Histoire de l’électronucléaire en France

Photo histoire de réacteur nucléaire français

Empilement de supports de graphite dans le réacteur nucléaire de Chinon 1. Celui-ci est connecté au réseau électrique français en juin 1963. (©EDF)

Origine : recherche et centrales de première génération

En octobre 1945, le Général de Gaulle crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour lancer la recherche et l’industrialisation de l’énergie nucléaire en France. L’organisme est chargé de mettre en œuvre tous les programmes de recherche liés au nucléaire (production d’électricité, défense, médecine, radioprotection, sûreté, etc.).

Dix ans plus tard en 1955, le CEA met en service à Marcoule un premier réacteur nucléaire modéré au graphite utilisant l’uranium naturel comme combustible (filière dite « UNGG » pour Uranium naturel graphite gaz(1)). D’une puissance très modeste de 2 MW, ce réacteur baptisé « G1 » est le premier à fournir de l’électricité, mais il est surtout destiné à la Défense nationale, car il produit du plutonium.

Deux autres réacteurs expérimentaux (G2 et G3), délivrant chacun une puissance de 40 MW, sont mis en service en 1958 et 1960 (ils seront respectivement exploités par le CEA jusqu’en 1980 et 1984).

Au total, 9 réacteurs de « 1re génération » appartenant à la filière UNGG sont construits en France.

L’entreprise publique de production d’électricité EDF est chargée de mettre en place le programme électronucléaire français et lance la construction du premier réacteur de la centrale nucléaire de Chinon en 1957 (70 MW), du même type que les réacteurs du CEA.

Au total, 9 réacteurs de « 1re génération » appartenant à la filière UNGG sont construits en France(2), le dernier d’entre eux (Bugey 1 dont la puissance atteint 540 MW) étant raccordé au réseau en 1972(3). Ils portent alors la puissance totale installée du parc nucléaire français à 2 084 MW. En 1973, le nucléaire satisfait environ 8% de la production d’électricité française.

Choc pétrolier et centrales de deuxième génération

En octobre 1973 a lieu la guerre du Kippour qui entraîne le premier choc pétrolier : l’OPEP décide d’augmenter de 70% le prix du baril puis de réduire sa production de pétrole de 5% chaque mois, ce qui a pour effet de faire encore augmenter ce prix. Le baril se stabilise à un prix de 12 $ de l’époque, soit près de quatre fois son niveau antérieur à la crise.

Le premier choc pétrolier accélère sensiblement le programme électronucléaire français.

Le premier choc pétrolier accélère sensiblement le programme électronucléaire français. En mars 1974, Georges Pompidou décide d’accélérer ce développement alors que les centrales thermiques à combustibles fossiles fournissent à l’époque près de 65% de l’électricité française. Le choix de l'énergie nucléaire est donc une question économique et d'indépendance énergétique.

Un programme de construction de très grande ampleur est lancé : 54 réacteurs, d’une puissance cumulée de plus de 55 000 MW (55 GW), sont construits dans les années 1970 et 1980, leur coût de construction total atteignant l’équivalent de plus de 65 milliards d’euros actuels(5).

L’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte est construite afin de garantir la maîtrise du cycle du combustible.

En avril 1977, le premier réacteur à eau pressurisée Fessenheim 1 est connecté au réseau électrique.

Initialement, le Général de Gaulle avait choisi la filière UNGG pour des raisons d’indépendance (garantie d’approvisionnement en uranium naturel) et avait donné son accord pour la construction de deux réacteurs de ce type à Fessenheim. Le Président Georges Pompidou décide d’abandonner la filière développée par le CEA et de choisir la filière à uranium enrichi et à refroidissement par eau pressurisée (dénommée « PWR(4) » ou « REP » en français). Cette filière est développée par l’américain Westinghouse qui développe déjà un parc aux États-Unis et présente des avantages en matière de compacité, de coût ou encore de sûreté.

Les deux réacteurs de Fessenheim devant initialement appartenir à la filière UNGG sont remplacés par deux réacteurs à eau pressurisée (les premiers du parc nucléaire français). Il s’agit également des premiers réacteurs du 1er « palier » (avec 4 autres réacteurs construits à l’époque). En avril 1977, le premier réacteur à eau pressurisée Fessenheim 1 (d’une puissance de 880 MW) est connecté au réseau électrique. Jusqu'à sa fermeture en juin 2020, il a produit 226 TWh.

