Président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal d’Équilibre des Énergies
Dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte vert pour l’Europe(1), la Commission européenne a décidé de mettre en révision(2) la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique. Cette directive, déjà révisée en décembre 2018(3), impose aux États des obligations d'économies d'énergie (qui se retrouvent en France dans le système des certificats d’économies d’énergie). Grosso modo, il est demandé aux États de réduire leur consommation d’énergie finale de 0,8% par an jusqu’en 2030 au moins.
Jusqu’où va-t-on ainsi aller dans la définition d’objectifs toujours plus contraignants de réduction des consommations ? Depuis bientôt 50 ans, on nous ressasse des lieux communs sur les économies d’énergie : « la meilleure des énergies est celle qu’on ne consomme pas » et l’antienne des économies d’énergie sert aujourd’hui à stigmatiser ceux qui ne se déplacent pas à vélo ou qui ont l’impudence de prendre l’avion.
En 1973/74, lors de la première crise pétrolière, réduire les consommations d’énergie était une nécessité absolue. On craignait à l’époque un embargo sur le pétrole, le fioul domestique fut mis en rationnement et on créa l’Agence pour les économies d’énergie (AEE), ancêtre de notre Agence de la transition écologique (Ademe). On pensait de plus à l’époque qu’il ne restait que quelque 30 années de pétrole à exploiter.
Les temps ont changé. La sécurité d’approvisionnement demeure une préoccupation majeure ; par contre, la déplétion des ressources d’énergie primaire n’est plus un souci primordial. Même si les grandes découvertes pétrolières sont derrière nous, il y a toujours plusieurs décennies de réserves, le gaz a largement pris le relais du pétrole et les énergies renouvelables se sont développées.
Deux préoccupations absolues s’imposent aujourd’hui : l’urgence climatique et la relance de l’activité économique dans un contexte post-Covid. Les économies d’énergie sont-elles toujours la réponse appropriée ? Certes, en matière de consommation d’énergie comme dans tout, il faut faire preuve de tempérance et le mécanisme des prix, pour autant qu’ils soient judicieusement formés, est là pour nous le rappeler.
Mais on ne doit pas oublier que l’énergie est un facteur incontournable de l’activité économique. Une priorité gouvernementale est de relancer notre industrie et même de rapatrier sur notre sol des activités qui s’en sont éloignées. Il faudra pour cela davantage d’énergie, pour l’industrie et pour les transports, et de l’énergie décarbonée. Une récente étude du Haut Conseil pour le Climat montre que le contenu carbone des biens que nous importons (425 Mt éqCO2) excède le montant des émissions enregistrées sur le territoire national pour la satisfaction de nos besoins propres (324 Mt éqCO2)(4). Ce qu’il faut rapatrier, c’est l’activité économique, pas le carbone !
Si économies d’énergie il doit y avoir, ce sont les énergies fossiles dont il faut réduire les consommations...
Il existe pour cela une solution : utiliser massivement l’électricité, quasiment décarbonée dans notre pays et disponible à un prix compétitif. Et si l’électricité ne peut pas répondre à tous les besoins, il faudra décarboner les autres sources d’énergie ou les émissions qui résultent de leur utilisation. Mais décarboner affaiblit les rendements et donc nécessite davantage d’énergie.
Il ne faut pas se tromper de combat : il est essentiel que la directive européenne sur l’efficacité énergétique ne vienne pas, sous prétexte d’économies d’énergie à tout prix, rendre encore plus compliquées la relance de l’économie et sa décarbonation.
Si économies d’énergie il doit y avoir, ce sont les énergies fossiles dont il faut réduire les consommations car la réduction des consommations d’énergies primaires fossiles coche toutes les cases de la transition écologique : réduction des émissions de gaz à effet de serre, renforcement de la sécurité d’approvisionnement et amélioration de la balance commerciale. La France s’est engagée dans cette voie et a retenu un premier objectif de réduction des consommations d’énergie fossiles de 40% en 2030. L’Europe doit prendre le relais et extrapoler cet effort à horizon 2050.
L’efficacité énergétique aidera à la réalisation de cet objectif mais l’efficacité énergétique doit accompagner la croissance et non pas la brider. Veillons à l’exprimer en termes relatifs, par exemple en consommation d’énergie finale par unité de PIB, et pas en valeur absolue dès lors qu’il s’agit d’énergie non carbonée.
Sources / Notes
- Un pacte vert pour l'Europe, Commission européenne.
- La révision a été annoncée dans la communication sur le Green Deal de décembre 2019. La publication du projet de loi pour la révision du texte est prévue à l’été 2021 (dans le cadre du paquet législatif « fit for 55 »).
- Directive (UE) 2018/2002 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 modifiant la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique.
- Maîtriser l'empreinte carbone de la France, Haut Conseil pour le Climat, octobre 2020.
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