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"Un bras d'honneur à l'industrie française": le très urbain patron du groupe Saint-Gobain, Benoit Bazin, n'a pas pris de gants pour critiquer publiquement les tarifs jugés prohibitifs de l'électricité proposés aux industriels par EDF, dont l'Elysée a annoncé vendredi le remplacement du patron Luc Rémont.
Des chimistes aux fonderies d'acier ou d'aluminium, en passant par les verriers ou les papetiers, partout en France les responsables des industries de base, grandes consommatrices d'énergie, font remonter depuis des mois au gouvernement leurs difficultés à survivre face à une concurrence exacerbée, mais aussi à l'intransigeance d'EDF sur ses tarifs pour l'après 2025.
"Le prix de l'électricité pourra doubler, c'est +100%. Donc il n'y aura pas de maintien de l'industrie en France voire de réindustralisation et de décarbonation si on marche sur la tête comme on est en train de marcher sur la tête", a déclaré le patron du géant des matériaux de construction sur BFM jeudi.
Au centre des critiques, la décision annoncée début mars par EDF de mettre aux enchères - c'est-à-dire de vendre au plus offrant - des quotas d'électricité alors que l'électricien s'était engagé en novembre 2023 à proposer de l'électricité sous forme de contrat à long terme à tarif compétitif aux industriels.
"C'est un bras d'honneur à l'industrie française, c'est pas possible", a jugé M. Bazin, dont le groupe fait tourner plus de 900 usines dans le monde.
"L'industrie française ne peut pas fonctionner avec une entreprise nationale qui a été construite avec le contribuable français et qui aujourd'hui ne remplit pas sa mission de partenariat historique avec l'industrie française", a-t-il estimé.
- "Pas" une "sanction" -
Depuis plus d'une décennie, les gros clients d'EDF disposent d'une électricité à prix cassé, à 42 euros du megawattheure, bénéficiant d'une décision bruxelloise qui avait imposé à EDF la création d'une forme de concurrence pour tenter d'amoindrir son monopole de fait.
Baptisé Arenh, le système impose à EDF de céder à des concurrents, distributeurs ou industriels "électro-intensifs" (gros consommateurs) des quotas d'électricité à bas prix.
Il a été mal vécu par EDF, qui vendait de fait en dessous de son prix de revient, et s'enfonçait dans les problèmes financiers alors qu'il est lui même confronté à des besoins gigantesques d'argent frais pour financer le nouveau programme nucléaire annoncé par l'Elysée et ses six nouveaux réacteurs.
Or les négociations commerciales pour remplacer le système Arenh qui prend fin en décembre 2025, n'aboutissent pas et ont tourné récemment au bras de fer.
Le ministre de l'Energie et de l'Industrie Marc Ferracci, soucieux d'éviter une désindustrialisation du pays, a multiplié ces dernières semaines des visites d'usines.
Partout, les chefs d'entreprise lui font part des difficultés à négocier et obtenir des tarifs d'électricité acceptables pour leur compétitivité. Un sommet sur l'acier a été organisé récemment à Bercy, où le prix de l'énergie a été au coeur des débats. L'industrie chimique se dit aussi étranglée.
- "lever le crayon" -
M. Ferracci s'est notamment rendu début mars à l'aciérie Riva en Seine-et-Marne, qui fait fonctionner les hauts fourneaux dans lesquels elle recycle des ferrailles uniquement la nuit afin de coller aux heures creuses de son contrat de fourniture énergétique.
Vendredi, le président de l'association réunissant les industriels gros consommateurs d'énergie (Uniden), Nicolas de Warren, a néanmoins réfuté l'idée que l'industrie ait eu la peau de M. Rémont.
"Nous, les clients, représentons des centaines de millions d'euros alors que l'enjeu du financement du nucléaire, c'est une question à 70 milliards d'euros, autrement plus compliquée à résoudre", a-t-il dit à l'AFP.
Une source gouvernementale a affirmé à la presse que le départ de M. Rémont n'était "pas" une "sanction". "Le coeur de la raison de la nomination, c'est vraiment l'enjeu industriel, ce n'est pas le sujet de la politique commerciale", a ajouté une source étatique proche du dossier.
"L'essentiel est que l'industrie reste en France et que l'on maximise l'atout nucléaire en même temps", a prudemment résumé de son côté M. de Warren.
Avec une industrie qui fait face à un "ralentissement incontestable", et beaucoup de projets d'investissement qui "tombent les uns après les autres", ce qui est "prioritaire", c'est "que les industriels aient de la visibilité", a-t-il souligné. "Sinon, ils vont lever le crayon sur tous les projets de décarbonation, qui à 80% sont des projets d'électrification".
Un cadre dirigeant d'EDF qui a requis l'anonymat interrogé par l'AFP a résumé les enjeux de cette guerre commerciale, vue de l'intérieur du groupe:
En dépit de résultats 2024 "extrêmement positifs", "les murs d'investissements sont encore devant nous et donc s'il n'y a pas (...) suffisamment de rentrées d'argent, l'entreprise aura du mal à continuer son endettement, c'est vraiment une problématique financière".
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