Quatre autres « paliers » de réacteurs nucléaires sont par la suite mis en service. Ils correspondent chacun à une étape de la standardisation du parc nucléaire français intégrant à chaque fois les retours d’expérience pour améliorer la sûreté et les performances des installations.

Tous ces réacteurs à eau pressurisée dits de « 2e génération » constituent le parc nucléaire actuellement en fonctionnement en France.

Le réacteur de Civaux 2, raccordé au réseau électrique en juin 1999, est le dernier réacteur nucléaire à avoir été mis en service depuis l'EPR de Flamanville, 25 ans plus tard.

EPR de Flamanville (3e génération)

En 1997, Framatome développe en collaboration avec Siemens l’EPR (European Pressurized water Reactor, ou réacteur pressurisé européen en français), un réacteur de 1 650 MW de type PWR comme les réacteurs actuels (eau pressurisée et uranium enrichi).

Sa différence avec les précédents modèles :

  • Il renforce les dispositifs de sûreté (systèmes redondants, double enceinte de confinement, récupérateur de corium, etc.) ;
  • Il réduit la consommation d’uranium ;
  • Il réduit la production de déchets à durée de vie longue ;
  • Il améliore le rendement thermique.

La décision de passer à la filière EPR est actée par la loi d’orientation du 13 juillet 2005.

La construction de l’EPR de Flamanville démarre mi-2007, la date de mise en exploitation étant initialement prévue en 2012. Celle-ci est reportée à plusieurs reprises, et est maintenant actée pour 2024.

Le retard du projet de l'EPR de Flamanville s'explique principalement par une série de problèmes techniques et de gestion. Dès le début, le projet a rencontré des difficultés liées à la complexité de la nouvelle technologie EPR, qui vise à offrir des standards de sécurité et de performance élevés. La conception et la construction de ces réacteurs ont révélé des défis techniques non anticipés, notamment des soudures défectueuses, des anomalies dans le couvercle et le fond de la cuve du réacteur, ainsi que des problèmes de conformité aux normes de sûreté. Ces problèmes ont nécessité des révisions et des réparations importantes, entraînant des délais supplémentaires.

En outre, la gestion du projet a été marquée par des défauts de coordination entre les différents acteurs impliqués, notamment EDF et ses sous-traitants, ainsi que des problèmes de planification et de supervision. Les retards accumulés ont également été amplifiés par des contraintes réglementaires strictes imposées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui a exigé des vérifications et des corrections rigoureuses pour garantir la sécurité du réacteur. Les surcoûts financiers associés à ces retards ont encore compliqué la situation, augmentant la pression sur EDF et ses partenaires pour livrer un projet conforme aux attentes en termes de sécurité et de performance.

Enfin, c'est aussi les années sans aucune construction et sans anticipation de programmes de construction, et les formations aux métiers correspondants, qui ont joué sur le non-respect des délais.

Un deuxième réacteur situé à Penly dont la construction a été décidée en janvier 2009 a été abandonné en février 2013.

Pour rappel, 3 réacteurs EPR sont en activité hors de France (un en Finlande et deux en Chine) auxquels s’ajoutent deux autres réacteurs en construction à Hinkley Point en Grande-Bretagne suite à l’accord conclu en octobre 2015 par EDF.

Déclin et retour en grâce du nucléaire

François Hollande et pendant un temps Emmanuel Macron ont, comme la société civile, souhaité réduire le parc nucléaire français. En raison, les doutes sur la sécurité et la hausse des coûts. Mais à l'aune de la crise des prix de l'énergie, le Gouvernement a changé de braquet.

Débats sur la transition énergétique

Avant le débat national sur la transition énergétique (DNTE) amorcé fin 2012, un débat similaire a déjà eu lieu en 2003. A l’issue de ce dernier, le gouvernement a rédigé un livre blanc fixant pour les énergies renouvelables un objectif de 21% dans la production d’électricité en 2010. Aucun objectif chiffré n’est alors assigné à l’énergie nucléaire.

En revanche, la loi de transition énergétique pour la croissance verte adoptée à l’été 2015 prévoit plusieurs dispositions pour le nucléaire : une réduction de sa part dans la production d’électricité à 50% en 2025 (objectif correspondant à l’engagement de François Hollande suite à un accord avec EELV en novembre 2011) et un plafonnement de la capacité installée du parc nucléaire français à 63,2 GW (puissance actuelle du parc nucléaire français). Ce deuxième point implique que la mise en service du réacteur EPR de « 3e génération » de Flamanville (puissance de 1 650 MW) entraîne l’arrêt de capacités nucléaires préexistantes de puissance équivalente.

