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Se rendre au travail à Lagos, mégapole nigériane qui abrite plus de 20 millions d'âmes, est déjà en temps normal un véritable casse-tête. La récente explosion des prix de l'essence ne fait qu'aggraver les sort des habitants.
Les prix du carburant ont triplé dans le pays le plus peuplé d'Afrique après l'annonce lundi du nouveau président Bola Tinubu de la suppression des subventions sur le carburant.
Du sud au nord du pays le plus peuplé d'Afrique, les Nigérians font face à l'explosion des prix des transports et de l'électricité, alors que nombre d'entre eux utilient des générateurs à essence. Les répercussions se font déjà sentir sur les marchés alimentaires.
Sur Awolowo road, artère commerciale d'ordinaire bondée à Lagos (sud-ouest), un pompiste demande: "Je mets combien?"
Le chauffeur de minibus Abdullah Akinyode plonge sa main dans sa poche et tend, désespéré, ses derniers billets. "Tout, 9.000 nairas (18 euros)."
Il regarde ensuite, affligé, le compteur atteindre 18 litres. Pour le même prix, trois jours plus tôt, il pouvait obtenir 50 litres d'essence.
Depuis l'annonce du président, le litre d'essence est passé de 190 nairas (38 centimes) à 500 nairas (1 euro).
Insécurité alimentaire
Le chauffeur de 38 ans dit "se sentir coupable" mais n'a pas d'autre choix que de doubler ses prix. Il continue d'attirer une poignée de clients, bien obligés de se rendre au travail, mais cela ne lui permet plus de dégager de profits.
"C'est très difficile. Les salaires n'augmentent pas. Les gens ne sortent pas de chez eux", soupire-t-il.
Vendredi, Lagos d'ordinaire encombrée de véhicules est clairsemée, rappelant à moindre échelle l'ère Covid, lorsque ceux qui pouvaient télétravailler restaient chez eux.
La suppression des subventions, préconisée par les experts pour favoriser le développement du Nigeria, n'a pas été accompagnée de mesures visant à atténuer l'inflation subie par les ménages.
Pourtant, sur le marché animé d'Utako, dans la capitale Abuja (centre), les commerçants ont déjà augmenté les prix de presque toutes leurs marchandises.
Parmi eux, Bo Eze, assis sur de gros sacs de garri (aliment de base du Nigeria à base de manioc), explique que le coût d'un sac de 50kg est passé de 35.000 nairas (70 euros) à 45.500 nairas (91 euros).
"Les gens se plaignent. Avant, ils achetaient deux sacs, mais maintenant ils n'en obtiennent que la moitié ou demandent un crédit", explique cet homme de 45 ans. Les Nigérians, déjà confrontés à une inflation dépassant les 20%, "n'en peuvent plus!", lâche-t-il.
Son ami Augustin Ede, vendeur de viande de chèvre, pointe du doigt, l'air irrité, les carcasses alignées sur une table en bois.
"J'avais l'habitude d'acheter 15 chèvres pour les vendre, mais maintenant je n'en achète que sept", déplore le sexagénaire.
Certains commerçants vendent même à perte, craignant qu'une trop forte hausse soit dissuasive pour les clients arrivant au compte-goutte.
Quelques-uns achètent massivement, anticipant une hausse future des prix.
Amnesty International Nigeria a prévenu que si "les pays sont tenus de supprimer à terme toutes les subventions aux combustibles fossiles", il est essentiel que cette mesure soit "accompagnée de mesures d'atténuation et de protection sociales".
Avant la suppression des subventions, quatre Nigérians sur dix vivaient en dessous du seuil de pauvreté selon les Nations unies, qui ont prévenu que plus d'un quart d'entre eux seront confrontés à un risque d'insécurité alimentaire élevée cette année.
Luxe de l'électricité
A Kano, plus grande ville du nord, où les températures sont très élevées à cette époque de l'année (environ 40°C), Shehu Ahmad passe depuis mercredi ses soirées dans l'obscurité, ventilateurs éteints.
L'approvisionnement en électricité est souvent irrégulier au Nigeria et, comme beaucoup de ses concitoyens, ce comptable de 48 ans n'a plus les moyens d'utiliser son générateur à essence en cas de coupure.
"Alimenter un générateur pour éclairer nos maisons et faire fonctionner nos ventilateurs la nuit est soudain devenu un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre", souffle-t-il.
Les entreprises et leurs employés sont aussi acceptés.
"Je suis allé travailler ce matin, mais mon patron m'a demandé de rentrer chez moi à cause du manque d'électricité", raconte Mustapha Abubakar, un stagiaire en informatique.
"Je n'ai aucune idée des mesures qu'ils vont prendre", ajoute le jeune homme de 21 ans, inquiet alors que le taux de chômage atteint les 42,5 %.