À l'ombre de la centrale nucléaire de Flamanville, un « miracle économique » dans le Cotentin dopé par l'industrie

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Le Cotentin, ses plages, ses vestiges de guerre, sa filière nucléaire et ses chantiers navals : berceau du réacteur EPR de Flamanville qui doit livrer d'ici la fin de l'automne ses premiers électrons, le territoire espère enraciner un "miracle économique" dopé par l'industrie, à condition de résoudre l'équation du recrutement.

Usine Orano de La Hague

"Dans cette piscine, on a une capacité d'entreposage (de combustibles nucléaires) aux alentours de 3 600 tonnes" : Jean-Christophe Varin, directeur-adjoint de l'usine Orano de La Hague, surplombe un immense bassin d'eau bleutée dans lequel refroidissent des dizaines de "paniers" de matière radioactive destinée à être recyclée.

L'entreprise est l'un des symboles de la flambée de l'emploi industriel de la presqu'île : "aujourd'hui, Orano, spécialiste du cycle du combustible nucléaire, embauche 600 personnes en CDI/CDD par an, plus 300 alternants", souligne M. Varin. Pour l'entreprise, censée bénéficier de la relance annoncée de l'atome en France, le rythme d'embauches "ne peut qu'augmenter".

Car la cadence actuelle ne tient pas compte des nouveaux projets annoncés par l'État à la Hague, qui prévoient la construction de deux nouvelles usines dédiées à la fabrication de combustible recyclé MOX et au retraitement des déchets nucléaires.

Un « miracle économique totalement ignoré »

La dynamique du nucléaire, qui a également vu EDF accueillir 5 000 personnes pour la construction du nouvel EPR à Flamanville, a largement contribué au "miracle économique totalement ignoré" du territoire, selon l'économiste Laurent Davezies.

Entre 2016 et 2022, la communauté d'agglomération du Cotentin a connu une augmentation de 30% du nombre d'emplois créés dans l'industrie, passant de près de 10 000 à environ 13 000, selon M. Davezies.

Constat confirmé globalement par le cabinet d'analyse Trendeo, pour qui la zone d'emploi de Cherbourg-Octeville figure "parmi les plus dynamiques sur 2016-2022" : sur cette période, 61% des annonces de créations d'emplois l'ont été dans l'industrie contre 25% en moyenne en France.

Mais un écueil menace la belle mécanique normande : "Où va-t-on chercher les compétences et comment les forme-t-on ?", interroge Vincent Hurel, secrétaire général CGT de Naval Group, autre gros contributeur de l'emploi industriel de la région. Il peste contre le manque de formations et/ou de formateurs.

Éviter le « mur » du recrutement

Sur le site cherbourgeois de Naval Group travaillent 5 000 personnes. Le spécialiste de l'industrie navale de défense, qui en emploie directement 3 300, recrute en moyenne 250 salariés chaque année.

Outre l'embellie générale du marché de l'emploi, qui a accentué la concurrence entre recruteurs, il y a "un problème de démographie industrielle", relève Alexandre Saubot, président de France Industrie. Avec une "montée des départs à la retraite" liée aux "cycles d'embauche d'il y a 30 ou 40 ans", l'industrie va avoir "plus d'un million de recrutements à faire dans les dix prochaines années", selon M. Saubot.

"Si on ne fait rien, on va vers un mur. Mais on fait !", positive Serge Quaranta, PDG des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), autre fleuron de l'industrie navale.

Station polaire pour étudier les conséquences du réchauffement climatique

À l'ombre de la coque d'une corvette de 71 mètres en cours de soudage, il montre fièrement la dernière construction maison, à l'allure de soucoupe volante : la prochaine station polaire Tara. Elle embarquera des scientifiques au Pôle Nord pour étudier les conséquences du réchauffement climatique.

CMN a vu grimper ses effectifs de 60% depuis 2019, conséquence d'un carnet de commandes opulent, mais aussi d'une accélération des départs en retraite liée à l'amiante.

À l'unisson des industriels régionaux, M. Quaranta assure que la concurrence à cédé la place à la collaboration, notamment s'agissant d'une compétence extrêmement recherchée, tant dans l'atome que dans le naval: la soudure. "Tout le monde se disputait les soudeurs, on a réussi ces dernières années à discuter entre nous", assure M. Quaranta, qui vante l'alliance pour créer il y a deux ans "Hefaïs", une école qui forme 200 soudeurs chaque année.

Une deuxième école d'ingénieurs devrait ouvrir prochainement à Cherbourg.

Mais s'ils souhaitent privilégier l'emploi local, les industriels de la région savent que cela ne suffira pas et recrutent partout en France et même à l'étranger. "On a conscience de nos difficultés de recrutement, de la difficulté de convaincre parfois de venir sur le territoire", assure David Margueritte, président de l'agglomération du Cotentin (LR), qui travaille à "corriger" les carences en matière d'infrastructures de logement et de transports.

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