Que recouvre la notion de « précarité énergétique » en France ?

Fenêtres ouvertes à un balcon

Sont définis comme se trouvant en situation de précarité énergétique les personnes confrontées à des factures d'énergies trop importantes pour leur budget, et qui peuvent se retrouver en situation d'impayés, de coupures d'énergie ou dans l'impossibilité en hiver comme en été d'atteindre une température de confort.

Définition

La précarité énergétique est définie par la loi Grenelle II de juillet 2010 comme la difficulté qu’éprouve un ménage dans son logement « à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Plusieurs indicateurs sont utilisés pour quantifier ce phénomène.

Il n’existe toutefois pas de définition commune du concept de précarité énergétique en Europe. Par exemple, le Royaume-Uni a historiquement retenu le critère « mathématique » (plus de 10% du revenu disponible consacré aux dépenses énergétiques, critère précédemment retenu en France) tandis que l’Irlande a privilégié une évaluation « subjective » à partir de déclarations des ménages.

L'Observatoire national de la précarité énergétique

L'ONPE, créé en France en mars 2011 « pour améliorer la connaissance et suivre les situations de précarité énergétique », croise différents indicateurs en prenant en considération les 30% des ménages les plus modestes en France.

Taux d'effort énergétique en France : 10,8%

Pour quantifier le phénomène de précarité énergétique en France, l’ONPE s’appuie essentiellement sur un indicateur économique basé sur le taux « d’effort énergétique » selon lequel un ménage « est en situation de précarité énergétique lorsque ses dépenses énergétiques dans son logement sont supérieures à 8% de son revenu, et son revenu par unité de consommation (UC) est inférieur au 3e décile de revenu par UC ».

Les ressources sont aujourd'hui considérées comme inadaptées en France lorsqu’un foyer consacre plus de 8% de son revenu à payer la facture d’énergie de son logement : chauffage, éclairage, etc.Les conditions d’habitat sont considérées comme inadaptées lorsqu’un ménage ressent un inconfort thermique.

Dans son rapport de suivi annuel(1), l'ONPE évalue à près de 3 millions le nombre de ménages en France métropolitaine en situation de précarité énergétique, soit 10,8% des foyers du territoire en 2023 (sur la base du taux d'effort énergétique). La tendance s'améliore, puisque ce taux était de 11,7% en 2020, 11,9% en 2019 et 12,1% en 2018.

Même si l'Europe est probablement le continent le plus égalitaire dans le monde, 10% des ménages européens vivent dans une situation de précarité énergétique, selon le think tank European Policy Centre, basé à Bruxelles.

Autres indicateurs

Deux autres indicateurs déclaratifs sont aussi pris en compte :

  • 26%  des Français déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2022-2023, pendant au moins 24 heures. 42% d’entre eux déclarent que la raison est financière. 79% disent avoir restreint le chauffage chez eux.
  • 55% des Français déclarent avoir souffert d’un excès de chaleur en été.

Portrait type du précaire énergétique

L’ONPE a aussi dressé le portrait type des ménages en situation de précarité énergétique : des locataires disposant de faibles revenus qui sont sans surprise plus souvent sans emploi que la moyenne nationale et marqués par des situations d’isolement (personnes seules ou familles monoparentales). Ces ménages habitent généralement dans des logements plutôt anciens, construits avant 1975. Les plus jeunes et les plus âgés sont particulièrement touchés par la précarité énergétique, les moins de 30 ans constituant la principale classe d’âge concernée, quel que soit l’indicateur considéré.

Les personnes sont autant à la campagne qu'en ville, car ils sont "plus vulnérables au renchérissement du coût des énergies puisqu'ils cumulent un habitat à mauvaise efficacité thermique et un éloignement des commerces et services", souligne le Centre de recherche pour l'étude et observation des conditions de vie (Credoc). D'autant que, "plus on s'éloigne des centres urbains pour trouver à se loger moins cher, plus on a de chances d'occuper des logements anciens insuffisamment isolés et/ou chauffés avec des systèmes onéreux parce que peu performants", estime le Centre, qui préconise d'orienter les politiques énergétiques selon une "vision systémique" des dépenses d'énergie des ménages.

Les radiateurs électriques sont le principal mode de chauffage des personnes en situation de précarité énergétique, qui sont plus nombreux à ne pas chauffer certaines pièces comme les chambres, à trouver qu'il fait trop froid chez eux en hiver et que leur facture d'énergie est trop importante par rapport à leurs ressources.

Précisons que les données les plus détaillées sur la précarité énergétique sont mesurées lors des enquêtes nationales Logement de l'Insee(2).

