Production d'énergie et élevage, une « complémentarité » contestée

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En pleine campagne bretonne, le tracteur de Nicolas et Florent Morel roule grâce au gaz produit par leur méthaniseur. Mais la production d'énergie comme complément de revenus pour les éleveurs ne fait pas l'unanimité dans la profession.

Outre le tracteur, les huit véhicules à moteur de leurs deux exploitations, situées à La-Selle-en-Luitré (Ille-et-Vilaine), l'une porcine, l'autre laitière, sont alimentés de la même façon, au GNV (Gaz naturel véhicule), un gaz renouvelable obtenu par le processus de méthanisation. Cela donne "exactement la même puissance qu'avec du pétrole", précise Florent Morel, 35 ans. "Une partie de la production [de gaz] alimente aussi 1 600 foyers à Fougères", une ville de 20 000 habitants, située à quelques kilomètres, indique Nicolas Morel, 40 ans. "Ça remplace du gaz fossile importé", souligne-t-il.

Le méthaniseur est "alimenté aux deux tiers par les effluents d'élevage", les déjections des animaux, complétés par des couverts végétaux, utilisés pour limiter le lessivage des sols hors période de culture. S'y ajoutent des apports extérieurs d'autres exploitations voisines, ainsi qu'"un peu de maïs", mais moins que le pourcentage maximum imposé par la réglementation, rappellent les deux frères. Le "digestat", c'est-à-dire le résidu après méthanisation, est ensuite épandu sur les champs, en remplacement d'engrais chimiques.

Quand on replace cette production domestique, à laquelle s'ajoute du solaire fournissant de l'électricité, dans le contexte de la crise actuelle de l'énergie, "c'est un bilan largement intéressant", assure Nicolas Morel. D'autant que les prix de rachat sont garantis sur 15 ans, "contrairement au lait et au porc", soumis à des cours fluctuants, un élément de stabilité dans les comptes d'une exploitation, souligne-t-il.

"C'est l'illustration de ce que peut être l'agriculture de demain. Énergie et élevage sont deux productions complémentaires pour une même exploitation", analyse Marcel Denieul, président du Space, le salon de l'élevage organisé cette semaine à Rennes.

« Vivre de notre travail »

Entre le méthaniseur et les "trackers" solaires, les investissements s'élèvent à 4,5 millions d'euros, pour partie allégés par des subventions. À titre d'exemple, la méthanisation a bénéficié de 480 000 euros d'aides publiques sur un coût de 2,5 millions d'euros. "Il faut compter une dizaine d'années pour rentabiliser un site méthanier", considère Nicolas Morel.

"Notre cœur de métier reste l'élevage", affirme Florent Morel, mais il y a "une synergie entre les deux [élevage et énergie], une complémentarité, et non une concurrence". "Ça donne du sens à tout ce qu'on fait, ça conforte nos élevages et ça nous donne une sécurité sur le long terme". "Si on développe le GNV partout en France, on obtient un carburant renouvelable, produit localement, et on peut viser l'autonomie du pays en carburant", assure-t-il. Seul regret : "qu'il n'y ait pas davantage de constructeurs à se lancer dans la fabrication de véhicules roulant au GNV". Pour le moment, un unique type de tracteur est disponible sur le marché, par exemple.

Cependant, parmi les agriculteurs, tous ne partagent pas cette vision: "on nous propose [de produire de] l'énergie, c'est un aveu d'échec (...) Nous, éleveurs, éleveuses, on veut vivre du fruit de notre travail (...) Nous voulons des prix garantis pour nos produits", fait valoir Laurence Marandola, porte-parole nationale de la Confédération Paysanne rencontrée au Space. Le syndicat demande d'ailleurs un moratoire sur les méthaniseurs. "C'est un abandon des éleveurs de dire qu'on ne va pas se battre sur les prix" de leur lait ou de leurs porcs, regrette-t-elle.

Pour Soazig Le Bot, porte-parole de la Confédération en Ille-et-Vilaine, "la fonction première de l'agriculture, c'est bien la production alimentaire" et non la production d'énergie.

Commentaires

Rochain Serge

La fonction premiere de l'agriculteur c'est d'arriver à vivre le mieux possible de son activité d'agriculteur.
Si la patate paie mieux que le Maïs on fait de la patate plutôt que du maïs et si la patate et le maïs peuvent en plus se conjuguer avec du biométhane et de l'électricité alors le biométhane et l'électricité assurent un revenu supplémentaire à l'agriculteur. Et moi je n'ai pas la prétention de dire à un agriculteur comme Monsieur Morel ce qu'il doit faire pour assurer ses revenus. Si d'autres ne pensent pas comme lui, ils ont aussi le droit de faire autrement,, chacun est maitre chez lui !
Mais je sais aussi que le role d'un agriculteur n'est pas de militer contre ce que fait son voisin sous prétexte que cela fait de l'ombre au nucléaire, sauf bien sûr, si étant payer pour calomnier ce que fait son voisin, cela lui permet aussi d'améliorer ses revenus.

Guydegif(91)

Bonjour,
Très bel exemple de Synergies et Complémentarités !
Fini les approches mono-track ! Complémentarités, Synergies et Solidarités sont les nouveaux paradigmes à faire valoir ! Ouvrir les yeux et prôner, encourager les synergies et convergences de ressources pour arriver à bon port !
Ouvrir aussi à la Methanisation aux BioDechets ménagers à prendre en compte et à valoriser dès le 1/01/24 ! Methaniser plutôt que composter,, pour limiter le CO2 libéré, hormis le compostage individuel des foyers en fond de jardin !
Élargir le PV sur toit ou trackers à l’Agri-pV pour protéger selon les cas, cultures et animaux .
Ouverture d’esprit s’impose !
Slts
Guy

Jean

Agriculture et électricité : Synergies et complémentarités ?
Ni l'un ni l'autre : EIFFAGE a pris 80 % de SUN'R le leader de l'agri-voltaïque (panneaux photovoltaïques sur terres agricoles) et co-président de France Agrivoltaïsme qui prévoit 150.000 ha de ces panneaux sur les terres agricoles et cultivables.
La multinationale EIFFAGE, leader européen du BTP et chiffre d'affaires 20 milliards d'€ en 2022 voudrait donc aider les agriculteurs ?
Ceux qui ne voient que ça et croient à ces récits édifiants sur agriculture et production électrique sont les Oui- Oui au pays des Bisounours.

Albatros

Je suis entièrement d'accord avec la remarque de M. Rochain. Les dogmatiques de La Conf' n'ont de cesse que d'imposer leurs points de vue étriqués et il faut saluer les efforts des agriculteurs pour réduire leur dépendance aux achats d'énergie.
Cependant, il serait utile de viser à un moment donné la fin des subventions, tant pour les productions d'énergie que pour les productions agricoles. Cela implique de briser un certain nombre d'entraves à l'entreprenariat et de tabous dans ce secteur et de donner le droit aux agriculteurs à une certaine modernité tant dans leurs structures que dans leurs technologies.
Sincères salutations.

boomerang

"Essayons d'être aussi intelligent que la nature"... superbe livre de Gunter Pauli, dont je vous conseille la lecture, car comment passer d'un modèle d'agriculture à un autre est bien la question, et la réponse est effectivement de tout intégrer dans le modèle économique et écologique. Pour rappel: certains modèles agricoles ( celui du thé par exemple) ne valorisent que 1% de la production, et ont recours à bcp d’intrants...alors oui allons vers des modèles intégrés, et utilisons tout. C'est le modèle systémique de la nature!

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