Le GIEC (Groupe d’Experts International sur l’évolution du Climat) a publié les deuxième et troisième volets de son dernier rapport sur l’évolution du climat fin mars et mi-avril. Il y précise les impacts concrets du changement climatique, entre autres sur les océans et la sécurité alimentaire, qui sont prévisibles en l’absence de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Dans le troisième volet qui boucle ce 5e rapport du GIEC, il apporte des informations sur les actions nécessaires à l’atténuation du changement climatique. Les problématiques énergétiques sont pleinement concernées par la question du changement climatique qui va s’imposer d’elle-même à moyen terme. Nous avons interrogé notre Expert Hervé Le Treut, climatologue et membre de l’Académie des sciences qui contribue aux travaux du GIEC.
1) Quel impact le changement climatique va-t-il avoir sur les océans ?
Les océans accumulent une grande part du réchauffement produit par les gaz à effet de serre, ce qui va conduire à diminuer l’étendue de la banquise arctique, certains régimes de courant ainsi que le renouvellement dans les eaux de surface du phosphore et de l’azote, indispensables à la vie. Ils absorbent aussi environ un quart du CO2 émis par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel. Pendant beaucoup d'années ce processus a été vu comme un bénéfice pour la planète puisqu'il contribuait à ralentir le réchauffement atmosphérique. On sait aujourd'hui que cet « autre problème du CO2 » provoque une acidification de l'océan, qui menace les coraux ou les espèces animales à coquilles ou carapaces et peut affecter la biodiversité de manière majeure.
2) Le changement climatique implique-t-il une hausse globale ou une plus grande variabilité des températures ?
Le changement climatique sera d'abord caractérisé par une hausse globale des températures. Cette hausse constitue la réponse directe à l'augmentation de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre. Le réchauffement est toutefois sujet à toutes sortes de différenciations: plus fort près des Pôles ou sur les continents, modulé selon les saisons et sujet à des fluctuations qui reflètent le caractère partiellement chaotique des mouvements de l'atmosphère. Les circulations atmosphériques subiront à la fois le réchauffement des températures de surface et la diminution des contrastes de température Pôle-Equateur : cela devrait conduire à des changements importants incluant une modification des fréquences d’évènements extrêmes. Ces aspects plus régionaux restent difficiles à anticiper dans le détail mais constituent des risques importants.
Glacier Perito Moreno en Argentine (©photo)
3) Quelles sont les menaces pesant sur l’agriculture et la sécurité alimentaire ?
Le réchauffement diminuera les rendements agricoles des régions chaudes, en particulier dans la zone intertropicale. Il pourra au contraire se montrer favorable à la croissance de la végétation dans les zones boréales. Pour un continent comme l'Afrique qui devra multiplier par 5 sa production alimentaire d’ici le milieu du siècle pour faire face à l’évolution de la démographie et des modes de vie, ce facteur négatif sera une contrainte importante. Les modifications hydrologiques, plus difficiles à anticiper, s’ajouteront aux modifications de température pour créer des situations de tension récurrentes. Dans toutes les régions du monde, il peut se produire une concurrence entre des usages différents des sols : alimentation, biocarburants, préservation de la biodiversité, arbitrée de manière complexe par la mondialisation de l’économie.
4) Les énergies fossiles doivent-elles être disparaître à court terme de nos mix énergétiques ?
Le plus tôt est effectivement le mieux car la « demi-vie » atmosphérique du CO2 est d’un siècle environ : l’effet cumulatif de nos émissions engage fortement notre avenir. Les modèles couplant la représentation du climat et celle du cycle du carbone montrent que pour stabiliser le climat en dessous de 2°C de réchauffement, il faudra non seulement diviser nos émissions par un facteur de l’ordre de 3 globalement d’ici 2050, mais aussi éventuellement être confronté en fin de siècle à la nécessité d’« émissions négatives ».
5) Quelle est la position du GIEC sur l’utilisation de l’énergie nucléaire ?
Le GIEC a pour mandat de faire un état des lieux scientifique le plus factuel possible selon une logique d’expertise très stricte : être « policy relevant » mais pas « policy prescriptive », s’appuyer sur la littérature scientifique publiée dans des journaux à comité de lecture. Il ne prend pas partie pour ou contre l’énergie nucléaire, et voit avant tout le problème de l’énergie du point de vue des risques climatiques. L’énergie nucléaire est une composante importante de beaucoup de scénarios décarbonés. Elle ne suffit cependant pas à résoudre l’ensemble des problèmes futurs et se trouve confrontée à des risques et/ou des résistances. Les choix à effectuer sont bien ceux des citoyens et des gouvernements et le GIEC en tant que tel n’a pas de « position » à ce sujet.