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"Moralement, ça en fout un coup." Dans sa petite maison décrépite de l'Oise, Jérôme Aubier n'a pas les moyens de se chauffer correctement. Il subit la précarité énergétique, présente aussi en milieu rural où elle est, en outre, plus difficile à repérer.
Pour chauffer sa maison à Montmacq, petit village à une dizaine de kilomètres de Compiègne, cet ancien négociant en bois de 59 ans utilise un poêle à bois placé dans sa cuisine.
Mais le bois lui coûte 1.500 euros par an, difficilement supportables pour lui qui ne peut plus travailler pour raisons de santé et ne touche qu'une indemnité de 970 euros par mois pour personnes handicapées.
Et pour cause: la maison dont il est propriétaire, qu'il habite seul depuis son divorce et le départ de ses enfants, est une passoire énergétique.
Les fenêtres n'ont qu'un simple vitrage, le toit est endommagé et les murs sont mal isolés.
Il n'allume son ballon d'eau chaude qu'une fois tous les deux ou trois jours, pour faire des économies, et se douche chez une voisine.
"C'est un coût, physiquement c'est un coût et moralement c'est un coût. Dans ma tête, en permanence, c'est : faut pas que j'oublie le feu", dit-il.
« Changer la vie »
Pour améliorer sa situation, il est accompagné par le Réseau Eco Habitat, ONG spécialisée dans l'aide à la rénovation énergétique des personnes en difficulté.
Le bénévole, Claude Vervel, l'aide à mettre en place des dossiers pour obtenir les aides publiques, dont MaPrimeRénov', et à contacter des artisans pour faire les travaux nécessaires : toiture, murs, fenêtres...
Il espère aussi décrocher un micro-crédit pour financer le reste à charge.
"Une fois que les travaux seront faits, ça va vraiment me changer la vie ! Je suis soulagé de savoir que dans six, sept mois, je pourrai vivre correctement", confie Jérôme Aubier.
Les habitants des campagnes ne sont pas épargnés par la précarité énergétique, situation englobant les ménages parmi les 30% les plus pauvres qui ont froid chez eux ou renoncent à se chauffer correctement par manque d'argent.
Les données pour quantifier le phénomène sont parcellaires.
La dernière enquête exhaustive de l'Insee sur le logement remonte à 2013 - la prochaine est prévue pour 2024.
Elle révélait que les Français habitant en zone rurale étaient moins nombreux à avoir froid chez eux mais plus à consacrer trop d'argent à se chauffer.
Un sondage Ifop publié mercredi semble corroborer ce constat: 54% des 1.000 Français ruraux interrogés par l'institut ont dit avoir déjà renoncé à se chauffer par manque d'argent, contre 42% de l'ensemble des Français.
« Ils se cachent »
Pour les associations, la principale difficulté en milieu rural est de trouver les ménages qui ont besoin.
Ce peuvent être des personnes qui vivaient chez leurs parents et ont hérité de la maison, ou se retrouvent, après une séparation, dans une maison trop grande et coûteuse à entretenir.
"Ils restent parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement, la maison se dégrade et on tombe dans la passoire énergétique", explique Claude Vervel, du Réseau Eco Habitat.
"Les propriétaires pauvres, ils se cachent", témoigne-t-il. "Être propriétaire et pauvre, c'est un antagonisme !", explique celui qui est aussi bénévole aux Restos du coeur, et qui, pour trouver des ménages ayant besoin d'aide, épluche la liste des bénéficiaires des Restos et cherche ceux qui sont propriétaires de leur logement.
"Vous avez moins souvent un élu local, un technicien, une agence de l'énergie, qui passe devant chez vous ou chez vous pour repérer que c'est en mauvais état", constate aussi Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
"Si vous habitez une vieille maison, une vieille ferme, en zone rurale, personne ne va s'en rendre compte à part vous et donc tout repose sur vous", dit-il.
"Quand on parle de personnes seules, âgées, pas spécialement accompagnées socialement, médicalement, pour se lancer dans une rénovation de ce type-là, on peut rester dans sa précarité énergétique pendant des années".
La dernière réforme du dispositif MaPrimeRénov' annoncée par le gouvernement est de nature à aider davantage les ménages concernés: le montant maximal de l'aide a été relevé pour favoriser les travaux lourds mais efficaces.