Les affrontements près du siège du gouvernement à Kiev ont opposé près de 20 000 opposants aux forces spéciales de police. (©photo)
L’Ukraine s’est dotée hier d’un nouveau gouvernement avec le leader pro-européen Arseni Iatseniouk à sa tête. Près d’une semaine après les combats de rue dans Kiev et la chute de Viktor Ianoukovitch, la tension est encore palpable entre pro-européens et pro-russes, sur fond de contrats gaziers. Connaissance des Énergies rappelle quelques données importantes concernant le gaz et ce pays.
Un pays fortement dépendant de la Russie
En 2013, la production gazière de l’Ukraine a atteint 21 milliards de m3 selon les dernières données ministérielles du pays. La consommation nationale est près de 2,5 fois plus importante que cette production, atteignant 50,4 milliards de m3 en 2013. Ainsi, l’Ukraine est contrainte d’importer plus de la moitié du gaz qu’il consomme de son voisin russe via les gazoducs Bratstvo et Soyuz.
Cette dépendance fait du prix du gaz un enjeu économique majeur pour l’Ukraine. En décembre dernier, la Russie a accepté de réduire à hauteur de 268,5 $ le prix de 1 000 m3. Ce montant est près d’un tiers plus faible que le prix dont s’acquittait l’Ukraine depuis 2009. Les Ukrainiens espèrent aujourd’hui que cet accord ne sera pas remis en cause par les événements récents.
Parallèlement, le pays envisage de se développer en exploitant les gaz de schiste. Selon l’EIA américaine, l’Ukraine pourrait disposer de plus de 3 600 milliards de m3 de réserves techniquement recouvrables(1), soit près de 75 ans de consommation nationale. En cas de succès de l’exploitation, le pays ambitionnerait d’exporter du gaz vers l’Europe de l’Ouest d’ici à 2020.
Négociations Russie-Ukraine-UE le 14 avril 2015 à Berlin
Après plusieurs mois d'interruption des approvisionnements, un accord provisoire avait en effet été signé en octobre 2014 prévoyant une réduction de 100 dollars par millier de m3, qui correspond à l'annulation des droits douaniers. A ce rabais s'ajoute désormais l'effet de la chute des cours du pétrole sur le prix du gaz.
Kiev et Bruxelles avaient demandé que l'accord soit prolongé pour un an mais Moscou n'a accepté de le faire que pour trois mois.
L'objectif de ces négociations était de trouver une solution pour l'approvisionnement de l'Ukraine et de l'Europe pour l'hiver 2015-2016, alors qu'un fragile cessez-le-feu est en vigueur dans l'est de l'Ukraine entre les séparatistes prorusses et les forces loyalistes.
Les deux parties vont discuter sur les bases de l'accord trouvé le 20 mars lors de l'ouverture des négociations à Bruxelles, où il avait été convenu que la Russie examinerait la possibilité d'accorder un rabais à l'Ukraine sur ses livraisons, et que l'Ukraine veillerait à constituer des réserves suffisantes pour être en mesure d'assurer le transit du gaz vers l'Europe.
La Commission européenne s'engage de son côté à aider l'Ukraine, au bord de la faillite, à trouver "le soutien financier nécessaire pour acheter le gaz".
Le 2 avril, Moscou et Kiev avaient signé un accord permettant de prolonger de trois mois les livraisons de gaz russe à l'Ukraine à un prix réduit, soit 247,18 dollars pour 1.000 m3.
L'UE souhaite en outre obtenir de Kiev et Moscou un accord tenant jusqu'à fin 2016, date à laquelle se prononcera le tribunal international d'arbitrage de Stockholm saisi par les deux parties pour régler leur contentieux, né de la crise ukrainienne.
Un pays de transit stratégique entre Russie et UE
L’Ukraine est pas ailleurs un pays clé pour l’approvisionnement gazier européen de par sa position géographique stratégique. Le gaz russe circule par son territoire pour alimenter tous les pays d’Europe de l’Ouest (notamment la France et l’Allemagne) mais aussi du sud de l’Europe. Pour rappel, Gazprom a exporté l’an dernier près de 161,5 milliards de m3 de gaz vers l’Europe.
Cette situation soulève un risque d’approvisionnement comme en témoignent les crises de janvier 2006 et janvier 2009 : le transit de gaz avait alors été partiellement arrêté en raison de disputes sur les prix du gaz entre la Russie et l’Ukraine. Notons que ce transit constitue une manne conséquente pour l’Ukraine qui est engluée dans une crise économique avec une croissance quasi-nulle, ce pays percevant près de 3 milliards de dollars par an au titre des taxes de transit.
La crise de 2014 entre la Russie et l’Ukraine n’a pas engendré d’interruptions des livraisons gazières vers l’Europe. Les États membres étaient mieux préparés à affronter cette situation de crise qu’en 2009, avec des niveaux de stockage plus élevés et une part de gaz russe transitant via le réseau ukrainien réduite à 40% grâce au gazoduc Nord Stream qui achemine depuis 2012 du gaz de Russie vers l’Europe directement à la frontière allemande. Rappelons que jusqu’à la mise en service de ce gazoduc, près de 70% du gaz russe destiné à l’Europe devait traverser le réseau ukrainien.
Notons que la crise de 2014 n’a pas eu non plus les mêmes effets sur l’approvisionnement gazier de l’Ukraine. Durant la période d’interruption des livraisons russes entre juin et décembre 2014, l’Ukraine a pu elle aussi se tourner vers les flux rebours (en ayant également recours à sa production nationale et à des soutirages depuis les stockages). En 2014, le pays n’a ainsi importé de Russie que 14,5 milliards de m3 (Gm3) de gaz, contre 28,8 Gm3 en 2013. Cette baisse des importations s’explique aussi par une demande gazière intérieure en baisse (de 60 Gm3 en 2011 à 40 Gm3 en 2014), en raison de la récession économique frappant le pays, de la situation financière mais aussi des mesures d’économie d’énergie mises en place.