Prototype de centrale osmotique installé à Tofte (©Statkraft)
Définition
L’énergie osmotique désigne l’énergie exploitable à partir de la différence de salinité entre l’eau de mer et l’eau douce, les deux natures d’eau étant séparées par une membrane semi-perméable.
Elle consiste à utiliser une hauteur d’eau ou une pression créée par la migration de molécules d’eau à travers ladite membrane. La pression d’eau en résultant assure un débit, qui peut alors être turbiné pour produire de l’électricité.
La planète est recouverte à 70% par les océans, qui recèlent d’énormes quantités de flux énergétiques. Ceux-ci peuvent être exploités par différents types d’énergies, appelées énergies marines. L’énergie osmotique est aujourd’hui la moins avancée des énergies marines du point de vue de la recherche, en raison des investissements importants nécessaires et de la faible performance des membranes actuelles.
Le procédé d’osmose a été développé au début des années 1960 par les chimistes américains Sidney Loeb et Srinivasa Sourirajan qui mettent au point une membrane portant leurs noms. Celle-ci permet alors de déminéraliser l’eau de mer.
L’idée d’exploiter l’énergie osmotique à des fins de production électrique est née dans les années 1970-80. La société norvégienne Statkraft a mis en service un premier prototype de centrale osmotique d’une puissance de 4 kW en novembre 2009.
Fonctionnement scientifique et application technique
Principe de l’osmose
Les sels dissouts dans l’eau de mer sont majoritairement du sodium et du chlorure que l’on retrouve dans l’eau sous forme ionique Na+ et Cl-. Prenons deux réservoirs remplis pour l’un d’eau douce et pour l’autre d’une solution d’eau salée de même volume séparés par une membrane semi-perméable (également dite « sélective ») qui bloque les ions de grosse taille Na+ et Cl- et laisse passer les molécules d’eau plus petites H2O (on notera que l’eau douce contient également des sels mais en moindre quantité).
Les deux réservoirs étant de concentration saline différente, le niveau égal de chaque réservoir n’est pas une position d’équilibre. Il se produit donc une migration des molécules d’eau de la solution d’eau douce vers la solution saline au travers de la membrane semi-perméable. L’effet produit engendre une augmentation du niveau du réservoir d’eau saline et en même temps diminue la concentration saline de cette solution (alors que la concentration saline de la solution d’eau douce augmente parallèlement). L’effet s’arrête lorsque l’équilibre osmotique est atteint, c'est-à-dire l’équilibre entre les couples « pression » (hauteur d’eau) et « concentration » (en sels) de l’une et l’autre des solutions.
L’osmose inverse quant à elle consiste à appliquer une pression sur le réservoir d’eau saline afin d’inverser le sens de migration des molécules d’eau. En corollaire à l’exemple précédent, lorsque les réservoirs d’eau ne sont pas ouverts mais fermés, ce sont les pressions qui montent et non pas les niveaux d’eau.
Autrement dit, la pression osmotique correspond à la pression nécessaire pour arrêter le passage d’un solvant (eau dans notre cas) d’une solution moins concentrée (ici en sel) à une solution plus concentrée à travers une membrane semi-perméable.
Schéma expliquant le principe de l'osmose et de l'osmose inverse
Jusqu’à présent, l’application principale de ce principe était le dessalement de l’eau de mer ou la purification de l’eau par osmose inverse.
Application à la production d’électricité
Il est également possible d’utiliser le principe d’osmose pour produire de l’électricité en actionnant une turbine grâce à la pression osmotique. Une pression de 12 bars dans le réservoir d’eau salée confère à l’eau acheminée vers la turbine la même énergie qu’un volume d’eau chutant de 120 m dans un barrage hydroélectrique.
En 2012, les travaux de recherche permettent d’atteindre une capacité osmotique de près de 3 W par m2 de membrane semi-perméable installée.
Selon Statkraft, il faut mélanger 1 m3 d’eau douce par seconde à 2 m3 d’eau de mer pressurisée à 12 bars dans une centrale osmotique pour que celle-ci obtienne une capacité de production de 1 MW.
Concrètement, une centrale osmotique a pour objectif d’exploiter la différence de salinité là où l’eau salée et l’eau douce se rencontrent naturellement, c'est-à-dire aux embouchures des fleuves.
Les différents éléments composant ce type de centrale sont :
- la membrane semi-perméable séparant les réservoirs d’eau salée et d’eau douce. Celle utilisée par le prototype norvégien est fabriquée en acétate de cellulose(1) ;
- les pompes et les conduites acheminant l’eau dans les réservoirs ;
- un échangeur de pression pressurisant l’eau salée en amont ;
- une station d’épuration et des équipements de lavage des membranes permettant d’éviter leur encrassement ;
- la turbine productrice d’électricité.
