Rédacteur énergie
Alors que les voitures électriques à batteries battent des records de vente en Norvège, en Suisse et aux Pays-Bas, d'étranges propos ont été tenus récemment dans les médias sur leur bilan environnemental.
Parmi ces propos, on peut entre autres citer l’ingénieur belge Damien Ernst (honoré de la médaille Blondel(1) il y a quelques mois à Paris). Dans le cadre d'un article-vidéo pour la RTBF(2), il a affirmé qu’en prenant en compte le CO2 émis par la fabrication de la batterie d’une voiture électrique, « ce n’était qu’à partir de 697 612 km parcourus que l’on pouvait considérer que le véhicule électrique émettait moins de CO2 qu’une voiture à essence ».
En réalité, la majorité des différentes études auxquelles il est aujourd’hui fait référence sur ce sujet reposent sur des données dépassées. Dans le domaine des voitures électriques à batterie, tout va très vite.
Le chercheur hollandais Auke Hoekstra, spécialiste en bilans carbone et en électro-mobilité de l'université d'Eindhoven, a ainsi répondu(3) à Damien Ernst en se basant sur la littérature scientifique et les données de l'industrie les plus récentes. Il souligne que fabriquer 1 kWh de stockage par batterie n'émet à présent plus que 65 kg de CO2.
Damien Ernst a accepté de corriger partiellement ce qu'il avait déclaré mais Auke Hoekstra a publié un article plus détaillé(4) précisant qu'avec le mix électrique moyen de l'UE en 2018 (émettant 296 g CO2/kWh), la voiture électrique devient plus avantageuse que la voiture thermique en matière d’émissions de CO2 dès 30 000 km en moyenne pour l’UE (le mix électrique de la France est 5 fois moins carboné que la moyenne européenne). Ajoutons que la voiture à batterie est également pertinente sur le plan des émissions de CO2 avec le mix électrique allemand qui était de 382 g CO2/kWh en 2018(5), ce qui est bien moins que les 550 g CO2/kWh retenus dans de nombreux rapports.
Même la revue scientifique Nature illustre ce problème d’actualisation des données. Dans un édito publié le 11 avril 2019(6), elle affirme que seul « un faible taux de moins de 5% » des batteries lithium-ion sont « actuellement » (« currently ») recyclées en Europe. Ce qui a suscité l'indignation légitime du spécialiste Hans Eric Melin de l'agence Circular Energy Storage basée à Londres, auteur d'un rapport récent publié par l'Agence Suédoise de l'énergie sur le thème de la réutilisation et du recyclage des batteries(7).
En réalité, Nature se réfère à un article de The Guardian qui date de 2017(8), ce qui n’est déjà plus vraiment « actuel ». Pis encore, l'article du quotidien britannique, qui n'est pas une publication scientifique peer-reviewed, se base quant à lui sur un document de l'ONG Friends of The Earth datant de 2013(9). Le terme « actuellement » prend alors un sacré coup de vieux. Et ce n'est pas fini, le document de l’ONG est lui-même basé sur un document de l’European Battery Recycling Association datant de...2010(10). Les données utilisées par Nature correspondent in fine à un rapport rédigé près d’une décennie plus tôt, dont le contenu est contestable.
Sur les réseaux sociaux, Hans Eric Melin nous interpelle(11) par quelques réflexions : l’article de Nature, « la principale revue scientifique, sera référencée pendant des années par d'autres journalistes, chercheurs et tweeters, affirmant que 5% seulement des batteries lithium-ion sont recyclées en 2018. Bien que leur nombre date de 2010. Et ce n’était même pas correct à ce moment-là ».
Dire que « les batteries ne sont pas recyclées en Europe ne veut pas dire qu'elles ne sont pas recyclées du tout. Il y a quelque chose qui s'appelle l'export » souligne Hans Eric Melin. Les batteries consommées en Europe sont en effet exportées vers l'Asie en fin de vie... où elles sont bel et bien recyclées. Pour le spécialiste, « il est compréhensible qu'un rédacteur en chef d'une revue scientifique générale n'ait pas une connaissance détaillée » mais il est « plus difficile à comprendre » que Nature mélange dates et… données.
Bruno Bensasson, PDG d’EDF Energies Nouvelles, a posé le 10 avril 2019 sur Twitter(12) une question toute aussi pertinente sur les coûts du solaire photovoltaïque : « Oui, il y a 10 ans le solaire coûtait 500 €/MWh et les Français le payent encore. Mais depuis les prix ont été divisés par 10 […] pour dessiner un parc optimal, on regarde les coûts actuels ou passés ? »
Sources / Notes
Titulaire d'un DESS Environnement, Olivier Daniélo rédige en particulier des articles sur le thème de l'Electron Economy et a notamment collaboré pour des médias tels que la Revue Politique et Parlementaire, la Revue Systèmes solaires et le magazine Biofutur.
- La médaille Blondel, est décernée chaque année par la Société de l'électricité, de l'électronique et des technologies de l'information et de la communication (SEE) à des auteurs (de moins de 45 ans) de travaux d'exception dans les domaines de la science et de l'industrie électrique.
- « Voiture électrique : 697 612 km pour devenir verte ! Vrai ou faux ? », Damien Ernst.
- Tweets d’Auke Hoekstra.
- « Correcting misinformation about greenhouse gas emissions of electric vehicles : Auke Hoekstra’s response to Damien Ernst’s calculations », Innovation Origins, mars 2019.
- The European Power Sector in 2018, Agora Energiewende (page 27).
- « Recycle spent batteries », Éditorial du 11 avril 2019 de Nature.
- « This is the state-of-the-art in lithium-ion battery reuse and recycling research », Hans Eric Melin, 29 mars 2019.
- « The rise of electric cars could leave us with a big battery waste problem », The Guardian, 10 août 2017.
- Étude sur le lithium de Friends of the Earth Europe, février 2013.
- « European Battery Recycling Association, 2010: a year of contrasts: further growth in the primary sector but temporary decrease in the Li-Ion recycling market », 15 November 2011.
- Tweets du 12 avril 2019 d’Hans Eric Melin.
- Tweet du 10 avril 2019 de Bruno Bensasson.