L'AIE estime que le « niveau de flexibilité » du système électrique mondial devrait doubler entre 2022 et 2030. Ici, une opération de maintenance sur des lignes électriques en Espagne. (©Endesa)
« Sans réseaux électriques adaptés pour connecter les nouvelles capacités de production à la demande, il existe un risque que les transitions énergétiques stagnent », prévient l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ce 17 octobre dans un nouveau rapport (accessible en bas de cet article).
« L'équivalent d'une centaine d'allers-retours vers la Lune »
Les réseaux électriques, intimement associés au développement de nos sociétés modernes, ont connu un développement continu au cours des cinq dernières décennies avec l'addition « d'environ 1 million de kilomètres par an » de lignes dans le monde, indique l'AIE. Au total, presque 80 millions de kilomètres de lignes électriques (dont 7% constituant les réseaux de transport et 93% ceux de distribution), aériennes ou enterrées et aux tensions multiples, parcouraient le globe en 2021, « soit l'équivalent d'à peu près une centaine d'allers-retours vers la Lune ».
Les transitions énergétiques s'appuient entre autres sur une électrification bas carbone des systèmes énergétiques : le vecteur électricité compte actuellement pour près de 21% de la consommation finale d'énergie dans le monde (contre 16% en 2000), mais cette part devrait fortement augmenter (à hauteur de 35% en 2050 selon DNV). Pour atteindre les objectifs énergie-climat énoncés à travers le monde, l'AIE estime que la consommation électrique devrait augmenter « 20% plus vite au cours de la prochaine décennie que lors de la précédente ».
Et la forte progression des filières renouvelables à production intermittente, avec des installations parfois éloignées des lieux de consommation (éolien en mer, parcs solaires dans le désert), nécessite de bénéficier rapidement de davantage de réseaux fiables, plus « intelligents », couplés à d'importantes capacités de stockage. Or, « il n'est pas rare qu'une seule ligne aérienne à très haute tension (supérieure à 220 kV) prenne 5 à 13 ans pour obtenir des permis et être construites dans les économies avancées, en fonction de la longueur de la ligne et d'autres facteurs » (des délais significativement plus faibles sont observés en Chine et en Inde).
Un appel à doubler les investissements dans les réseaux d'ici à 2030
Pour atteindre les objectifs de transition énergétique à travers le monde, il serait nécessaire d'« ajouter ou rénover un total de plus de 80 millions de kilomètres de réseaux d’ici 2040, soit l’équivalent de la totalité du réseau électrique actuel ». L'AIE juge « vital » de disposer de ces réseaux modernes et numériques pour « garantir la sécurité électrique pendant les transitions énergétiques propres ».
L'Agence alerte en particulier sur le fait que près de 3 000 GW de capacités renouvelables (dont 1 500 GW « à des stades avancés ») sont en attente d'un raccordement aux réseaux, soit l'équivalent de 5 fois les capacités solaires photovoltaïques et éoliennes cumulées connectées en 2022. Une donnée qui témoigne selon l'AIE du fait que les réseaux deviennent « un goulot d’étranglement » pour les transitions bas carbone.
Il est souligné que les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables ont doublé depuis 2010 tandis que ceux en faveur des réseaux électriques sont restés relativement stables, aux alentours de 300 milliards de dollars par an. L'AIE juge que ces investissements devraient doubler d'ici à 2030 (à 600 milliards de dollars par an), tout en faisant évoluer les réglementations afin que des dernières facilitent le développement nécessaire de réseaux électriques fiables.
Ce manque d'investissements et d'attention concernant les réseaux, qui entraîne entre autres une plus grande dépendance vis-à-vis du gaz, représente une menace centrale pour l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les coupures d'électricité, amenées à se multiplier dans un contexte de sous-investissement, ont par ailleurs déjà un impact économique estimé à près 100 milliards de dollars par an (soit environ 0,1% du PIB mondial), rappelle l'AIE.