme "durables" les investissements dans des centrales nucléaires ou à gaz pour la production d'électricité, avec pour objectif de favoriser les activités contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Or selon Mme Gewessler, le nucléaire "ne répond pas aux critères, en particulier celui de ne pas causer de dommages importants à l'environnement". "La question du stockage définitif des déchets est en suspens depuis des décennies. C'est comme si nous donnions à nos enfants un sac à dos en leur disant : Vous allez résoudre ça un jour", résume la ministre, évoquant aussi le risque d'accidents comme à Fukushima (Japon) en mars 2011. Pour elle, le nucléaire est "une énergie du passé", "trop onéreuse" pour lutter contre le changement climatique.
Le projet est cependant défendu par la France et de nombreux pays d'Europe centrale et orientale qui font valoir que les énergies renouvelables (éolien, solaire...), déjà labellisées par la Commission, souffrent de production intermittente et ne permettront pas, à elles seules, de répondre aux besoins en électricité.
Centrale fantôme
L'Autriche, qui tire plus de 75% de son électricité de sources renouvelables, essentiellement grâce à un riche potentiel hydroélectrique, et vise 100% d'ici 2030, n'en est pas à son premier combat européen contre l'atome. En juillet 2015 déjà, elle avait porté plainte pour contester le subventionnement par Londres de la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point par le français EDF. Un recours rejeté en 2020 par la CJUE.
C'est dès novembre 1978 que ce pays alpin d'Europe centrale a tourné casaque en disant à 50,5% non au nucléaire lors d'un référendum. L'unique centrale du pays, qui devait entrer en service quelques jours plus tard, dresse toujours sa cheminée massive, à une heure de route de Vienne. Elle est précieusement conservée en l'état, y compris les téléphones de la salle de contrôle dotés à l'époque d'une ligne directe avec le chancelier en cas d'urgence.
Les curieux peuvent la visiter, tout comme des experts du secteur venant s'informer sans risques sur le démantèlement des centrales dans cette maquette à taille réelle qui n'a jamais abrité de combustible radioactif. "C'est la seule centrale nucléaire au monde qui a été construite et n'a pas été mise en service", souligne Stefan Zach, porte-parole du groupe électrique autrichien ENV, propriétaire du site. "Ce fut un choc non seulement pour les 200 employés prêts à s'atteler au travail mais aussi pour le pays entier", dit-il, dans l'étrange silence du lieu.
Quelques mois plus tard, la catastrophe de Three Mile Island (États-Unis), puis en 1986 de Tchernobyl (Ukraine), ont cependant conforté les Autrichiens dans leur décision, selon M. Zach. "Construire un site nucléaire serait impensable aujourd'hui en Autriche", dit-il. Tout en regrettant que malgré une interdiction inscrite dans la loi en 2015, son pays continue à importer de l'électricité, notamment issue du nucléaire, pour combler ses besoins énergétiques.