Chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)
Professeur à Novancia
Le président américain Donald Trump a lancé en janvier 2018 un ultimatum aux Européens : si ces derniers ne mettent pas fin aux « terribles défauts » de l’accord sur le nucléaire iranien avant le 12 mai 2018, les États-Unis s’en retireront.
Le président américain considère qu’il faut modifier deux éléments :
- cet accord ne doit plus être limité dans le temps (l’accord prévoit que les contraintes limitant le développement du programme nucléaire iranien durent 10 ans) ;
- le régime de visites des sites nucléaires doit être basé sur le principe « n’importe quand, n’importe où ».
Parallèlement, Donald Trump considère que l’Iran ne respecte pas « l’esprit » de l’accord à travers le développement de son programme balistique et son rôle « déstabilisateur » dans la région.
Un tel ultimatum pose de nombreux défis à l’Europe. Tout d’abord, il est important de rappeler que l’Europe a joué historiquement un rôle fondamental dans les négociations conduisant à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Dès octobre 2003, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (« E3 » (1)) ont négocié et obtenu de l’Iran un premier accord (l’Accord de Téhéran) pour qu’il arrête d’enrichir de l’uranium. Puis, suite à une collaboration des « E3 » avec Javier Solana, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, un nouvel accord, l’Accord de Paris, a été conclu en 2004 pour prolonger l’Accord de Téhéran.
En janvier 2006, quand l’Iran a, suite à l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, recommencé à enrichir de l’uranium, l’« E3 »/UE a été élargi à la Chine, la Russie et les États-Unis. Par la suite, l’« E3 »/UE a joué un rôle décisif dans les négociations qui ont abouti à l’accord de juillet 2015, basé sur une limitation du programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions liées à ce programme (et votées par les Nations unies, l’UE et les États-Unis).
La position européenne résulte de la nécessité de préserver la stabilité au Moyen-Orient et non pas de défendre des intérêts économiques.
La position européenne par rapport à l’accord de 2015 est claire(2). Cet accord a permis d’éviter une militarisation du programme nucléaire iranien et de diminuer les tensions qui auraient pu conduire à une guerre. Cet accord marche : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé 10 fois que l’Iran remplit ses obligations. Dans ces conditions, une sortie des États-Unis de l’accord, et donc une fin probable de ce dernier, pourrait contribuer grandement à déstabiliser la région, accroître les risques de prolifération nucléaire, et conduire à un Iran plus radical. Cette position européenne résulte de la nécessité de préserver la stabilité au Moyen-Orient et non pas de défendre des intérêts économiques (les exportations de l’UE vers l’Iran ne représentent que 0,5 % des exportations totales de l’UE).
Par ailleurs, l’UE est opposée à une renégociation de l’accord, considérant qu’une telle stratégie pourrait conduire à de nouvelles demandes de l’Iran et se rappelant qu’il a fallu plus d’une dizaine d’années pour aboutir à l’accord de 2015. L’UE partage les inquiétudes américaines concernant le programme balistique iranien ou le rôle « déstabilisateur » de l’Iran dans la région mais elle considère que ces questions ne font pas partie de l’accord sur le nucléaire. Pour l’UE, la meilleure stratégie pour régler ces problèmes est de discuter avec l’Iran : un « Dialogue structuré » a été ouvert entre l’« E3 » + l’Italie avec l’Iran en janvier 2018 pour évoquer ces sujets.
Il existe un véritable mécontentement en Iran lié au fait qu’aucune grande banque européenne n’a recommencé à travailler avec ce pays.
Mais surtout, pour les Européens, la meilleure manière d’arriver à négocier avec l’Iran est de convaincre ses dirigeants qu’ils ont intérêt à le faire. Il faut donc qu’en premier lieu, l’Iran tire tous les bénéfices économiques de l’accord de 2015. Or, si l’économie iranienne a bénéficié de l’accord grâce, notamment, à la fin de l’embargo pétrolier, il existe un véritable mécontentement en Iran lié au fait qu’aucune grande banque européenne n’a recommencé à travailler avec ce pays. La raison est à chercher outre-Atlantique : du fait de l’existence de sanctions américaines non liées au nucléaire et des très sévères amendes qu’ont dû payer certaines banques européennes (comme BNP Paribas) pour ne pas avoir respecté des sanctions américaines, aucune grande banque du Vieux Continent ne veut prendre le risque de travailler en Iran.
