Site de forage d'hydrogène naturel dans le Kansas par Natural Hydrogen Energy (Photo courtesy of Viacheslav Zgonnik)
L'hydrogène naturel, également qualifié d'hydrogène « blanc » ou « natif », désigne le dihydrogène présent dans le sous-sol terrestre ou marin.
Une fois extrait, il peut éventuellement être stocké sous forme comprimée ou liquide dans des réservoirs spécialement conçus pour une utilisation ultérieure. L'hydrogène peut ensuite être transporté via des pipelines ou des camions-citernes et utilisé comme carburant dans des piles à combustible pour produire de l'électricité, ou comme matière première dans diverses industries.
D'où vient l'hydrogène naturel ?
Sur Terre, on trouve essentiellement le dihydrogène (H2) sous forme combinée - à l’oxygène dans l’eau (H2O), au carbone (CH4, C2H6, etc.) - mais aussi directement sous forme gazeuse.
Le dihydrogène (H2) est communément qualifié d'hydrogène et se trouve dans le sous-sol terrestre et marin.
L'Académie des technologies mentionne 3 principales réactions permettant la production de dihydrogène dans le sous-sol :
- la réduction de l’eau en présence de roches riches en fer (celui-ci s’oxyde) ;
- la radiolyse par la radioactivité naturelle des roches qui casse la molécule d’eau ;
- la maturation tardive de la matière organique, en particulier des charbons, libère aussi, au-dessus de 200°C, de l’hydrogène en profondeur, tout comme les processus industriels de gazéification du charbon.
Quel potentiel en France ?
« La certitude de l'existence d'hydrogène sous nos pieds n'en était pas une il y a encore dix ans », relevait Yannick Peysson, responsable de programmes sur l'hydrogène naturel à IFP Energies nouvelles, fin 2023. « Les choses s'accélèrent, c'est absolument clair », abonde le géochimiste Alain Prinzhofer, spécialiste de l'hydrogène naturel.
Une reconnaissance comme ressource
La France a reconnu début 2022 l’hydrogène naturel comme une ressource dans le code minier(1) et les premiers permis d’exploration ont été déposés. « La géologie de certaines régions de France est propice à la présence de cette ressource », souligne l'Académie des technologies (notamment dans les Pyrénées où la présence d'hydrogène a été mise en évidence).
Ont été attribués à ce jour un permis hydrogène au sud d'Orthez dans les Pyrénées-Atlantiques à TBH2 Aquitaine et deux permis hélium (ces gaz sont parfois liés dans le sous-sol, l’hélium est beaucoup plus cher que l'hydrogène mais son marché en volume est plus restreint) à 45-8 Energy dans la Nièvre et le Doubs.
Plusieurs demandes de permis et projets de recherche sont par ailleurs en cours.
« Les candidats aux permis d’exploration souhaitent un raccourcissement des délais d’obtention des permis exclusifs de recherche (PER) et une simplification des procédures actuelles qui imposent des demandes distinctes pour l’hydrogène et pour l’hélium, ces dernières étant traitées par deux guichets différents. Le délai de dix-huit mois est jugé trop long d’autant plus qu’il semble être dû à un manque de personnel. Les demandes de concession de production sont réputées encore plus lentes, pouvant aller jusqu’à trois ans. En comparaison, en Allemagne, les réponses pour l’hélium sont fournies en moins de trois mois », note entre autres l'Académie des technologies.
Une évaluation en cours
La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a formulé une première demande d’état des lieux auprès de l’IFPEN pour une durée d’un an, avec un budget de 300 000 € alloué à cette mission.
Selon l'Académie des technologies, « quelques millions suffiraient pour faire une évaluation à grande échelle des zones prospectives. Par exemple, une somme équivalente aux 500 000 € investis en Nouvelle-Aquitaine pour chaque région permettrait de compléter les cartes et d’avancer significativement dans cette exploration ».