Deux volumes d’eau arrivent dans la centrale : de l’eau douce pompée dans le fleuve et de l’eau salée prélevée dans la mer et filtrée, puis pressurisée dans un échangeur de pression. Dans la centrale, près de 80% à 90% de l’eau douce puisée traverse la membrane de la centrale osmotique, ce débit provoquant une surpression dans le réservoir d’eau salée et y augmentant le débit d’eau. Près d’un tiers de cette eau est acheminée vers la turbine pour produire de l’électricité tandis que les deux tiers restants sont réacheminées vers l’échangeur de pression pour pressuriser l’eau de mer entrante.
Modèle de fonctionnement du prototype de central osmotique de Tofte (D’après Statkraft et AFP)
Une idée séduisante, mais pas (encore) viable
L’énergie osmotique est potentiellement exploitable par tout pays disposant d’embouchures de fleuves. Contrairement à d’autres énergies renouvelables, elle ne dépend pas des conditions météorologiques et offre une très bonne prédictibilité de production électrique.
Une centrale osmotique serait susceptible de fonctionner près de 8 000 heures par an, soit près de 3 ou 4 fois plus que la durée moyenne de fonctionnement d’une éolienne.
Défis techniques
Le développement de l’énergie osmotique est toutefois limité à ce jour par les performances de ses membranes. D’une puissance installée de près de 4 kW (puissance permettant de faire fonctionner en continu une machine à laver), le premier prototype de centrale en Norvège comporte 2 000 m2 de membrane (soit 2 W par m2 de membrane). Statkraft a pour objectif d’améliorer les performances des membranes semi-perméables afin qu’elles permettent d’atteindre une capacité de production de 5 W par m2 de membrane. Même en atteignant cet objectif, une centrale d’une puissance totale de 1 MW devrait intégrer près de 200 000 m2 de membrane. A titre de comparaison, les éoliennes terrestres possèdent en moyenne une capacité de 2 MW (mais avec un facteur de charge plus faible qu’une centrale osmotique comme indiqué précédemment) et les centrales hydroélectriques ont une puissance variant de quelques MW à plusieurs centaines de MW.
Un coût élevé
Outre les performances, les coûts élevés de production et de nettoyage des membranes semi-perméables constituent le principal frein actuel au développement de l’énergie osmotique. En Suède, une étude de faisabilité réalisée par ABB Alstom Power a conduit à un abandon de la solution en raison d’un coût prohibitif, notamment en ce qui concerne le nettoyage des filtres et des membranes.
Acceptabilité sociale
L’impact environnemental de l’énergie osmotique serait réduit puisque cette technologie se limiterait à exploiter un mélange naturel aux embouchures. Les centrales osmotiques n’émettraient aucun polluant ni bruit. Cet élément est essentiel étant donné la grande biodiversité des zones (deltas, estuaires) où ces centrales seraient installées.
Des nutriments et sédiments sont en effet charriés par le cours d'eau allant vers la mer. Une embouchure est souvent prolongée sous l'eau par une zone de sédimentation.
Il existe une forte densité des activités de pêche, d’ostréiculture ou encore de conchyliculture dans les environnements « osmotiques », qui pourraient engendrer par endroits des réactions de type Nimby.
Quel avenir ?
A l’échelle mondiale, environ 1 700 TWh pourraient être produits annuellement si l’on exploitait l’énergie osmotique à toutes les embouchures de fleuves dans le monde, soit de quoi couvrir 3 fois les besoins en France, selon les estimations de Statkraft. Cette production pourrait théoriquement permettre de couvrir près d’un dixième des besoins mondiaux en électricité(2).
Le prototype de Tofte est censé fonctionner jusqu’à 2015, date à laquelle une installation pilote de 1 à 2 MW devrait être construite. A plus long terme, Statkraft souhaite construire une centrale à énergie osmotique de 25 MW afin de couvrir les besoins en électricité de près de 30 000 ménages. Ladite centrale aurait la taille d’un stade de football et nécessiterait 5 millions de m2 de membrane (en atteignant l’objectif de Statkraft d’une capacité de 5W/m2 de membrane installée). Des ruptures technologiques, issues des nanobiotechnologies ou de l’électro-osmose, sont attendues pour faire baisser les coûts.
Notons qu’il est également possible de produire de l’énergie grâce au gradient de salinité en utilisant des procédés d’électrodialyse inversée (on ne laisse passer qu’un type d’ions positifs ou négatifs), une méthode encore au stade de la recherche aux Pays-Bas.