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Depuis l'invasion de l'Ukraine, l'Espagne réclame la relance du projet de gazoduc MidCat, destiné à renforcer son interconnexion gazière avec la France et l'indépendance énergétique de l'UE à l'égard de la Russie. Un objectif ambitieux mais qui se heurte à plusieurs obstacles.
Qu'est-ce que le MidCat ?
Lancé initialement en 2003, le projet MidCat (Midi-Catalogne) visait à relier les réseaux gaziers français et espagnol via un pipeline de 190 kilomètres allant d'Hostalric, au nord de Barcelone, à Barbaira, à l'est de Carcassonne, en passant par les Pyrénées.
L'Espagne est reliée un gazoduc sous-marin de 750 kilomètres de long reliant l'Algérie aux côtes andalouses : le Medgaz, d'une capacité de dix milliards de mètres cubes par an.
Un deuxième pipeline d'une capacité équivalente relie l'Espagne à l'Algérie via le Maroc : le GME (Gaz Maghreb Europe). Son fonctionnement a été suspendu début novembre par Alger sur fond de crise diplomatique avec Rabat mais il n'a pas pour autant été démonté.
Le pays est aussi doté de 6 terminaux méthaniers, permettant de regazéifier et de stocker le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie maritime depuis des pays comme les Etats-Unis ou le Qatar.
Ce réseau est le plus important d'Europe, avec notamment 30% de la capacité de regazéification de l'UE. La péninsule dispose donc de l'infrastructure pour devenir un "hub" en matière de distribution de gaz vers le reste de Europe.
Le but de MidCat était de faire remonter le gaz vers le reste de l'Europe et de mettre fin à l'isolement énergétique de la péninsule ibérique, que seuls deux gazoducs de faible capacité relient à la France et donc au reste de l'UE.
Pourquoi le projet avait-il été abandonné ?
Après plusieurs années de travaux, le projet, rebaptisé STEP (South Transit East Pyrenees), a finalement été abandonné début 2019 après l'avis défavorable des régulateurs français et espagnol. En cause : son impact environnemental, dénoncé par les écologistes, et son manque d'intérêt économique. Une étude commandée par la Commission européenne avait en effet conclu en 2018 qu'il ne pourrait pas être rentable ni nécessaire, l'Europe disposant déjà de plusieurs terminaux de regazéification peu utilisés.
La mise en œuvre du MidCat se heurte toutefois à plusieurs obstacles, à commencer par son coût - évalué en 2018 à 440 millions d'euros. À ce problème s'ajoute le manque de connexions entre la France et l'Allemagne, principal pays intéressé par le gaz pouvant venir d'Espagne : sans travaux additionnels, il pourrait y avoir un goulot d'étranglement..
Une analyse partagée par Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris, qui juge "plus simple d'amener le gaz directement par bateau en Allemagne" que de "construire un tuyau entre l'Espagne et la France". "Cela implique bien sûr de construire des terminaux gaziers en Allemagne", mais leur coût ne serait "pas plus élevé" que celui du Midcat, assure-t-il à l'AFP.
Allemands, Espagnols et Portugais poussent pour le relancer
Le MidCat bénéficie d'importants soutiens en Espagne, où les autorités régionales catalanes comme le gouvernement central poussent pour que Bruxelles déclare le projet "d'intérêt communautaire".
Depuis la guerre en Ukraine, l'UE s'est engagée à mettre fin à sa dépendance au gaz russe, qui représente près de 40% de sa consommation, ce qui a relancé l'intérêt stratégique d'une interconnexion entre l'Espagne et la France.
Le MidCat revêt une importance "cruciale" pour "réduire notre dépendance aux énergies fossiles russes" et "mettre fin au chantage du Kremlin", a ainsi insisté vendredi à Barcelone la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Dans le cadre du plan Repower UE, Ursula von der Leyen déclarait "nous privilégierons les projets transfrontaliers, comme par exemple la liaison cruciale entre le Portugal, l'Espagne et la France", a souligné la présidente de la Commission, en insistant sur "l'importance géopolitique" de cette interconnexion.
"Nous devons travailler sur les interconnexions. C'est l'une de nos priorités", a appuyé Mme von der Leyen. Un message également relayé par le ministre portugais des Affaires étrangères, Augusto Santos Silva, favorable à la création d'un gazoduc supplémentaire entre l'Espagne et la France.
"Je me suis beaucoup intéressé à un pipeline qui nous manque hélas aujourd'hui dramatiquement, à savoir le pipeline qu'on aurait dû construire entre le Portugal, l'Espagne via la France jusqu'à l'Europe centrale", déclarait le chef de l'exécutif allemand en août 2022.