Hausse des coûts du nucléaire

Enfin, le vieillissement du parc nucléaire actuel et la nécessité de le renouveler ou de le moderniser contribuent également à ce renouveau. Le programme de prolongation de la durée de vie des centrales existantes, combiné aux projets de construction de nouvelles installations, est soutenu par des investissements significatifs.

L'accumulation du plan de grand carénage (plus de 50 milliards d'euros) et l'explosion des coûts de Flamanville (plus de 19 milliards contre les 3,3 prévus initialement) ont apporté un sérieux coût à la conception d'une source d'énergie pas chère.

Arrêt du programme Astrid

Le programme Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), lancé par la France, avait pour objectif de développer un réacteur nucléaire de quatrième génération utilisant un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, capable de recycler les déchets nucléaires. Le CEA développait un prototype de 600 MW, réduit ensuite à 200 MW.

Cependant, en 2019, le gouvernement français a décidé de suspendre le projet en raison de plusieurs facteurs : les coûts élevés de développement, les incertitudes technologiques et économiques, et les nouvelles orientations de la politique énergétique nationale qui favorisent davantage les énergies renouvelables et la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires actuels.

Cette décision marque alors un recul dans les ambitions françaises de leadership dans le domaine des technologies nucléaires avancées.

Le sursaut de l'atome

Un facteur clé est la volatilité des prix de l'énergie sur les marchés internationaux, exacerbée par des événements géopolitiques récents comme la guerre en Ukraine. Ces fluctuations ont mis en lumière la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis des importations de gaz et de pétrole, renforçant l'argument en faveur d'une production domestique d'énergie. Le nucléaire, en tant que source d'énergie continue et fiable, offre une alternative à cette dépendance, permettant à la France de sécuriser son approvisionnement énergétique tout en stabilisant les coûts à long terme. Même avec un parc de voitures électriques.

Face à l'urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire est aussi perçu comme une solution viable pour fournir une énergie bas-carbone en grande quantité.

Le Gouvernement a depuis acté la construction de six nouveaux réacteurs EPR 2 d'ici 2050. Les sites potentiels incluent Penly et Gravelines. Ce chiffre pourrait être porté à 14. Un autre objectif est de développer et produire un SMR français, pour une mise en service dans les années 2030

En mai 2024, le parc nucléaire français est constitué de 56 réacteurs répartis entre 18 centrales, 14 autres réacteurs ayant été définitivement arrêtés. Il compte pour environ 70% de la production d’électricité française. Il n'est plus question de limiter sa capacité installée ni sa part dans la production d'électricité nationale.

Alors même que le grand programme de construction nucléaire commencé dans les années 1970 est lié à l'essor économique des 30 glorieuses, le Gouvernement souhaite renouer avec la prospérité énergétique et économique.

Quels réacteurs nucléaires à l'avenir ?

SMR (horizon 2030)

Les petits réacteurs modulaires (SMR) nucléaires sont une nouvelle génération de réacteurs nucléaires conçus pour être plus compacts, flexibles et économiques que les réacteurs traditionnels. Leur principe repose sur une conception modulaire, permettant une fabrication en série en usine et un assemblage sur site, ce qui réduit significativement les délais et les coûts de construction.

Ils ont une capacité de production électrique typiquement inférieure à 300 MW, comparé aux 1 000 MW ou plus des réacteurs conventionnels, ce qui les rend adaptés à des utilisations variées, comme l'alimentation en énergie de petites communautés, des sites industriels ou des régions éloignées.

En termes de sûreté, les SMR intègrent des avancées technologiques visant à améliorer la sécurité intrinsèque des réacteurs. Ils sont souvent conçus avec des systèmes de refroidissement passifs qui n'ont pas besoin d'intervention humaine ni d'alimentation électrique pour fonctionner, réduisant ainsi le risque d'accidents graves.

Le consortium français, composé d'EDF, du CEA, de TechnicAtome et de Naval Group, a choisi le site du CEA de Marcoule pour la construction du premier prototype de mini-réacteur SMR dans le cadre du projet Nuward.

D'autres projets, comme Sparta, Jimmy ou Blue Capsule, sont également en cours, avec comme objectif un développement d'ici 2030.

Réacteurs de 4e génération (horizon 2050)

Si le parc nucléaire devait être remplacé à l’heure actuelle, des EPR seraient très probablement substitués aux réacteurs de 2e génération en service. A moyen terme, des réacteurs nucléaires de « 4e génération » pourraient également être déployés au cours de la deuxième partie du XXIe siècle en cas de stratégie énergétique favorable à la filière.

