La Convention citoyenne pour le climat s'est réunie pour la première fois en octobre 2019. Ses différentes sessions eu ont lieu au Palais d’Iéna, siège du CESE. (©CESE-Katrin Baumann)
Mise en place à l’initiative du Président de la République, la Convention citoyenne pour le climat avait pour mandat de « définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale ». La Convention citoyenne pour le climat a rassemblé un panel de 150 personnes tirées au sort qui ont vocation à exprimer la voix des citoyens français, en reflétant la diversité de la société(1). Cette initiative, inédite en France, est une réponse de l'exécutif à la crise des "gilets jaunes" provoquée par une possible hausse de la taxe carbone.
Tirage au sort des participants
Le tirage au sort des 150 Français qui participeront à la Convention citoyenne pour le climat a eu lieu en août et septembre 2019, avant une première réunion début octobre.
Des numéros de téléphone ont été générés automatiquement - 85% de portable et 15% de fixe - et environ 250 000 personnes ont été appelées, pour en sélectionner au final 150.
Des critères avaient été fixés pour représenter au mieux la population française : 52% de femmes pour 48% d'hommes, six tranches d'âge (si possible à partir de 16 ans), niveaux de diplômes, diversités de métiers. Ont aussi été pris en compte le poids des régions, avec quatre représentants pour les Outre-Mer, et la répartition urbaine entre les pôles urbains, leurs couronnes et les zones rurales.
Les citoyens tirés au sort ont bénéficié d'une indemnisation, sur le modèle des jurés d'assises (86 euros par jour à quoi s'ajoutait une indemnité de perte de revenus). Les frais de transport, d'hébergement et de restauration ont été également pris en charge.
Au final, le groupe fut constitué de 51% de femmes et 49% d'hommes, répartis par tranches d'âge, dont notamment 3% de 16/17 ans et 11% de 18/24 ans. Les jeunes étant particulièrement actifs dans les mobilisations sur le climat, "il apparaissait assez compliqué de ne leur donner aucune place", souligne Thierry Pech, coprésident du "Comité de gouvernance" de la Convention.
Une attention particulière a été portée aux populations peu qualifiées, souvent sous-représentées dans les échantillons, avec notamment 26% de personnes sans diplôme ou niveau Brevet des collèges. Les personnes en difficulté sociale n'ont pas été oubliées, avec deux personnes encore SDF il y a peu. Treize pour cent vivent dans un quartier prioritaire.
Le panel était en majorité urbain, avec 62% des membres de la Convention vivent dans des communes "appartenant à un grand pôle", 23% dans les "couronnes d'un grand pôle" et la répartition géographique reflète les grands bassins de population, à l'image des 20% résidant en Ile-de-France. Les catégories socio-professionnelles ont également été prises en compte, avec par exemple 1% d'agriculteurs ou 27% de retraités.
Sessions de travail
Sept sessions de cette assemblée citoyenne ont eu lieu : six week-ends de trois jours de travail programmés, et une journée bilan, fin janvier 2020.
Travaillant fréquemment en sous-groupes, le panel de citoyens s'est informé, a auditionné des experts et a débattu au sujet de thématiques variées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique : économies d’énergie, rénovation thermique des logements, agriculture, etc.
Les travaux de ce panel ont été répartis en 5 groupes de travail : se loger, se déplacer, consommer, produire et travailler, se nourrir.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été en charge de l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat, avec un budget dédié de près de 4 millions d’euros(3). Un comité de gouvernance, coprésidé par Laurence Tubiana (présidente de la Fondation européenne pour le climat) et Thierry Pech (directeur général de Terra Nova), a accompagné les différentes étapes de ce dispositif(4).
Précisons que les sessions plénières et auditions réalisées au sein de la Convention citoyenne pour le climat sont toujours disponibles sur internet, des comptes rendus étant également mis en ligne (pour y accéder, cliquez ici).
Les propositions faites
Se loger…
En France, le secteur résidentiel et tertiaire compte pour 46% de la consommation d’énergie finale(5) et pour 16% des émissions nationales de gaz à effet de serre selon la Convention citoyenne pour le climat (qui envisage de diviser ces émissions par 2 d’ici à 2040).
Le panel propose entre autres de rendre obligatoire la rénovation énergétique « globale » (toit, isolation, fenêtre, chauffage et ventilation mécanique contrôlée) de bâtiments énergivores(6) : d’ici 2030 pour les copropriétés et maisons individuelles de classes énergétiques F et G (« passoires énergétiques ») et d’ici 2040 pour les logements de classes D et E. L'obligation pourrait intervenir à partir de 2024 pour les logements faisant l'objet de « transmissions »(6). Dans les bâtiments neufs et rénovés, la Convention citoyenne pour le climat prévoit de rendre obligatoire le changement des chaudières au fioul et au charbon d’ici à 2030.
