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L'UE a obtenu vendredi de réformer la Charte de l'énergie, un traité vieux de 30 ans accusé d'entraver ses ambitions climatiques car trop protecteur des énergies fossiles, mais le compromis est jugé insuffisant par les ONG, qui demandent aux Européens de s'en retirer.
Signé en 1994, au sortir de la Guerre froide, pour offrir des garanties aux investisseurs dans les pays d'Europe de l'Est et de l'ex-URSS, le méconnu Traité sur la Charte de l'énergie (TCE) va-t-il faire dérailler les efforts des Vingt-Sept pour réduire leurs émissions carbone ?
Réunissant l'UE et 52 pays (d'Europe, d'Asie centrale, mais aussi la Turquie ou encore l'Australie), il permet à des entreprises de réclamer, devant un tribunal d'arbitrage privé, des dédommagements à un État dont les décisions affectent la rentabilité de leurs investissements... même lorsqu'il s'agit de politiques pro-climat.
Face à la multiplication des contentieux, les Européens s'efforcent depuis 2020 de "moderniser" le texte. Après d'âpres pourparlers, ils ont obtenu vendredi à Bruxelles un "accord de principe" des pays signataires sur un compromis, qui devra être confirmé en novembre par un vote formel à l'unanimité.
Après une transition de 10 ans, il autorisera les pays, s'ils le souhaitent, à exclure du champ du traité les investissements déjà lancés dans les combustibles fossiles, explique la Commission européenne, qui a négocié au nom des Etats de l'UE. Les nouveaux investissements pourraient en être privés "dans les neuf mois".
La réforme doit permettre d'éviter "les réclamations frivoles" ou opportunistes en réservant les contentieux aux investisseurs "ayant des intérêts économiques substantiels", souligne Bruxelles.
« Temps perdu »
Les ONG environnementales, elles, accusent la Commission d'avoir sacrifié le climat pour décrocher le feu vert des signataires les plus conservateurs (pays d'Asie centrale, Japon....). "C'est incroyable : pendant encore au moins une décennie, les États continueront à dépenser l'argent public pour indemniser les entreprises d'énergies fossiles au lieu de financer les renouvelables (...) C'est du temps perdu", réagit Cornelia Maarfield, de Réseau Action Climat.
Il existe 146 litiges connus liés au TCE, pour les deux tiers intra-européens, et les compensations accordées à ce jour dépassent 42 milliards d'euros, estime Yamina Saheb, économiste contributrice du rapport du Giec (experts climat de l'ONU). Cas emblématique : après l'adoption d'une loi néerlandaise bannissant le charbon d'ici 2030, l'énergéticien allemand RWE réclame 1,4 milliard d'euros à La Haye pour compenser ses pertes sur une centrale thermique.
Le maintien de l'arbitrage "ouvrira la porte à un déluge de demandes d'indemnisations non plafonnées", notamment de fonds spéculatifs, d'autant que le TCE serait étendu à des technologies (hydrogène, biomasse, stockage carbone) à la durabilité "douteuse", avertit Amandine Van Den Berghe, juriste de ClientEarth.
Pour elle, sortir de ce traité reste la meilleure option, même si une clause prévoit qu'en cas de retrait d'un pays, les investissements énergétiques continuent d'y être protégés pendant 20 ans.
En cas de retrait collectif du TCE, les Vingt-Sept pourraient s'entendre entre eux pour interdire les contentieux entre entreprises européennes et Etats de l'UE, éliminant une bonne part de la charge financière des compensations, souligne la juriste à l'AFP. La Russie s'est retirée dès 2009, suivie de l'Italie en 2015.
« Retrait coordonné »
A contrario, le maintien dans le TCE offrirait une "assurance-vie" aux énergies fossiles jusqu'à au moins 2033, "alors que l'UE est censé les arrêter en grande partie d'ici 2030", s'indigne Yamina Saheb, qui accuse le traité d'entraver les politiques énergétiques vertes.
"Ce traité ne sert à rien, même pas pour la sécurité énergétique comme on le voit avec la crise ukrainienne, et il amène les Européens à protéger le recours aux fossiles dans d'autres pays. On marche sur la tête", fustige-t-elle.
La réforme sera examinée par les États d'ici novembre, et devra être ensuite avalisée par les Vingt-Sept et le Parlement européen.
Signe d'un débat potentiellement houleux parmi les États membres, l'Espagne a publiquement exigé de sortir du TCE, et dès fin 2020, Paris appelait à étudier "l'option d'un retrait coordonné". Le parlement néerlandais a adopté mercredi une motion pour quitter le traité, tandis que Berlin annonçait jeudi conditionner son feu vert à une compatibilité complète du texte aux objectifs climatiques européens.