Conséquences sur la consommation d'énergie et le confort

Que la précarité énergétique soit issue d’un manque de ressources ou de mauvaises conditions d’habitat (ex : logement déperditif) - deux situations souvent liées - elles peuvent conduire suivant ces problématiques à :

  • une consommation d’énergie excessive au regard des moyens disponibles, engendrant des risques d’impayés qui aggravent encore l’insuffisance des ressources (cercle vicieux) ;
  • à une sous-consommation d’énergie pour réduire les dépenses, engendrant des conséquences sur la santé (froid) et sur la vie sociale (exclusion).

Des conséquences sur la santé

Les personnes qui, pour des raisons pécuniaires, ont du mal à se chauffer souffrent plus fréquemment que le reste de la population de problèmes de santé chroniques et sont plus sensibles aux pathologies hivernales, selon une étude dévoilée par la Fondation Abbé Pierre.

En comparant un groupe de personnes exposées à la précarité énergétique et un groupe non exposé, des différences de santé ont été constatées, a mis en avant l'étude, menée par le CREAI-ORS (Centre Régional pour l'Enfance et l'Adolescence Inadaptées -Observatoire de la Santé) de Languedoc-Roussillon sur des populations de l'est de l'Hérault et de la région de Douai. Au total, 362 logements et 750 personnes ont participé à l'enquête.

Des maux de tête, ainsi que des problèmes de santé chroniques respiratoires (bronchites), ostéo-articulaires (arthrose), ou neurologiques (dépression) apparaissent plus fréquemment dans le groupe des personnes exposés, note l'étude, même après prise en compte de l'âge, le niveau de pauvreté et le tabagisme.

De même, l'étude des pathologies aiguës montre une plus grande sensibilité aux pathologies hivernales, comme les rhumes et les angines, la grippe ou les gastroentérites, avec des symptômes plus fréquents (sifflements respiratoires, crises d'asthme, nez qui coule ou irritations oculaires).

Enfin, les personnes exposées à la précarité énergétique ont une perception de leur santé moins bonne que les personnes qui n'y sont pas exposés, note l'étude. Ils sont aussi plus nombreux à vivre sous le seuil de pauvreté, et à avoir des logements plus anciens, moins ventilés et isolés.

Les bouilloires énergétiques en été

Si la précarité énergétique est encore largement associée au ressenti du froid dans son logement, elle s'exprime également à travers l’inhabitabilité liée aux pics de chaleur. Les 5 millions de passoires thermiques impossible à chauffer en hiver se transforment en bouilloires énergétiques impossibles à refroidir en été, avec des isolations peu performantes, des expositions ne répondant pas aux principes de l’architecture bioclimatique, l’absence de protections solaires ou de simples volets qui peuvent participer à rendre certains logements quasi inhabitables pendant la période estivale.

En 2022 (année marquée par une vague de chaleur précoce), 59% des Françaises et des Français ont déclaré avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins 24 heures.

Le rapport de la Fondation Abbé Pierre rappelle qu'il est considéré « que le confort d’été du logement n’est pas assuré à partir de 25 jours par an durant lesquels le logement serait continûment à 30°C le jour et 28°C la nuit »(3). Ces épisodes de chaleur et l'insuffisante adaptation des bâtiments engendrent, comme pour la précarité énergétique en hiver, des conséquences «​​​​​​ sanitaires, sociales, économiques et environnementales. Les efforts liés au refroidissement à l’aide de douches ou d’appareils, peuvent engendrer des factures élevées d’eau et d’énergie » notamment.

Ce phénomène qualifié « de précarité énergétique d’été » par la Fondation Abbé Pierre va continuer de s’aggraver avec le dérèglement climatique, l’urbanisation et le vieillissement de la population (sachant que le corps perd 5% de sa capacité de thermorégulation tous les 10 ans(4)), prévient le rapport.

Lors de la canicule de 2003, près de 15 000 décès « en excès » ont été imputés à la chaleur en France par l'Inserm, avec une surmortalité particulièrement forte en ville (avec l'apparition d'« îlots de chaleur urbains »(5)) et chez les plus modestes(6) qui habitent souvent dans « des logements moins bien isolés, moins ventilés, rarement équipés de climatisation ».

L'action publique commence tout juste à prendre en compte l'adaptation des logements à la chaleur. Dans la construction neuve, la nouvelle règlementation (RE2020), entrée en vigueur en 2022, impose de prendre en compte le confort d'été. Et la volonté affichée de rénover les logements, si elle vise d'abord à les rendre moins vulnérables au froid, permet souvent du même coup de les protéger contre la chaleur.

"Ce qui est bien, c'est que les solutions sont souvent les mêmes : une bonne isolation, et des appareils de chauffage ou de climatisation performants", explique Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Mais contre la chaleur, des mesures ciblant les logements seuls ne suffisent pas : c'est l'urbanisme qu'il faut repenser, pour éviter les îlots de chaleur urbains.

Lutte contre la précarité énergétique

Pour lutter contre la précarité énergétique, les associations mentionnent des leviers d’actions de deux ordres : traiter les causes en agissant sur la consommation et de proposer une aide au paiement de la facture énergétique pour les ménages modestes.

