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Sur un marché proche de Kaboul, le charbon arrive par tonnes depuis les mines du nord de l'Afghanistan. Bientôt, de nombreux habitants le brûleront pour se chauffer et respireront l'un des airs les plus pollués au monde, faute d'alternative en cet hiver de grave crise économique.
Chez les quelque quarante employés d'Abdullah Rahimi, un des gérants du marché, pas un centimètre de peau ne semble avoir échappé à la poussière noire. Le charbon s'est glissé au plus profond des rides des aînés. Il est déjà bien installé sous les ongles des plus jeunes, dans leurs bronches aussi probablement, alors que certains n'ont même pas 15 ans. Ils se lancent des blocs de charbon pour vider les camions, poussent des brouettes chargées de sacs, font des tas à coup de pelle, chargent les véhicules des clients.
"Le salaire dépend du nombre de clients. En moyenne, on gagne entre 200 et 300 afghanis par jour" (entre 1,90 et 2,85 euros), explique l'un d'eux, Abdul Ghafar Karimi, 35 ans. Avant, il était mineur et mieux payé, "500 afghanis par jour" (4,75 euros). Mais il a changé de travail, car c'était "trop dangereux". Tous les ans, les accidents dans les mines afghanes font plusieurs morts. "Les gens viennent sur ce marché parce que c'est moins cher que dans Kaboul", explique Abdullah Rahimi : 10 000 afghanis (95 euros) la tonne de charbon, contre plus de 14 000 (132 euros) en ville.
Brouillard toxique
Ici, on est loin des discussions de la COP26 qui ont eu lieu au début du mois à Glasgow (Écosse) pour lutter contre le changement climatique, et ont désigné le charbon parmi les principaux responsables. Sur le marché, les travailleurs n'en ont pas entendu parler.
L'Afghanistan, l'un des pays les plus pauvres du monde, en reste un modeste pollueur. En 2018, un Afghan émettait en moyenne 75 fois moins de CO2 qu'un Américain (0,2 tonne métrique de CO2 par an, contre environ 15), selon la Banque mondiale.
Mais la pollution fait des ravages à Kaboul. Tous les hivers, l'air de la capitale, située à 1 800 mètres d'altitude, devient lourd et nocif à cause des fumées des chauffages domestiques au charbon, au bois et tout autres rebuts pouvant être brûlés, des ordures ménagères aux pneus de voitures. Des montagnes environnantes, on voit alors clairement l'épais nuage de pollution qui recouvre la cuvette où vivent au moins 5 millions d'habitants.
Dimanche, selon le site de la société suisse IQ Air qui mesure la pollution aérienne dans le monde, Kaboul était la sixième pire ville du globe pour la qualité de l'air, derrière New Delhi (Inde) et Lahore (Pakistan), enveloppées ces jours-ci d'un épais brouillard de pollution toxique.
"Si on avait de l'électricité et du gaz, les gens n'utiliseraient pas le charbon", souligne Abdullah Rahimi. "Mais c'est assez abordable" et ils ne peuvent "pas faire autrement". "Le réchauffement climatique est un problème pour le monde entier. Nous en sommes conscients ici. Il fait de plus en plus chaud, nous n'avons plus de neige tous les hivers comme avant", souligne un client, Amanullah Daudzai, vêtu d'un shalwar kamiz beige, l'ample habit traditionnel afghan.
« Affaires à zéro »
"La pollution provoque de graves maladies respiratoires", et "tous les Afghans savent ce que le charbon fait", poursuit-il. "Mais c'est moins cher". Mais à Kaboul, l'environnement est loin d'être le premier motif d'inquiétude. Depuis que les talibans ont repris le pouvoir en août, l'aide internationale s'est tarie et l'économie est en partie à l'arrêt. Le chômage explose, des salaires ne sont plus payés, la misère et la faim s'étendent. Et le charbon se vend moins.
"Avant on vendait le chargement d'un ou deux camions en une journée. Maintenant, il nous faut 15 ou 20 jours", soupire Abdullah Rahimi. Les prix du charbon ont augmenté de 9% depuis un an, notamment à cause du transport plus cher. Mohammad Yusuf Mangal, un agent immobilier de 21 ans, vient lui d'acheter cinq tonnes après négociation. Il lui en faudra six de plus pour se chauffer tout l'hiver. "Les affaires sont à zéro" mais "nous devons acheter du charbon pour survivre" à l'hiver, dit-il.
Sur un autre marché, Sharifa Atayee, une veuve de 38 ans avec cinq enfants à charge venue se renseigner sur les prix, renonce : "C'est trop cher cette année", dit-elle. Elle ignore quand elle pourra en racheter. Avant, elle travaillait dans la police, mais n'a plus d'emploi depuis l'arrivée des talibans. Désormais sans salaire, elle a beau avoir vendu tout son or et ses bijoux, cela ne suffit plus.