Recherche autorisée
Le 3 décembre 2023, la France a autorisé pour la première fois des recherches de réserves d'hydrogène naturel en accordant un permis exclusif de cinq ans à la société TBH2 Aquitaine. Ce permis, nommé "Sauve Terre H2", couvre une zone de 225 km² dans les Pyrénées-Atlantiques et inclut également la recherche d'hélium et de substances connexes.
Il s'agit du premier projet approuvé parmi six demandes similaires en France, tandis que les autres sont encore en cours d'examen. Les autres dossiers à l'instruction sont situés dans le centre du pays, en Lorraine et dans le Jura, ainsi que dans les Pyrénées-Atlantiques. Une autre demande de permis a été déposée en mars 2023 par 45-8 ENERGY et Storengy pour une zone voisine de 266 km², dont 10 km jouxtent le projet "Sauve Terre H2".
On en trouve d'ailleurs aussi côté espagnol, où l'entreprise Helios Aragón veut exploiter un puits foré il y a cinquante ans. « À l'époque, ça n'intéressait personne », souligne la scientifique Isabelle Moretti. La société espagnole table sur une réserve de 1,1 million de tonnes d'hydrogène naturel, qui pourrait être produit à un prix avoisinant un euro le kilo, « soit moitié moins cher » que l'hydrogène le plus abordable actuellement - qui lui n'est pas décarboné.
La plus grande réserve au monde en Moselle ?
Une découverte inattendue pourrait révéler la plus grande réserve mondiale d'hydrogène natif, dans le sous-sol houiller de la Moselle. Des chercheurs du CNRS, engagés depuis quatre ans dans le projet Regalor, ont découvert d'importantes quantités de ce gaz naturel en sondant le sous-sol de Folschviller à plus de 1 000 mètres de profondeur, alors qu'ils recherchaient initialement du méthane. Si les concentrations d'hydrogène sont uniformes dans tout le bassin houiller lorrain, cela pourrait représenter environ 60 millions de tonnes de cette ressource, faisant de cette région la plus grande réserve mondiale potentielle. Cependant, ces premières estimations nécessitent d'être confirmées par d'autres forages, a précisé Jacques Pironon, le directeur de recherche.
Actuellement, les scientifiques ont atteint une profondeur de 1 250 mètres avec une sonde de six centimètres de diamètre, unique au monde. Selon plusieurs modélisations, la concentration en hydrogène pourrait atteindre 90 % à une profondeur de 3 000 mètres. Des discussions sont en cours avec les autorités pour réaliser des forages plus profonds, entre 3 000 et 3 500 mètres, dans la région de Saint-Avold (Moselle), afin de déterminer à quelle profondeur se forme l'hydrogène blanc.
Financements
Les sociétés demandant des permis sont actuellement « pour la plupart de petites compagnies et elles n’ont pas une force de frappe suffisante, ni en personnel ni en fonds propres, pour commencer massivement les acquisitions une fois les permis octroyés ».
Le coût des puits à forer est toutefois « relativement bas (en comparaison de puits profonds en mer). Quelques dizaines de millions d’euros suffiraient à les aider à évaluer les zones prospectives ».
L'Académie des technologies appelle les banques comme la BPI à apporter un soutien à ces sociétés. « La labélisation au niveau de la Commission européenne de l’hydrogène naturel comme hydrogène décarboné est évidemment essentielle pour accéder à des subventions potentielles et pour faciliter la commercialisation en cas de découverte ».
Pour la spécialiste Isabelle Moretti, « Beaucoup de chercheurs français travaillent sur l'hydrogène naturel, mais notre avance est en train de se réduire, car certains gouvernements mettent énormément d'argent » dans la filière naissante.
Mi-décembre 2023, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé à Toulouse le lancement de "missions d'exploration" de réservoirs d'hydrogène naturel sur tout le territoire, promettant "des financements massifs" dans le domaine.
Et ailleurs dans le monde ?