Chèque énergie

Le chèque énergie est un dispositif aidant les ménages aux revenus modestes à s’acquitter de leurs factures liées à l’énergie (généralisé en 2018 et étendu en 2019), est distribué aux ménages français uniquement sous conditions de ressources (revenu fiscal de référence inférieur à 10 700 € par an par unité de consommation) et non en fonction des indicateurs cités précédemment.

CEE

Créé en 2006, le mécanisme des le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) oblige les fournisseurs d'énergie (EDF, Engie, TotalEnergies, Eni, etc.) à mettre en place et financer des actions d'économies d'énergie (rénovation thermique des bâtiments, changement de chaudières, etc.), sous peine de pénalités.

La loi sur la transition énergétique votée cet été a introduit un niveau d'obligation supplémentaire ciblé spécifiquement sur les foyers en situation de précarité énergétique.

Aides à la rénovation

Il y a eu une forte montée en puissance de politiques d’aide à la rénovation énergétique des logements depuis dix ans qui s’est notamment traduite par une forte implication de l'ANAH et de ses opérateurs qui accompagnent les plus modestes sur des rénovations globales et par la mise en place de MaPrimeRenov'.

Agir en extérieur

Parmi les mesures pour rafraîchir les logements, 82% des Français évoquent spontanément la fermeture des volets. La Fondation Abbé Pierre évoque deux grandes séries de mesures d'adaptation pour aller plus loin :

  • rénover les logements en misant sur une architecture « bioclimatique, low-tech » qui autorégule la température intérieure tout en restant sobre énergétiquement (isoler pour limiter les apports de chaleur, privilégier les couleurs claires pour les revêtements extérieurs, installer des protections solaires(7), végétaliser les toitures, etc.) ;
  • agir sur la température extérieure en créant des masques végétaux et en luttant contre les îlots de chaleur (végétaliser les bâtiments et cours intérieures, planter des arbres de hautes tiges à proximité des bâtiments pour davantage d'ombre, débituminer, diminuer le trafic routier, etc.)

Le fausse solution de la climatisation

Alors qu'un nombre croissant de Français sont équipés de climatiseurs (25% en 2020 contre 14% en 2016), ces appareils aggravent le phénomène des îlots de chaleur en rejetant l’air chaud à l’extérieur des bâtiments ou des véhicules qu’elle tente de rafraîchir, et ce sont les personnes se trouvant à l’extérieur ou à proximité des évacuations qui subissent la chaleur rejetée.

En période de canicule, le gestionnaire de réseau estime que chaque degré supplémentaire entraîne un appel de puissance supplémentaire de 500 MW sur le réseau pour le seul usage de ventilateurs et de climatiseurs. Soit l’équivalent des besoins de puissance de la ville de Bordeaux.

Rappelons que l'article R241- 30 du Code de l’énergie stipule que « dans les locaux dans lesquels est installé un système de refroidissement, celui-ci ne doit être mis ou maintenu en fonctionnement que lorsque la température intérieure des locaux dépasse 26°C ».

dernière modification le

Sources / Notes

  1. Site de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE)
  2. Les données sur l'indicateur de précarité énergétique sont fournies par le Commissariat général au développement durable (CDDD) grâce à son modèle Prometheus. Celles sur l'indicateur de froid ressenti sont publiées par le baromètre Énergie-info réalisée annuellement par le Médiateur de l'énergie.
  3. D'un point de vue réglementaire, la RE2020 fixe « deux seuils de température intérieure maximale : le jour, entre 26°C et 28°C et la nuit, 26°C ».
  4. Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, Rapport Paris à 50 degrés : s’adapter aux vagues de chaleur, 2022
  5. Les îlots de chaleur urbains (ICU) « sont des endroits en villes où les températures sont particulièrement élevées de jour comme de nuit, par rapport aux zones rurales les plus proches. Les ICU sont liés au béton qui stocke la chaleur pendant la journée et la rediffuse pendant la nuit, au manque de végétation et de sources d’eau ainsi qu’à l’excès de minéralisation qui limitent le refroidissement nocturne de l’air, et à l’intensité de l’activité urbaine et de la circulation automobile ».
  6. En 2012, parmi les 20% d’Européens les plus riches, seul un sur sept éprouvait des difficultés à maintenir son logement frais en été, contre un sur quatre parmi les 20% les plus pauvres, indique la Fondation Abbé Pierre.
  7. Selon le type de protection solaire utilisé, « il est possible de réduire la température intérieure de 2 à 5°C ».

Rapport de la Fondation Abbé Pierre sur la précarité énergétique d'été.

Guide pratique de l'ONPE sur Comment mettre en œuvre des projets de lutte contre la précarité énergétique ?

Sur le même sujet