Aquind : quelles perspectives pour le projet d'interconnexion entre France et Angleterre ?

Poste de conversion projet Aquind

Visuel 3D du poste de conversion du projet d'interconnexion électrique Aquind. (©Aquind)

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) et son homologue britannique (Ofgem) ont publié ce 20 février une déclaration conjointe sur « l'opportunité de développer de nouvelles capacités d'interconnexion électrique entre la France et le Royaume-Uni »(1). Parmi les projets actuels entre France et Angleterre figure la liaison Aquind.

État des interconnexions électriques actuelles entre France et Angleterre

À l'heure actuelle, la France et l'Angleterre disposent d'ores et déjà de 3 interconnexions électriques : 

  • « IFA 1 » (anciennement dite « IFA 2000 »),  la « toute première interconnexion électrique entre deux pays en Europe », rappelle RTE, qui a été mise en service en 1986 (2 000 MW de capacité de transport) avec 70 km - dont 45 km sous la mer - de câbles d'interconnexion entre Sangatte côté français et Fokelstone côté britannique(2) ;
  • « IFA 2 » (1 000 MW) mise en service début 2021(3) ;
  • « ElecLink » (1 000 MW), développée dans le tunnel sous la Manche par une filiale d'Eurotunnel (Getlink) et mise en service en mai 2022(4)

Ces liaisons sont principalement exportatrices vers l'Angleterre : en 2024, année record d'exportations pour la France, 20,9 TWh d'électricité ont ainsi été exportés de l'hexagone vers l'Angleterre et 0,8 TWh ont été importés (le graphique de RTE ci-dessous représente l'évolution des échanges d'électricité entre ces deux pays).

Solde de échanges entre France et Royaume-Uni

Précisons que la France est actuellement interconnectée avec 6 pays (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suisse), en attendant la mise en service de Celtic Interconnector qui reliera également le pays à l'Irlande.

Carte des interconnexions électriques de la France

Carte des interconnexions électriques de la France (©RTE)

Aquind : 2 000 MW de capacités supplémentaires en projet

Le projet d'interconnexion électrique d'Aquind est une ligne de 242 km de long - dont 187 km sous-marins - qui rajouterait 2 000 MW de capacités de transport d'électricité supplémentaires entre la Normandie à la côte sud de l'Angleterre. Elle prendrait concrètement la forme de « 4 câbles du diamètre d'un CD-ROM enfouis à un mètre de profondeur » dans le fond marin, indique Martin Dubourg, directeur infrastructure France d'Aquind.

Ce projet, d'un coût avoisinant 1,5 milliard d'euros, s'appuie sur « une technologie complètement mature et éprouvée », comparable à l'interconnexion « IFA 2 », précise Martin Dubourg.

L'interconnexion vise à transporter jusqu'à 17 TWh d'électricité par an, soit approximativement l'équivalent de 5% de la consommation annuelle de la Grande-Bretagne et 3% de celle de la France, selon les porteurs du projet. Elle pourrait permettre d'éviter l'émission de 500 000 tonnes de CO2 par an (en réduisant le besoin de mettre en route des centrales thermiques à combustible fossile) et réduire l'écrêtement de la production renouvelable intermittente (en offrant un nouveau débouché à cette production), typiquement de l'éolien en mer du Nord, « de l'ordre de 5 000 GWh par an, soit environ 3 fois la production annuelle d'un parc comme Saint-Nazaire ou Fécamp », indique Martin Dubourg.

Le projet se trouve actuellement en France au stade de l'enquête publique (du 28 janvier au 4 mars 2025) dans le cadre de la demande d'autorisation environnementale(5).

Des obstacles et un « énorme frein » : le Brexit

Le parcours d'Aquind a toutefois été émaillé d'obstacles depuis sa demande de licence d'exploitation au Royaume-Uni mi-2016. Le Brexit a en particulier « généré de l'inquiétude », le projet ayant été pénalisé par les incertitudes et quelques « psychodrames » comme la menace française de couper l'électricité aux îles anglo-normandes lors d'un conflit sur la pêche en 2021

Malgré cet « énorme frein politique », le projet est aujourd'hui relancé : « toutes les études techniques et environnementales sont désormais achevées, plaçant Aquind dans une position forte pour entamer la phase de construction, dès que l’autorisation finale des pouvoirs publics sera accordée », indiquent les porteurs du projet. Et Aquind attend du sommet franco-britannique prévu au début de l'été prochain une réaffirmation des besoins d'interconnexions électriques.

Le contenu de la déclaration commune de la CRE et de l'Ofgem du 20 février n'est toutefois  a priori pas encourageant pour Aquind. Il y est rappelé, côté britannique, que l’Ofgem a rejeté en 2024 « la demande d’Aquind à bénéficier du régime de cap and floor »(7). Côté français, la CRE rappelle avoir conclu, dans une précédente étude sur la valeur de nouvelles capacités d’interconnexion entre la France et le Royaume-Uni « que, sous certaines conditions, une capacité additionnelle d’interconnexion d’environ 1 GW pourrait présenter des bénéfices pour la France »(8). Autrement dit davantage que la capacité du projet Aquind. 

Toutefois, Aquind « se félicite que les régulateurs de l’énergie français et britannique se soient engagés à mener une étude conjointe à long terme couvrant le besoin de projets entre le Royaume-Uni et la France » qui apportera « une meilleure visibilité aux nombreux investissements à la frontière France - Angleterre ». Martin Dubourg précise que « l’interconnexion ne nécessite pas de financement public d'aucune sorte en Europe, et n'affecte donc pas les capacités de financement des États membres. De plus, en France, AQUIND propose un partage des revenus avec les utilisateurs du réseau de transport d’électricité, selon des modalités à définir avec le régulateur. »

D'autres projets d'interconnexions entre France et Angleterre

Au niveau européen, l'association ENTSO-E (réseau qui regroupe les différents gestionnaires européens de réseau de transport d’électricité) a pourtant souligné un « énorme besoin de capacités à l'horizon 2030 »(9), en particulier entre la France et l'Angleterre « de l'ordre de 10 GW », souligne Aquind. Pour rappel, l'UE a fixé aux États membres pour objectif de disposer en 2030 d'interconnexions lui permettant d'importer l'équivalent d'au moins 15% de sa production d'électricité(10).

Martin Dubourg souligne que les interconnexions constituent « le pilier indispensable de la transition énergétique » et que le projet Aquind bénéficierait de la complémentarité des mix électriques britannique et français et le besoin d'accélérer l'électrification des usages.

D'ailleurs, quatre projets d'interconnexions entre France et Angleterre coexistent actuellement, rappelle la Commission de régulation de l'énergie (CRE)(11) : outre Aquind, les projets « FAB »(12) (1 250 MW), « GridLink » (1 250 MW) et un nouveau projet de Getlink à l'étude (1 000 MW) pourraient eux aussi renforcer le maillage du réseau électrique européen.

Aquind envisage pour sa part une mise en service de son interconnexion d'ici à 2030, avec un début de chantier courant 2027. Les porteurs du projet souligne que cette interconnexion « s'inscrira parfaitement dans la dynamique régionale portée notamment par les initiatives telles que les EPR2 de Penly, le développement de l'éolien en mer et la décarbonation des zones industrialo-portuaires du Havre et de Port-Jérôme ».

Sur le même sujet