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Les réservoirs de pétrole de la grande raffinerie du Soudan naguère d'un blanc immaculé sont aujourd'hui noirs comme du charbon, dévastés par les incendies et destructions de la guerre depuis près de deux ans entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Une capacité de raffinage de 100 000 barils de pétrole par jour
Construite dans les années 2000 par le gouvernement soudanais et une compagnie chinoise pour un montant de 2,7 milliards de dollars, la raffinerie d'Al-Jaili, située à 70 km au nord de Khartoum, est aujourd'hui un immense corps inanimé.
À l'intérieur, les carcasses d'imposants réservoirs de stockage sont couvertes de suie, le sol est jonché de tuyaux tordus et des flaques de pétrole et d'eau sombre maculent le sol, tandis que les arbres qui bordaient l'installation se sont recroquevillés sous la chaleur. Les salles de contrôle, où les ingénieurs supervisaient alors les opérations, sont hors d'usage.
Ce complexe était devenu un enjeu stratégique dès le début du conflit sans merci qui oppose depuis le 15 avril 2023 le commandant de l'armée et dirigeant de facto du Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhane, à son ex-adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, à la tête des FSR.
D'abord tombé aux mains des paramilitaires, il a été repris par l'armée en janvier dernier à l'issue d'une violente bataille. "Des unités ont été complètement détruites et d'autres sections doivent être entièrement remplacées", se lamente devant l'AFP Sirajuddin Muhammad, directeur adjoint de la raffinerie et responsable de la maintenance, en montrant des équipements hors service.
Le complexe pouvait raffiner 100 000 barils jour du pétrole extrait au Soudan du Sud, selon le responsable. Sa fermeture a aggravé la crise économique des deux pays. "La raffinerie était cruciale pour le Soudan, car elle couvrait 50% des besoins en essence du pays, 40% de ses besoins en diesel et 50% de ses besoins en gaz à usage domestique", a déclaré à l'AFP l'économiste Khalid el-Tigani. "Avec sa fermeture, le Soudan a été contraint de compter sur les importations pour combler le déficit, le carburant étant désormais acheté par le secteur privé à l'aide de devises étrangères", ajoute-t-il.
Une reprise des activités très lointaine
La raffinerie d'Al-Jaili a été l'enjeu d'une féroce bataille, et en janvier, elle a été incendiée. Chacun des deux camps se rejette la responsabilité. L'armée a accusé les FSR de l'avoir délibérément incendiée dans "une tentative désespérée de destruction des infrastructures du pays". Pour sa part, les paramilitaires affirment que les installations ont été touchées par des "barils d'explosifs", largués depuis des avions militaires.
Des images satellite, vues par l'AFP, montraient d'épais panaches de fumée s'élevant de la raffinerie lors de l'attaque du 23 janvier.
Une équipe de l'AFP s'est rendue mardi sur place sous escorte militaire, traversant des kilomètres de quartiers abandonnés et de véhicules détruits. L'atmosphère y est saturée par l'odeur âcre du pétrole brûlé. Les destructions sont estimées à 1,3 milliard de dollars, selon son directeur adjoint. Pékin conserve toujours une participation de 10%, tandis que le gouvernement soudanais contrôle le reste.
La reprise des activités est un défi de taille. "Certaines pièces doivent être fabriquées dans leur pays d'origine et c'est donc la Chine qui détermine le calendrier des réparations auquel il faut ajouter les délais de livraison", explique M. Muhammad.
Un ingénieur de la raffinerie, s'exprimant sous couvert d'anonymat car il n'était pas autorisé à commenter, a déclaré à l'AFP que si "le Soudan recevait les financements nécessaires, il faudrait encore au moins trois ans pour que l'usine reprenne ses activités". Or le pays connaît une sévère crise économique. Les combats ont décimé les infrastructures et le dollar s'échange à 2 400 livres contre 600 avant la guerre.
Reprise des exportations de pétrole en janvier dernier
Après la sécession du pays en 2011, les trois quarts des réserves se sont retrouvée au Soudan du Sud, mais en raison de l'enclavement de ce nouveau pays créé en 2011, le pétrole est transporté par des oléoducs traversant le Soudan, avant d'être expédié via Port-Soudan.
En contrepartie, Khartoum perçoit des droits de transit, une source de revenus essentielle que la guerre a mise en péril.
En février 2024, un oléoduc essentiel reliant le Soudan du Sud au Soudan a été rompu à la suite d'affrontements entre l'armée soudanaise et les RSF. Les exportations ont été interrompues pendant près d'un an, pour ne reprendre qu'en janvier 2025", dit M. el-Tigani : "Pourtant, c'est le Soudan qui a été le plus durement touché économiquement".