Essequibo : le pétrole au centre des tensions entre Venezuela et Guyana

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Drapeau du Guyana

Drapeau du Guyana

L’Essequibo désigne à la fois le plus long fleuve du Guyana et un vaste territoire qui fait l’objet d’un différend territorial entre le Venezuela et le Guyana. Ce différend est exacerbé depuis 2015 par la découverte d’importantes réserves de pétrole dans cette zone par ExxonMobil.

Où est situé l’Essequibo ?

L’Essequibo correspond à la partie occidentale du Guyana. Ce territoire s’étend sur une surface de 159 500 km2, soit plus de deux fois la superficie du Portugal et environ les deux tiers de la taille du Guyana (mais moins de 20% de la population nationale).

Cette zone est plus précisément située entre la frontière avec le Venezuela à l’ouest et le fleuve Essequibo à l’est.

Carte de l'EssequiboCarte issue de l'article « Essequibo : crise géopolitique entre le Guyana et le Venezuela » de Patrick Blancodini paru sur Géoconfluences. Cliquez dessus pour une meilleure définition.

Rappelons que le Guyana est bordé par le Venezuela (au nord-ouest), le Brésil (au sud-ouest) et le Surinam (au sud-est). Ce pays est indépendant depuis 1966 : il était auparavant une colombie britannique, appelée la Guyane britannique (le Guyana est le seul État d’Amérique du Sud où la langue officielle est l’anglais).

L’Essequibo est parfois également appelé « Guayana Esequiba » (ou « Zona en reclamación » au Venezuela). « Dans la mesure où la terminologie a valeur d'engagement auprès de l'une ou l'autre des parties en dispute, l'emploi du vocable le plus neutre, en l'occurrence ici Essequibo, est préférable, pour tout observateur extérieur au contentieux », précise toutefois Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l'Observatoire de l'Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès.

Combien y a-t-il de pétrole dans le territoire de l’Essequibo ?

Estimation et localisation des réserves

À fin 2023, les ressources de l’Essequibo étaient estimées par Rystad à 16 milliards de barils équivalent pétrole, avec « essentiellement des liquides (pétrole) et très peu de gaz à ce jour », précise Jérôme Sabathier, chef du département Économie et évaluation environnementale chez IFP Energies nouvelles(1). « On estime que 70% des ressources sont connues (en production, en développement ou découvertes) et 30% restent à découvrir ».

Ces réserves de pétrole du Guyana sont intégralement situés « en offshore profond, à 76% en ultra deepwater (> 1 800 m de profondeur) et le reste en deep water (> 1 000 m) ».

Précisons que le Guyana a compté pour 7% de l'ensemble des découvertes de pétrole brut dans le monde entre 2015 et 2023 (et plus de la moitié en Amérique latine et dans les Caraïbes), selon le World Energy Outlook 2023 de l'AIE.

Production de pétrole du Venezuela et du Guyana

En mars 2024, la production de pétrole du Guyana s’est élevée à 660 000 barils par jour (b/j)(2) contre 860 000 b/j pour le Venezuela, selon les dernières données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

La production du Guyana est en croissance très rapide : de 390 000 b/j en 2023, elle pourrait atteindre en moyenne 630 000 b/j en 2024 et 770 000 b/j en 2025 selon l’AIE, puis aux alentours de 900 000 b/j à l’horizon 2030. En prenant en compte tous les champs découverts, la production potentielle du Guyana pourrait s’élever à 1,8 million de barils par jour (Mb/j) en 2035 selon Rystad. Soit une production proche de celle du Mexique ou de la Norvège.

Production de pétrole au Guyana©ExxoMobil

Le Guyana pourrait ainsi « rapidement rentrer dans le top 20 des producteurs de pétrole brut dans le monde » (à l’horizon 2027-2030), indique Jérôme Sabathier. Et la croissance de la production pétrolière du Guyana attendue en 2024 (+ 238 000 b/j) pourrait compter pour « près de 20% de la demande de pétrole mondiale cette année » (+ 1,2 Mb/j).

Valeur économique

Le Guyana a quadruplé ses exportations de pétrole entre 2020 et 2022 selon l'AIE (avec près de la moitié de ses cargaisons en 2022 ayant pour destination l'UE et contribuant ainsi à remplace le pétrole russe).

Les revenus du Guyana liés au pétrole ont « dépassé le milliard de dollars en 2022 et devraient atteindre 7,5 milliards en 2030 », souligne Jérôme Sabathier. D’ici à 2040, ces revenus cumulés pourraient s’élever à 157 milliards de dollars selon les estimations de Rystad.

Grâce à la manne pétrolière, le produit intérieur brut (PIB) réel du Guyana (auparavant parmi les pays les plus pauvres dans le monde) aurait augmenté de 38,4% en 2023 selon le FMI, qui prévoit « une croissance annuelle moyenne de 20% entre 2024 et 2028 ».

Quelle est l’origine du différend ?

Le Venezuela revendique sa souveraineté sur l’Essequibo tandis que Georgetown (capitale du Guyana) estime que son voisin avait renoncé à cette zone lors de l’arbitrage de Paris en 1899 (par lequel le Royaume-Uni reconnaissait par ailleurs au Venezuela le contrôle de l’embouchure de l’Orénoque).