La Convention citoyenne appelle également à « limiter de manière significative la consommation d’énergie dans les lieux publics, privés et les industries », en interdisant notamment l’éclairage des enseignes, vitrines de magasins et bureaux la nuit (dès la fermeture des magasins) ainsi que le chauffage des espaces publics extérieurs (terrasses, sols chauffants).
L'assemblée souhaite par ailleurs inciter à limiter le recours au chauffage (température maximale de 19°C) et à la climatisation (en-deçà de 25°C) dans l’ensemble des logements, espaces publics et bâtiments du tertiaire (ces recommandations ne concernant pas le milieu hospitalier et les structures d’accueil de la petite enfance pour qui ce sujet est laissé « à la convenance et au besoin des occupants »).
Se déplacer…
Les transports comptent pour 32% de la consommation d’énergie finale en France et pour 31% des émissions nationales de gaz à effet de serre(8). Pour accélérer la transition vers un parc automobile de véhicules « propres », la Convention citoyenne entend renforcer très fortement le système de bonus-malus et interdire la commercialisation de véhicules neufs émettant plus de 110 g de CO2/km en 2025 et plus de 90 g de CO2/km en 2030 (« les véhicules anciens pouvant continuer de circuler »).
La voiture individuelle est particulièrement ciblée afin qu'elle « ne soit plus le mode de transport privilégié pour les trajets domicile-travail » d’ici 2030. Pour favoriser le recours à des moyens de transport « doux ou partagés », la Convention citoyenne recommande notamment de généraliser et de renforcer la prime de mobilité durable(9) (en augmentant cette prime de 400 € par an à l’heure actuelle, jusqu’à 1 800 € par an dans certaines conditions à l'avenir(10)). La Convention citoyenne recommande dans le même temps de réformer le système d’indemnité kilométrique de l’impôt sur le revenu (qui assure actuellement « une aide plus importante aux véhicules puissants, plus émetteurs »).
Une autre mesure, largement relayée dans les médias, consiste à réduire la vitesse sur autoroute de 130 km/h à 110 km/h (afin de réduire de 20% les émissions moyennes de gaz à effet de serre associées). La Convention citoyenne se dit consciente du besoin de pédagogie sur cette mesure mais rappelle que la vitesse maximale autorisée est déjà de 113 km/h en Grande-Bretagne, 110 km/h en Suède et aux Pays-Bas (en journée pour ce pays). Des options intermédiaires sont citées comme des tarifs différenciées aux péages selon les émissions des véhicules.
Pour renforcer l’attractivité du train, la Convention citoyenne propose de réduire la TVA sur les billets de 10% à 5,5% et de « généraliser les mesures tarifaires attractives déjà pratiquées par certaines régions au niveau des TER pour rendre l’usage du train financièrement intéressant en comparaison de la voiture ». Dans le transport aérien, la Convention citoyenne recommande de très fortement augmenter l’écocontribution(11), en la portant par exemple à 60 € par billet pour des vols de plus de 2 000 km en classe éco (et 400 € en classe affaire). Elle recommande par ailleurs d’organiser progressivement la fin des vols intérieurs d’ici 2025 « sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4 h) ».
Précisons que des questions sensibles comme la relance de la « taxe carbone » en France ou le futur du parc nucléaire ne font pas l'objet de recommandations de la Convention citoyenne du climat(12). Le Président de la République doit apporter une « première réponse » au rapport final des 150 citoyens le 29 juin prochain.
Quelles mesures sont entrées dans la loi ?
L'objectif était ainsi d'élaborer les propositions transmises au gouvernement. La session finale a eu lieu du 19 au 21 juin 2020 et la Convention citoyenne pour le climat a voté à cette occasion ses propositions.
Le Président de la République s'était initialement engagé « àce que ces propositions législatives et réglementaires soient soumises sans filtre soit à référendum, soit au vote du Parlement, soit à application réglementaire directe », souligne le site de la Convention(13).
Une partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont été intégrées dans le projet de loi climat attendue fin janvier 2021.
Parmi les 149 mesures de la CCC présentées en juin, le Président Emmanuel Macron s'est engagé à en reprendre 146, sortant trois "jokers". Alors que le Gouvernement admettait que la crise du Covid allait obliger à "repousser" certaines mesures, provoquant des critiques de la part d'ONG et de certains "citoyens" accusant le gouvernement de "détricoter" les propositions. Mi-novembre, un des premiers promoteurs et "garant" de la Convention, le réalisateur Cyril Dion, a lancé une pétition en ligne pour "sauver la CCC", qui a dépassé les 415 000 signatures.
