Bernard Tardieu a été vice-président de la Commission Internationale des Grands Barrages entre 2006 et 2009. (©EDF-Franck Oddoux)
Il a souvent été fait référence aux barrages hydrauliques dans les dernières semaines, que ce soit au sujet de ceux produisant de l’électricité (dans le cadre du projet de loi de transition énergétique) ou non (dans le cas du barrage de Sievens). Nous avons interrogé sur ces sujets Bernard Tardieu, Président de la Commission « énergie et changement climatique » au sein de l’Académie des Technologies et membre du Comité des Experts de Connaissance des Énergies.
1) Compte tenu de la confusion autour du barrage de Sivens, pouvez-vous rappeler les différents types de barrages hydrauliques et leurs fonctions ?
Il y a environ 450 « grands » barrages en France selon la définition internationale de la CIGB(1) (barrages d’une hauteur supérieure à 15 mètres). Près de 220 de ces barrages sont utilisés pour produire de l’électricité, essentiellement dans les zones de montagne. Les autres barrages servent à l’alimentation en eau des villes, à l’irrigation (essentiellement dans le sud de la France), à la protection contre les crues, et pour les anciens barrages à l’alimentation en eau des canaux de navigation. Il existe par ailleurs plusieurs milliers de retenues collinaires, des « mini-barrages » permettant de stocker de l’eau afin de la restituer à des fins similaires à l’image du barrage de Sivens dont la hauteur est de 12 mètres.
Dans le monde, il y a près de 45 000 grands barrages dont 26 000 en Chine : 18% sont utilisés pour produire de l’électricité et 50% pour stocker et distribuer l’eau pour l’irrigation, 12% pour l’eau potable, 10% pour limiter les crues, 10% pour la navigation, les loisirs et autres. Beaucoup de ces retenues sont à but multiples, c’est-à-dire que leur bonne gestion permet de satisfaire des besoins énergétiques et des besoins en eau à partir d’une seule retenue d’eau.
2) Que représente l’énergie hydroélectrique aujourd’hui en France ? Et quel est son potentiel de développement ?
Le parc hydroélectrique français a une puissance totale installée de 27,5 GW, dont :
- 18,2 GW provenant des lacs de haute chute (17,4 GW avec EDF comme opérateur et 0,86 GW avec la SHEM(2)) ;
- 4,38 GW de retenues au fil de l’eau (2,98 GW avec la CNR(3) et 1,4 GW avec Rhin EDF) ;
- 4,9 GW de STEP (turbinage-pompage, EDF).
L’ensemble du parc hydroélectrique a produit 75,7 TWh en 2013, soit 13,8% de la production électrique française durant l’année(4).
Il n’est pas prévu de développement de ce parc, sauf dans le cas des STEP si les conditions du marché de gros permettent leur rentabilité.
Vue aérienne du barrage hydraulique et du lac de Sainte Croix dans les Gorges du Verdon (©EDF-Franck Oddoux)
3) Comment fonctionnait jusqu’ici le système des concessions hydrauliques ?
Selon la loi du 16 octobre 1919, « nul ne peut disposer de l’énergie des cours d’eau sans une concession (pour les centrales ayant une puissance supérieure à 4,5 MW) ou une autorisation (puissance inférieure à 4,5 MW) ». Il y a aujourd’hui près de 400 concessions dont la puissance totale cumulée atteint 24 GW. La durée des concessions est en général de 75 ans. Au-delà de la limite, la concession doit être renouvelée ou attribuée à un autre concessionnaire selon une procédure à définir.
Les choses se compliquent quand la production électrique résulte d’une chaine de barrages et d’usines qui fonctionnent ensemble et dont il est peu souhaitable de disjoindre les concessions pour des raisons techniques d’optimisation de la production et pour des raisons économiques. En effet, les barrages de retenue et les usines sont parfois séparés par des tunnels et des conduites forcées, et il n’est pas facile d’attribuer une valeur séparée à chaque élément du système.
4) Que prévoit le projet de loi de transition énergétique sur ce point et quelles seront les prochaines étapes ?
Le projet de loi « transition énergétique pour une croissance verte » qui n’est pas encore finalisé comporte un chapitre II dédié aux « concessions électriques », avec les articles 28 et 29 (les numéros peuvent changer dans le texte définitif). Il prévoit des regroupements possibles de concessions afin d’optimiser l’exploitation de la chaine, ce qui est une bonne chose.
Il prévoit aussi que l’Etat puisse créer une société mixte hydroélectrique avec une personne morale de droit privé (ou un groupement de personnes morales de droit privé qualifié d’actionnaire opérateur). Les collectivités territoriales riveraines de cours d’eau peuvent être actionnaires de la société mixte hydroélectrique.
L’Etat et, le cas échéant, les collectivités territoriales et les autres partenaires publiques doivent détenir conjointement au moins 34% du capital de la société. La part de capital de l’actionnaire opérateur ne peut pas être inférieure non plus à 34%. Ce système est assez proche du modèle d’actionnariat de la CNR (49,97% GDF Suez, 33,2% Caisse des Dépôts et Consignations et 16,83% collectivités locales). Cela pourrait compliquer le modèle d’EDF. A priori, ce n’est toutefois pas une obligation. Attendons le texte final.