Des pays « historiquement plus à l’aise avec l’exploitation des richesses du sous-sol ont pris conscience du potentiel des ressources en hydrogène sur leur territoire et accélèrent le développement de cette nouvelle filière », en premier lieu les États-Unis et l'Australie (où deux premiers puits forés près de la ville d'Adélaïde en octobre et novembre 2023 ont en particulier permis une importante découverte d'hydrogène et d'hélium), indique l'Académie des technologies.
Mais c'est au Mali que de l'hydrogène naturel est extrait depuis près de 10 ans, dans des quantités modestes (1 400 m3 par jour) mais de façon continue. « C'est une découverte qui a changé beaucoup de choses », selon Alain Prinzhofer, qui connaît bien ce gisement situé à 100 mètres de profondeur à Bourakébougou. « On a constaté que la pression y reste constante, voire augmente », ce qui implique un renouvellement des flux « à l'échelle d'un temps humain ».
Selon lui, la bascule est faite dans la filière. Après les recherches pionnières « de petites entreprises qui acceptent le risque [...] les gros pétroliers et les grandes majors de l'énergie sont désormais en embuscade et surveillent l'évolution » du secteur.
En deux ans, nous sommes passés de questions scientifiques « d’où vient l’hydrogène dans le sous-sol ? », « l’hydrogène peut-il être une ressource ? » à « où prendre des permis d’exploration ? » et « qui sera le premier gros producteur ? ». Les choses avancent très vite… comme souvent plus vite ailleurs qu’en France, et plus vite avec des start-up dédiées que dans les grands groupes ; mais vu le nombre de puits forés en 2023, la réponse à ces questions va venir bientôt. Dr. Isabelle Moretti
Hydrogène vert, blanc, gris... différence et enjeux
Présent naturellement partout sur la planète, l'hydrogène natif dit "blanc" suscite des appétits croissants car il aurait l'avantage de ne pas émettre de CO2, un des gaz à effet de serre responsables du changement climatique, contrairement à celui produit à partir d'énergies fossiles dit hydrogène "gris". A condition que son extraction, son stockage et son transport soient moins chers que la fabrication de l'hydrogène industriel (gris ou vert).
« Par souci de clarification, il est courant d’attribuer une couleur symbolique à l’hydrogène en fonction de son mode de production », rappelle l'Académie des technologies.
On distingue ainsi traditionnellement :
- l'hydrogène « blanc » qui correspond à l'hydrogène naturel ;
- l'hydrogène « gris » produit par vapocraquage du méthane sans captage de CO2 ;
- l'hydrogène « bleu » également produit à partir de sources fossiles, mais captage et stockage des émissions de CO₂ associées ;
- l'hydrogène « vert » est produit par électrolyse de l'eau, utilisant de l'électricité issue de sources renouvelables.
Mais « ces qualifications peuvent conduire à des ambiguïtés : par exemple l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau avec les caractéristiques du mix électrique mondial actuel émet plus de CO2 que celui produit par vapocraquage », souligne l'Académie des technologies.
La note mentionne également l’Advanced Research Project Agency-Energy (ARPA-E) aux États-Unis qui a dédié un budget de 20 millions de dollars essentiellement affecté à des projets de recherche sur la génération d’hydrogène par injection d’eau dans des roches riches en fer. Cet hydrogène non naturel est dit « orange ».
On peut aussi appeler hydrogène « jaune » celui crée à partir de nucléaire.
Actuellement, plus de 95% de l’hydrogène utilisé dans le monde est produit à partir des hydrocarbures et du charbon (vaporeformage du méthane, gazéification du charbon).
L’hydrogène « bas carbone » ou « vert », généré par électrolyse de l’eau en utilisant de l'électricité provenant d’énergies renouvelables compte pour moins de 0,5% des volumes d'hydrogène consommés.
L'hydrogène est très convoité pour le potentiel de décarbonation qu'il offre aux industries et à la mobilité qui doivent progressivement se passer de charbon, de pétrole et de gaz. Dans l'industrie pétro-chimique, il est utilisé en grande quantité pour désulfurer les carburants.