La stratégie européenne a donc deux volets. Il faut tout faire pour convaincre le président américain que les États-Unis doivent rester dans l’accord et que discuter avec l’Iran sur les autres sujets de discorde est la meilleure stratégie possible, notamment si l’Iran perçoit que l’accord sur le nucléaire marche et qu’il en tire tous les bénéfices attendus. Parallèlement, l’UE se prépare à un retrait américain en préparant notamment des procédures qui protègeraient les entreprises européennes des sanctions américaines, suspendues en juillet 2015 et donc réactivées si les États-Unis se retiraient. En définitive, l’UE considère que le dialogue est la meilleure stratégie pour travailler avec l’Iran, mais cela implique que l’accord sur le nucléaire soit aussi vu comme une réussite en Iran.
Dans un tel contexte, que peut-on retenir de la visite d’Emmanuel Macron aux États-Unis ? Très clairement, le président français a défendu le premier volet de la stratégie présentée au-dessus : s’appuyer sur l’accord sur le nucléaire de 2015 pour négocier d’autres accords avec l’Iran sur son rôle régional, son programme balistique et le futur de l’accord de 2015 (qui s’achèvera vers 2025). Parallèlement, il a sûrement mis en garde le président américain face aux risques d’une sortie américaine de l’accord.
Va-t-il être entendu ? C’est très difficile à dire. D’une part, le président américain semble suivre une logique de politique interne impliquant la réalisation des promesses faites lors de la campagne électorale, dont celle de déchirer l’accord sur le nucléaire de 2015. D’un autre côté, un retrait américain de l’accord de 2015 peut conduire à une réaction en retour de l’Iran qui a menacé de recommencer à enrichir de l’uranium à 20% ou même de sortir du TNP. En outre, une sortie américaine de l’accord pourrait rendre l’Iran plus « agressif » dans sa politique régionale. Les autorités américaines se rendent sans doute compte qu’il sera très difficile de négocier quoi que ce soit avec l’Iran sur tous les sujets (politique régionale, programme balistique, après-accord de 2015) s’ils commencent par sortir de l’accord de 2015.
Ces incertitudes signifient que les Européens doivent également préparer un « plan B » (le deuxième volet de la stratégie exposée plus haut). Compte tenu des risques induits par une sortie américaine de l’accord, il est possible que les autorités américaines puissent accepter que leurs sanctions (qui devraient être réappliquées(3) si les États-Unis sortent de l’accord) n’aient aucun caractère extraterritorial. Ceci pourrait donner la possibilité aux Européens de convaincre l’Iran de rester dans l’accord. Parallèlement, les Européens sont également en train de préparer des procédures juridiques visant à protéger les entreprises européennes de sanctions extraterritoriales américaines ainsi que des modes de financement publics permettant de compenser l’absence des grandes banques européennes. Il faut également que, in fine, les Européens, et ce n’est pas gagné, arrivent à convaincre les autorités iraniennes que l’Iran a intérêt à rester dans l’accord du fait des garanties européennes que les échanges économiques avec l’Iran ne seront pas affectés par la décision américaine de sortir de Barjam(4).
Au total, on peut quand même saluer la position européenne qui défend par son action diplomatique auprès des États-Unis un objectif de maintien de la stabilité au Moyen-Orient. On peut également noter qu’au sujet de l’Iran comme pour d’autres questions, le caractère radical et plutôt imprévisible de la politique américaine donne plutôt une chance à la diplomatie européenne de s’affirmer. Espérons qu’elle saura la saisir.
Sources / Notes
- Ce groupe informel « E3 » se situait initialement en dehors des structures officielles de l’UE en charge de la politique étrangère européenne.
- On peut noter qu’il existe une grande convergence de vue à ce sujet au sein des « E3 » et qu’en dépit du Brexit la formule de ce groupe pour négocier avec l’Iran est toujours considérée comme la plus efficace du fait de sa flexibilité.
- L’accord ayant été basé sur le principe d’une levée des sanctions (liées au nucléaire iranien) américaines, européennes et des Nations unies en échange d’une réduction de la portée du programme nucléaire iranien.
- Nom persan donné à l’accord sur le nucléaire de 2015.
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