Le gouvernement espagnol souhaite utiliser ses atouts au profit de l'UE. "Cela aurait du sens" que cette capacité "puisse bénéficier à nos voisins", afin de "sécuriser leur approvisionnement", a souligné mardi la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera. Selon Gonzalo Escribano, chercheur à l'institut Elcano de Madrid, l'Espagne et le Portugal, réunis au sein du "marché ibérique du gaz", ont une capacité d'importation mensuelle de 40 térawattheures (TWh). Or, ces deux pays consomment en général moins de 30 TWh. "Cela veut dire que nous pourrions exporter au moins 10 TWh par mois, sans compter les capacités supplémentaires liées au GME. Ce n'est pas négligeable", explique ce spécialiste du marché énergétique, pour qui l'Espagne peut être "une partie de la solution" au problème de dépendance de l'UE vis-à-vis du gaz russe.
Reste que les infrastructures permettant d'exporter de telles quantités de gaz n'existent pas, l'Espagne ne possédant actuellement que deux connexions avec les gazoducs français, à Irún (Pays Basque) et Larrau (Navarre). Or, ces pipelines n'ont qu'une faible capacité de livraison.
"Ces capacités, dans la crise que l'on a aujourd'hui, on ne peut pas se permettre de se dire qu'on va passer dessus et qu'on ne regarde pas", estimait le PDG du gestionnaire du réseau français Teréga Dominique Mockly.
Soucieux de défendre sa viabilité, Madrid a plaidé ces dernières semaines pour un gazoduc compatible avec le transport d'hydrogène vert. Une réorientation de nature à convaincre Bruxelles, qui souhaite financer prioritairement les énergies renouvelables. Le pays prétend devenir une référence mondiale de l'hydrogène grâce à ses énergies renouvelables. "Le projet du Midcat est un projet à long terme", déclarait la semaine dernière le ministre de la Présidence et bras droit de Pedro Sánchez, Félix Bolaños. "L'idée est qu'à moyen et long terme, il puisse transporter de l'hydrogène vert et même de l'hydrogène bleu", produit à partir du méthane contenu dans le gaz naturel.
Le problème pour Madrid est que le manque d'intérêt de Paris est toujours là. Face à cette situation, M. Sánchez s'est dit prêt à remplacer la France par l'Italie via un gazoduc sous-marin.
Quels arguments contre malgré la crise de l'énergie ?
"Un projet comme cela, c'est au moins quatre ou cinq ans de travaux, ce n'est pas une solution de court terme", abonde Thierry Bros, sceptique sur l'utilité d'une telle infrastructure, d'autant que "la capacité de l'Algérie à suppléer l'offre russe est limitée". "On ne réécrit pas l'histoire", insiste le chercheur, qui juge nécessaire de trouver des solutions "plus adaptées" à la situation. "Le pays qui le plus de besoins en gaz, c'est l'Allemagne : il serait donc plus utile d'avoir des terminaux gaziers là-bas qu'un tuyau entre la France et l'Espagne".
L’Allemagne, en persistant dans sa sortie du nucléaire et en misant sur des énergies renouvelables intermittentes, dépend de manière croissante du gaz naturel pour stabiliser son réseau. La France, dont le parc nucléaire est stable et dont la consommation de gaz diminue fortement, ne partage pas ce besoin, soulevant la question de la pertinence d'une participation au financement de ces infrastructures gazières.
Le projet pourrait aussi achopper sur son financement. Pour Madrid, le coût doit reposer sur Bruxelles et non sur les contribuables espagnols, car ce projet bénéficierait à l'ensemble de l'UE. Si elle le juge "crucial", la Commission ne s'est pas encore engagée à le financer.
Le projet est toujours au point mort aujourd'hui, la France n'en voulant pas. Il pourrait être remplacé par le projet H2Med.
En attendant, l'Espagne augmente d'un cinquième sa capacité de livraison de gaz vers la France
Le gouvernement espagnol a annoncé en septembre 2022 avoir augmenté d'environ un cinquième la capacité de livraison de gaz de l'Espagne vers la France, grâce à des travaux réalisés au Pays basque sur l'un des deux pipelines reliant les deux pays.
L'Espagne possède actuellement deux connexions avec les gazoducs français, à Irun (Pays Basque) et à Larrau (Navarre). La capacité totale de livraison de ces deux pipelines était jusqu'à présent de 7 000 millions de mètres cubes par an, soit l'équivalent de 7 navires de gaz naturel liquéfié (GNL) par mois.
Pour accroître cette capacité, Madrid avait annoncé cet été l'installation d'un "compresseur additionnel" sur le gazoduc du Pays Basque, reliant Irun à Hendaye (sud-ouest de la France). Ces travaux, réalisés par le gestionnaire du réseau gazier espagnol Enagas, vont permettre la livraison de 1 500 millions de mètres cubes supplémentaires par an, soit une hausse de plus de 21% de la capacité actuelle.
Avec ces travaux, "nous pourrons fournir à notre voisin" français "l'équivalent de 6% de sa consommation annuelle en gaz", a souligné Mme Ribera, mettant également en avant un élément de "sécurité" énergétique.