Quelles conditions pour un déploiement « massif, rapide et coordonné des infrastructures » bas carbone en Europe ?

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Transition bas carbone dans l'UE

Face aux « nombreux obstacles se dressant aujourd'hui sur le chemin de la neutralité carbone » pour l'Union européenne, l'Institut Montaigne a lancé une série de trois notes d’action visant à nourrir la réflexion et le débat sur l’énergie en Europe(1). La deuxième, qui vient d'être publiée, est dédiée aux conditions d'un déploiement accéléré des infrastructures contribuant à la transition bas carbone.

Un nouveau règlement sur la sécurité énergétique européenne

La transition énergétique actuelle, avec la neutralité carbone comme horizon pour 2050, « impose une profonde transformation des infrastructures énergétiques », rappelle en préambule la note de l'Institut Montaigne. Concrètement, les infrastructures dédiées à la transformation, au transport et à la distribution de combustibles fossiles (qui comptent encore pour près de 70% de la consommation d'énergie finale en Europe) « sont amenées à se résorber ou à s’adapter, tandis que celles dédiées aux énergies bas carbone nécessiteront un déploiement massif, rapide et coordonné ».

À cette fin, les auteurs de cette note, Maxence Cordiez et Pierre Jérémie, appellent l'UE à se doter d'un nouveau règlement sur la sécurité énergétique européenne (European Energy Security Act, EESA) qui faciliterait notamment l'octroi de permis aux projets bas carbone (avec des délais maximaux) et deviendrait de fait « l’épine dorsale de l’évolution des capacités en Europe ». 

Ce règlement pourrait entre autres :

  • harmoniser les cadres de soutien aux installations nouvelles contribuant à la sécurité d’approvisionnement ainsi que les aides à l'effacement et au stockage d'énergie au sein de l'UE ;
  • prévoir la création d'un Fonds de sécurité énergétique européen (assorti d'une ligne de garantie pérenne de l'UE), avec « un compartiment dédié au renforcement des fonds propres des gestionnaires de réseaux »(2) ;
  • proscrire toute mesure des États membres « consistant en un versement aux consommateurs, aux metteurs en marché, ou à tout intermédiaire de la chaîne de valeur, assis sur les volumes mis en marché d’une énergie fossile, ou ayant des effets économiques équivalents » (à l'image de réductions du prix des carburants à la pompe, auxquelles des aides sociales ciblées sont jugées préférables) ;
  • interdire tout versement d’un régime de soutien direct des prix de vente durant les heures à prix de marché négatif, de plus en plus fréquentes (4% des heures en moyenne dans l’UE contre 2% en 2023 selon Ember)(3) ;
  • mettre fin aux régimes de tarifs d’achat, y compris pour les petites installations, « ceux-ci ne tenant pas compte des enjeux d’équilibrage du réseau ».

Simplification et « neutralité technologique »

Parmi les freins actuels pointés de façon redondante, la note de l'Institut Montaigne souligne la « lourdeur administrative » liée à la transposition de la réglementation européenne dans les droits nationaux. À titre d'exemple, ils soulignent qu'un projet éolien en mer « a jusqu’à présent nécessité en France 3 ans de construction mais plus d’une dizaine d’années de procédures administratives préalables ».

La nécessaire simplification pourrait, selon les auteurs de la note, être coordonnée « au niveau d’un groupe de travail technique du Conseil de l’Union avec l’appui d’une task force dédiée de la Commission (inter-DG) ». Elle constitue « l’une de ses priorités par la présidente Ursula von der Leyen, qui devrait prendre corps dans plusieurs textes présentés au premier trimestre 2025 ».

À l'occasion du début de la mandature de la nouvelle Commission, les auteurs appellent également à « revoir en profondeur l’architecture du règlement général d’exemption par catégories dans une optique de neutralité technologique ». 

Pour rappel, ce concept de « neutralité technologique » désigne le fait de permettre à différentes technologies ou filières de coexister et de concourir sur un pied d'égalité (la filière nucléaire met fréquemment en avant ce principe pour ne pas être exclue des aides en faveur des technologies bas carbone). Concrètement, « c'est passer d'une exigence de moyens à une exigence de résultats », précise Maxence Cordiez : « en matière de climat, la finalité est l'atteinte de la neutralité carbone, et une approche de neutralité technologique suppose de pouvoir faire usage de tous les outils permettant d'arriver à cette fin (EnR, nucléaire, économies d'énergie...) ».

Un rôle accru pour la BEI

Le déploiement des grandes infrastructures bas carbone s'accompagne d'importants besoins de financements, qui doivent entre autres être facilités par l'extension d'outils existants comme les compléments de rémunération (avec une standardisation à l'échelle européenne), plaide la note de l'Institut Montaigne.

Ses auteurs appellent également à « conférer un rôle accru à la Banque européenne d’investissement (BEI) » pour combler notamment les besoins de liquidités  mais aussi de permettre aux projets en lien avec l'énergie nucléaire d'être pleinement éligibles à la politique de prêt de cette institution (en les incluant dans le cadre des projets bas carbone et non des projets de centrales thermiques).

Dans le cadre du nouveau règlement sur la sécurité énergétique européenne, la BEI pourrait également créer des comptes d'amortissement pour permettre aux gestionnaires de réseaux de faire face à un problème de « péréquation temporelle entre une consommation actuelle (conditionnant en bonne partie les recettes actuelles) et une consommation future ».

Quid in fine de l'impact sur les consommateurs ? « Si l’Union choisit politiquement d’asseoir la captation des ressources nécessaires à la transition sur les consommations énergétiques, celles-ci devraient provenir en priorité des énergies les plus émettrices, et ne pas affecter la compétitivité des énergies bas carbone », mettent en garde les auteurs.

Consulter la note de l'Institut Montaigne « L'Europe de l'énergie à l'heure du pragmatisme - Comment accélérer les déploiements capacitaires » et les 19 propositions associées (Pierre Jérémie et Maxence Cordiez, février 2025).