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Gerardo Salluco s'apprête à passer sa deuxième nuit dans une longue file de bus qui attendent l'ouverture d'une station-service vide de carburant gardée par deux soldats. Une scène devenue habituelle, reflet d'une Bolivie en crise, en manque depuis un an de carburant et de devises.
Une division par 2 des exportations de gaz entre 2013 et 2022
L'époque du "miracle économique", avec la nationalisation de l'industrie gazière en 2006 par le gouvernement du président socialiste Evo Morales (2006-2019) générant subsides pour l'État, est terminée.
Faute d'investissement dans l'exploration, le gaz n'est plus le moteur de l'économie, et le lithium, ressource clé de la transition vers les énergies propres, dont la Bolivie possède d'énormes ressources avec l'Argentine et le Chili voisins, ne l'a pas remplacé.
En 2022, les exportations de gaz ne représentaient plus que la moitié de celles réalisées en 2013, année record.
Le carburant, lui, est importé, et le pays puise depuis longtemps dans ses réserves de dollars pour maintenir les subventions appliquées pour le maintenir à un prix abordable et acheter une paix sociale.
Malgré des files d'attente, la compagnie pétrolière publique YPBF affirme que l'approvisionnement "est garanti". Selon elle, le problème vient en grande partie des rumeurs de pénurie qui circulent sur les réseaux sociaux et génèrent une "surdemande" de carburant.
« Dans une mauvaise passe »
Le jour est sur le point de tomber et Gerardo Salluco dans son bus espère toujours que la file avance enfin. "Il n'y a pas de diesel", peste le chauffeur de 49 ans qui transporte des passagers entre Bolivie et Chili. "C'est épuisant d'attendre, parce que soudain ils commencent à vendre, alors il faut être être attentif", dit M. Salluco, qui juge son pays "dans une mauvaise passe, il n'y a pas de raison de le nier".
Même scène à El Alto, ville voisine de La Paz et bastion politique de la gauche au pouvoir, où Claudio Laura a également arrêté son camion-citerne dans une longue file de véhicules qui mène à une station-service en rupture de stock. "Je suis arrivé à quatre heures et je suis bon pour dormir ici ce soir", explique le chauffeur de 33 ans, qui importe du carburant du Pérou ou du Chili, mais qui lui aussi a le réservoir à sec.
Le syndicat des transporteurs de marchandises avait appelé la semaine dernière à un blocage des routes pour protester contre la pénurie, que le gouvernement est parvenu à désamorcer.
« Faire diversion »
Confrontée à la baisse des revenus du gaz, la Bolivie a également dû injecter des devises étrangères dans son système financier, et voit s'épuiser son bas de laine. Il y a dix ans, l'État disposait d'un solde de trésorerie de 15,122 milliards de dollars, tombé à 1,796 milliard de dollars le mois dernier.
Le dollar avec lequel se paient les importations est devenu une denrée rare. La Banque centrale de Bolivie (BCB) a fixé son taux à 6,96 bolivianos mais sur le marché noir, le billet vert s'échange 30% au-dessus. Les banques n'autorisent pas de retraits supérieurs à 100 dollars par jour.
Minerva Ruelas, 27 ans, qui travaille dans la maintenance d'équipements de radiologie, attend devant le bureau d'une compagnie maritime de pouvoir régler un de ses fournisseurs à l'étranger avec les dollars qu'elle a réussi à rassembler. "Pour l'instant, je veux juste faire partir la cargaison dont j'ai besoin", dit-elle.
En plus de sa situation économique, le pays est embourbé dans le conflit politique entre MM. Arce et Morales qui cherchent tous deux l'investiture du parti dominant, le Mouvement vers les socialisme (MAS) en vue de la présidentielle de 2025.
Et le coup d'État militaire avorté mercredi contre le président Arce, que M. Morales dénonce être "un auto-coup d'État", ne rassure pas les Boliviens sur la marche du pays. "C'est pour faire diversion", juge Gerardo Salluco au volant de son bus vide de carburant, ne sachant à quelle théorie se fier : "Mais la réalité c'est qu'il n'y a pas de dollars, pas de diesel, et qu'on doit faire la queue".