Certaines déclarations du chef de l'État n'ont pas aidé, comme la comparaison ironique avec un "retour à la lampe à huile" de la proposition de la CCC d'un moratoire sur le déploiement de la 5G. Ou quand il s'est emporté en lançant : "Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c'est la Bible ou le Coran".
Lors de sa rencontre avec l'assemblée, le Président détaillait : "Les choix pris pour l'écologie doivent être acceptables par les Français". En introduisant le débat, le chef de l'État a également insisté sur la nécessité de prendre en compte l'impact économique et social de la pandémie de Covid-19 pour mener la transition écologique. Avec cette crise, "on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé" depuis son premier débat, en janvier dernier, avec les 150 citoyens qui doivent terminer leur mission début 2021.
Les citoyens tirés au sort et qui ont travaillé d'arrache-pied pendant neuf mois, ont regretté le manque d'"ambition générale" pour le climat et de "soutien clair" de l'exécutif à leurs propositions. Le chef de l'État s'est justifié en expliquant que, pour lui, la reprise "sans filtre" ne pouvait "être une substitution" au rôle du gouvernement et du Parlement, "qui a mandat de représenter le peuple". "Ce sans filtre, c'est l'idée qu'on va au bout de chaque proposition que vous avez faite (...) dans le dialogue", a-t-il souligné. "Rien ne se fera derrière le rideau", a-t-il promis.
Selon le ministère de la Transition écologique, 40% doivent passer par voie législative en particulier dans cette loi spécifique, 20% dans le projet de budget 2021, 10% par voie réglementaire, 5% relèvent de négociations internationales et le reste d'"autres modalités".
Parmi les décisions prises, on il y a notamment :
- la fin de la location des passoires thermiques en 2028 et la "massification" de la rénovation des passoire énergétiques ;
- l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles ;
- l'interdiction des vols domestiques s'il existe une alternative en train en moins de 2h30 ;
- un délit d'écocide avec des peines pouvant aller jusqu'à 10 ans de prison et 4,5 millions d'amende.
Pas suffisant ?
Les mauvaises notes des membres de la convention
La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a sèchement noté dimanche la traduction par l'exécutif de ses propositions.
La "mise en œuvre" par le gouvernement n'a obtenu la moyenne dans aucun des votes organisés sur les six grands thèmes de mesures avancées par les 150 citoyens tirés au sort pour cet exercice de démocratie participative inédite en France.
Seulement 3,4 sur 10 pour "se loger". "Produire et travailler", "se nourrir" et "se déplacer" : 3,7 chacune. "Consommer" a eu 4 et les propositions sur la gouvernance 4,1, lors des votes (119 inscrits) de cette session finale de la CCC.
Peu de mesures ont obtenu la moyenne. La réforme de l'article 1er de la Constitution pour y introduire la lutte contre le changement climatique, sur laquelle le président de la République a proposé un référendum, a par exemple recueilli la note de 6,1. Mais la traduction d'autres objectifs emblématiques de la CCC a été durement jugée : "limiter les effets néfastes du transport aérien" a obtenu 2,8 de moyenne. L'introduction dans le droit d'un délit "d'écocide", amoindri par rapport à la proposition de la Convention, n'a reçu que 2,7.
Mais malgré leurs déceptions, les membres de la Convention se félicitaient plutôt de l'expérience qu'ils ont vécue. "Ces conventions citoyennes sont importantes, ça permet aux citoyens de s'exprimer et la possibilité de s'investir dans la vie démocratique", estimait ainsi Nadine. Et pour Adeline, "ça montre que si on donne du temps et des infos aux citoyens, on est tous capable de prendre de bonnes décisions, cohérentes, solides, ambitieuses".
Pas assez ambitieux ?
L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre devrait être atteint à hauteur de 12%, et non au-delà de 50% : le député écologiste ex-LREM Matthieu Orphelin a revu et corrigé jeudi l'impact du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat.
Selon l'étude fournie par le gouvernement et accompagnant ce texte, celui-ci doit contribuer à "sécuriser l'atteinte d'entre la moitié et les deux tiers du chemin à parcourir entre les émissions en 2019 et la cible en 2030". Mais M. Orphelin considère que "cette formule est au mieux trompeuse, au pire un mensonge [...] La somme des impacts (...) peine à atteindre une réduction des émissions de 13 millions de tonnes CO2/an en 2030 ! 13 MtCO2, au lieu des 56 à 75 annoncés et des 112 qu'il faudrait atteindre, soit 12% de l'objectif !", s'exclame cet ingénieur de formation qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).