Ancienne colonie hollandaise, l’Essequibo a eu une histoire mouvementée : le territoire faisait partie du Venezuela lors de son indépendance en 1811 mais il avait par la suite été annexé par le Royaume-Uni à sa colonie guyanaise en 1840. Une crise en 1895 entre le Royaume-Uni et le Venezuela avait abouti à fixer la ligne Schomburgk en 1899 pour délimiter les frontières.

Quelques mois avant l’indépendance du Guyana en 1966, le Venezuela avait signé l’accord de Genève avec le Royaume-Uni. Mais le différend a perduré durant les décennies suivantes. Jusqu’à la découverte d’importantes réserves de pétrole offshore au large de l’Essequibo par ExxonMobil en 2015 qui a engendré une nouvelle montée des tensions entre les deux pays.

« La découverte de pétrole dans cette région est incontestablement un facteur aggravant. Mais le conflit est ancien, non résolu, et donc se réactive en fonction de la conjoncture diplomatique ou politique du Venezuela », note Jean-Jacques Kourliandsky.

De nombreux épisodes ont depuis renforcé les tensions entre Venezuela et Guyana(3). En décembre 2023, le Venezuela a notamment organisé un référendum consultatif invitant entre autres la population à « s'opposer, par tous les moyens, conformément à la loi, à la demande du Guyana de disposer unilatéralement d'une mer en cours de délimitation, illégalement et en violation du droit international » et à attribuer la nationalité vénézuélienne aux 125 000 habitants de l'Essequibo.

Qui pour résoudre cette crise ?

Un différend devant la Cour internationale de justice

En avril 2023, la Cour internationale de justice (CIJ) s’est déclarée compétente pour trancher le différend entre le Guyana (qui avait porté l’affaire devant la Cour en 2018 avec la montée des tensions) et le Venezuela.

« La CIJ a été saisie par le Guyana qui entend faire valider les décisions adoptées en contexte colonial, en 1899 par une Cour d'arbitrage », rappelle Jean-Jacques Kourliandsky. « Le Venezuela est partisan d'une négociation bilatérale comme accordé à Genève en 1966 avec l'aval de l'ONU ». Mais Caracas a, bien que ne reconnaissant pas la compétence de la CIJ, présenté devant la Cour le 5 avril 2024 « ses arguments assortis d'une copieuse documentation ».

Position des États-Unis

La major pétrolière américaine ExxonMobil est la grande artisane du développement de l’exploitation pétrolière dans la zone de l’Essequibo.

De fait, les États-Unis « défendent la souveraineté du Guyana », souligne Jean-Jacques Kourliandsky : « ils ont début décembre 2023 effectué quelques gesticulations militaires pour faire comprendre la portée concrète de ce choix à la partie vénézuélienne. Les raisons de Washington ici encore sont multiples : pétrolières sans doute, régionales (le Guyana étant le pays siège du Caricom), diplomatiques (Washington ayant des relations conflictuelles avec le Venezuela, pays allié de la Chine et de la Russie) »... 

Les États-Unis ont annoncé le 17 avril réimposer des sanctions contre les secteurs pétroliers et gaziers vénézuéliens, estimant que le gouvernement du président Nicolas Maduro poursuivait sa politique de répression de l'opposition avant l'élection présidentielle du 28 juillet.

Alors que l’issue de l’élection présidentielle en novembre 2024 soulève de nombreuses incertitudes, notamment d’ordre géopolitique, Jean-Jacques Kourliandsky rappelle que « Démocrates comme Républicains partagent les critiques à l'égard du Venezuela. Cette politique hostile à l'égard des autorités vénézuéliennes est par ailleurs défendue par un électorat d'origine vénézuélienne et cubaine, pour l'essentiel résidant dans un État décisif électoralement, la Floride ».

Sources / Notes

  1. Entre 2015 et 2021, le Guyana a découvert environ 8 milliards de barils de réserves de pétrole entre 2015 et 2021 selon le Center for Strategic and International Studies.
  2. « Le Guyana produit trois grades de pétrole brut. Les deux principaux sont le Liza medium sweet, avec une production de 130 000 barils par jour, et l'Unity Gold plus léger, avec une production de 220 000 barils par jour. Les exportations du troisième grade, le Payara Gold medium sweet, viennent juste de commencer. Les raffineurs européens ont tendance à préférer l'Unity Gold, en raison de ses rendements plus élevés de carburants de transport (voir tableau). L'Unity Gold est globalement similaire en qualité au pétrole brut Es Sider de Libye. Les importations du brut du Guyana en Europe comblent une partie du déficit laissé par le pétrole brut russe Urals sous embargo », précise Jérome Sabathier.
  3. En janvier 2021, le président vénézuélien Nicolas Maduro a publié un décret pour revendiquer 200 milles de fonds marines depuis le delta de l’Orénoque jusqu’aux zones de découverte de pétrole du Guyana. En septembre 2023, le Guyana a autorisé 6 sociétés pétrolières étrangères à forer dans les eaux revendiquées par son voisin.

Patrick Blancodini, « Essequibo : crise géopolitique entre le Guyana et le Venezuela », Géoconfluences, janvier 2024

 

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