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Investissements "considérables", changements des modes de consommation, technologies à élaborer: après la pandémie, le monde économique doit "changer de système" pour répondre à l'urgence climatique, détaillent des experts du climat et de l'économie réunis en Aix-en-Provence.
Une urgence en chasse une autre : pour l'économiste et directrice générale adjointe d'Engie Claire Waysand, le réchauffement climatique ne se traite pas par "un réglage macroéconomique" à l'image des plans de "relance de l'activité" mis en place pour l'après pandémie, mais par une refonte "structurelle", qui nécessite de "réorienter" sur le long terme des investissements "absolument considérables".
Selon Michel Frédeau, expert sur le climat pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG), qui conseille des multinationales et la prochaine conférence mondiale sur le climat (COP 26), assurer la "transition des systèmes électriques et énergétiques" à l'échelle globale nécessiterait d'investir jusqu'à "4 000 milliards de dollars par an jusqu'en 2050".
Selon lui, "avec les technologies existantes, on pourrait réduire 70 à 80% des émissions actuelles", mais la moitié de ces technologies restent aujourd'hui trop onéreuses, comme "le stockage des énergies renouvelables". Ces financements massifs permettraient de les rendre rapidement plus compétitives, explique-t-il à l'AFP à l'occasion des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence.
Prix carbone
Mais la solution technologique seule ne suffira pas, pour décarboner, "c'est tout le système qu'il faut changer", de "l'ensemble des chaînes de valeur" à la demande des consommateurs, alerte-t-il.
La transition passe par "une transformation profonde de nos économies" note également Laurence Boone, la cheffe économiste de l'OCDE, qui propose de fixer "un prix sur le carbone" pour donner de "la visibilité" aux entreprises pour encourager leurs investissements de long terme vers l'innovation.
Une mise en place de règles par la puissance publique doit aussi permettre d'interdire les modes de consommation les plus émetteurs, en "nous poussant à changer de voiture par exemple" pointe Mme Waysand. Du côté de l'offre, de nouvelles réglementations ciblées feraient prendre en compte des coûts jusqu'ici ignorés, en obligeant les entreprises à intégrer "un comptabilité carbone" dans leur bilan, comme elle le font aujourd'hui avec "des normes comptables standardisées", imagine M.Frédeau.
Relance
Quant aux plans de relance actuels, leur déploiement doit mettre l'accent sur les "infrastructures" et "les secteurs bas carbone", plaide la membre du Haut Conseil pour le climat, Valérie Masson-Delmotte.
Dans les pays de l'OCDE, les investissements ne sont pourtant "pas à la hauteur des enjeux", puisque la part de financement "favorable au climat" est aussi élevée que celle soutenant le recours aux énergies fossiles, très émettrices de gaz à effet de serre, estime-t-elle sur la base d'un rapport du Haut Conseil pour le climat.
Sans baisse rapide des émissions de gaz à effet de serre, la trajectoire actuelle conduirait à un réchauffement de 2°C en 2050 et "autour de 3°C" en 2100, indique cette paléoclimatologue.
Selon les chiffres du Global carbon project (GCP), les dernières baisses significatives des émissions mondiales sont survenues temporairement lors de périodes de crise : en 1945 - fin de la Seconde guerre mondiale et effondrement industriel des pays vaincus, en 2009 - récession liée à la crise financière - et en 2020 - crise économique provoquée par la pandémie.
Pour Laurence Boone, la "décroissance" de l'économie ne peut pourtant pas être la solution à l'urgence climatique, car "si on décroit on va faire aussi décroitre le nombre d'emploi", déclare-t-elle à l'AFP.
Mais si cette décarbonation de l'économie n'accélère pas, le "déclin irréversible" de la production de pétrole qui pourrait survenir dès 2030 chez les fournisseurs de l'UE, agirait comme "la voiture-balai" de ces "politiques climat", fragilisant encore plus des économies toujours pas sevrée d'énergies fossiles, avertissait une étude du think tank the Shift Project, publiée fin mai.
Si la date de franchissement d'un pic de production de pétrole reste largement débattue, elle demeure "une opportunité" de changement, estime Michel Frédeau de BCG.
"S'il n'y pas plus de fossiles, on va accélérer les innovations". Et selon lui, comme l'ont prouvé le développement du photovoltaïque et de l'éolien, devenus compétitifs "avec 10 ans d'avance", quand "les énergies humaines se mobilisent, on y arrive plus vite, plus fort, à chaque fois" conclut-il, résolument optimiste.