Pour rappel, les réacteurs nucléaires dits de 4e génération englobent plusieurs filières devant améliorer les performances en matière de consommation de combustible, de production de déchets (consommation du plutonium produit par les réacteurs actuels, transmutation des actinides mineurs, etc.) ou encore de diversification des applications thermiques (production de chaleur industrielle à haute température).

En 2000, le Forum International Génération IV est constitué à l’initiative des États-Unis. Il sélectionne six systèmes de réacteurs susceptibles de satisfaire au mieux ces exigences environnementales, économiques et de sûreté. Des programmes de recherche et de développement commencent en 2004. Trois des systèmes sélectionnés utilisent des neutrons rapides (réacteurs refroidis à l’hélium, au sodium ou au plomb), trois autres des neutrons thermiques (réacteurs à très haute température refroidis à l’hélium destinés à la production d’hydrogène, réacteurs à eau supercritique et réacteurs à sels fondus).

 Le CEA développe actuellement le réacteur de 4e génération Astrid.

La France se concentre sur les deux premiers systèmes à neutrons rapides (hélium et sodium). Les réacteurs au sodium bénéficient en particulier déjà d’un important retour d’expérience puisqu’un réacteur de 560 MW de ce type fonctionne en Russie depuis 1980, des réacteurs expérimentaux ayant également fonctionné au Japon et en France (Superphénix, démarré en 1985 et arrêté en 1997).

Fusion nucléaire « contrôlée »

La fusion désigne l’assemblage de deux noyaux légers formant ainsi un noyau plus lourd. Ce processus dégage d’énormes quantités de chaleur et produit théoriquement 4 fois plus d’énergie que la fission à masse de combustible égale.

Des recherches portent ainsi sur la fusion de deux isotopes de l'hydrogène (deutérium et tritium), portés à des températures de plusieurs millions de degrés. Cette réaction ne permet de produire durablement de l’énergie que si l’on maintient confiné et suffisamment chaud le plasma formé par les noyaux de deutérium, de tritium et les électrons provenant de l’ionisation. Deux possibilités se présentent pour assurer un tel confinement, soit au travers d’un champ magnétique, soit par des impulsions de faisceaux laser.

Le projet ITER est lancé en 2005 par 34 pays.

Dans les systèmes à confinement magnétique les plus développés (tokamak), le chauffage du plasma peut se faire en particulier  par transfert au plasma de l’énergie des particules alpha issues de la réaction de fusion. C’est cette voie qui est utilisée dans le projet ITER, lancé en 2005 par 34 pays. La construction d’ITER débute en 2007. Un nouveau calendrier devrait être officialisé lors du prochain conseil ITER de juin 2016 et actualiser la date envisagée pour la mise en service (premier plasma)(8). Le budget total pour la construction et l’exploitation d’ITER est évalué à plus de 20 milliards d’euros.

Il est prévu qu’ITER soit exploité durant une période de 20 ans avec deux principaux objectifs :

  • générer une puissance thermique de 500 MW durant 400 secondes (6 minutes 40) en consommant une puissance électrique pour chauffer le plasma limitée à 50 MW ;
  • maintenir les réactions de fusion dans le plasma pendant au moins 1 000 secondes (16 minutes 40) et jusqu’à 3 000 secondes.

Pendant toute sa durée d’exploitation de 20 ans, ITER ne devrait ainsi fonctionner que durant 400 heures. Si les résultats sont concluants, ITER qui est un réacteur thermique sera suivi par le premier réacteur électrogène utilisant la fusion nucléaire (baptisé « DEMO »). Les travaux de recherche sur la fusion nucléaire ne seront a priori pas finalisés avant la fin du siècle.

dernière modification le 29 mai 2024

Sources / Notes

  1. Pour « Uranium Naturel Graphite Gaz ».
  2. En incluant les 3 réacteurs du CEA à Marcoule.
  3. Ce réacteur sera arrêté en 1994.
  4. Pour « Pressurized Power Reactor ».
  5. Au total, la construction des 58 réacteurs du parc nucléaire français actuellement en service aurait coûté près de 72,9 milliards d’euros 2010 selon l’étude « Les coûts de la filière électronucléaire » de la Cour des comptes (janvier 2012).
  6. Le coût de ce réacteur tête de série a été multiplié par 3, passant de 3,3 à 19 milliards d’euros, notamment en raison de nombreux défauts de fabrication, des exigences accrues de l’ASN et de problèmes de sous-traitance.

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