Professeur de physique à l'Université de Montréal
Directeur scientifique de l'Institut de l'énergie Trottier à Polytechnique Montréal
Auteur de plusieurs livres, il dirige la publication des « Perspectives énergétiques canadiennes » dont la troisième édition est en cours de publication.
Le 6 juin dernier, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec, M. Pierre Fitzgibbon, déposait le projet de loi 69 visant à assurer « la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives ».
Ce projet de loi, annoncé il y a plus d'un an et très attendu par tous, renverse des décisions prises par le gouvernement Legault dans son premier mandat (octobre 2018-octobre 2022) tout en offrant un cadre plus cohérent pour ses prochaines actions ainsi que celles de la société d'État Hydro-Québec et du secteur privé dans un contexte de décarbonation mondiale.
Long de 56 pages, ce projet de loi costaud touche à de nombreux aspects de la gouvernance énergétique et sera, sans nul doute, étudié à la loupe au cours des prochains mois, en préparation pour les consultations de l'automne. Quelques aspects importants ressortent déjà, néanmoins.
1. La préparation d'un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques
L'aspect le plus structurant de ce projet de loi est l'introduction d'un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques projeté sur 25 ans. Ce plan devrait permettre le développement de politiques énergétiques en meilleure adéquation entre l'évolution des besoins et les objectifs climatiques tout en offrant aux citoyens et aux investisseurs un cadre pour mieux se retrouver dans les actions de diverses parties prenantes.
Ce projet de loi arrive peut-être un peu tard, six mois après la présentation par la société d'État Hydro-Québec, responsable de l'essentiel de la production et de la distribution d'électricité au Québec, sous la gouverne de son nouveau PDG, Michael Sabia, de son propre plan d'action sur 12 ans : un plan qui devrait répondre aux besoins accrus en électricité associés avec une transition énergétique dont l'existence avait été niée par les deux précédents PDG. En dépit des efforts d’Hydro-Québec, le besoin pour un tel plan intégré reste particulièrement criant alors que, depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Legault multiplie les gestes et les déclarations contradictoires dans le domaine de l'énergie.
Malgré la pertinence de ce plan, deux points font particulièrement sourciller à ce sujet. Tout d'abord, le projet de loi exige que le plan soit revu aux 6 ans, une éternité dans un monde qui doit se décarboner d’ici 25 ans.
Plus important, le projet de loi soumet la politique-cadre sur les changements climatiques, qui s'accompagne d'un plan d'action revu annuellement, au plan de gestion des ressources énergétiques, alors même que l'enjeu primaire est la décarbonation de la société québécoise et non sa transformation énergétique. Il y a là un renversement de la hiérarchie qui risque de ralentir, plutôt que de soutenir, l’atteinte des objectifs climatiques du Québec.
2. L'accélération des projets d'Hydro-Québec
D'un point de vue technique, le projet de loi enlève l'obligation à Hydro-Québec de recourir à des appels d'offres pour ses projets. En contrepartie, la Régie de l'énergie aurait alors le mandat de valider le contrat.
Si elle peut faciliter le travail sur le terrain, cet allègement est aussi une béquille qui cherche à compenser une planification souvent déficiente des projets. Il y a lieu, de plus, de se demander si la Régie de l'énergie est à même de bien évaluer les risques de collusion ou de manipulation des prix.
3. Le retour à la case départ, ou presque, pour la détermination des tarifs
Après avoir retiré, en 2019, à la Régie de l’énergie du Québec la responsabilité de déterminer annuellement les tarifs d'électricité, le gouvernement Legault fait une demi volte-face.
À compter de 2026, la Régie retrouvera ses pleins pouvoirs, mais révisera l’ensemble des tarifs aux trois ans plutôt que sur la traditionnelle base annuelle, à moins, permet le projet de loi, de circonstances exceptionnelles (aujourd’hui, le tarif résidentiel est de 6,7¢/kWh pour les premiers kWh correspondant à une moyenne de 40 kWh/jour pour la période de facturation et 10,3 ¢/kWh pour les suivants ; le tarif commercial est plus élevé, avec une base de 11,5 ¢/kWh alors que la grande industrie bénéficie d’un tarif de 3,6 ¢/kWh auquel s’ajoute un tarif pour la puissance demandée).
En parallèle, le gouvernement introduit un nouveau fonds, financé par les contribuables, pour protéger les clients résidentiels de chocs tarifaires.
Ce transfert de responsabilité permettra à Hydro-Québec de protéger ses revenus, affectés directement par l'augmentation annuelle limitée à 3 pour cent par le gouvernement Legault sur les tarifs résidentiels jusqu'en 2026. Cette dépolitisation des tarifs d'électricité est essentielle alors qu'HQ prévoit investir jusqu'à 185 milliards $ d'ici 2035 pour augmenter sa production d'électricité et renforcer son réseau de transport et de distribution.
4. Le rôle du privé et les tarifs dynamiques
Étonnamment, ce sont deux modifications mineures qui ont dominé les discussions médiatiques : le rôle du privé et, encore plus, la possibilité donnée à la Régie d'introduire une tarification dynamique.
Alors que les interventions publiques du ministre de l'Énergie ces derniers mois laissaient entrevoir une grande ouverture à la production privée d'électricité pour les prochaines années, le projet de loi ne modifie les règles que marginalement, en permettant, sous condition d'approbation ministérielle, à des producteurs privés de vendre leur électricité à des clients « adjacents » à leurs installations. Si le terme «adjacent» reste vague, le statu quo est maintenu pour l’essentiel.
Par contre, Hydro-Québec aura maintenant la possibilité de privatiser ses petites centrales hydroélectriques (moins de 100 MW) au fil de l'eau. Si l'intérêt économique d'une telle privatisation est faible pour les consommateurs d'électricité, cette modification doit être vue comme une forme de financement déguisé de certaines municipalités qui seraient très heureuses de mettre la main sur des infrastructures existantes pouvant leur assurer une rente à peu de risque.
Au cours de la dernière année, le ministre de l'Énergie a également souvent regretté que les Québécois ne soient pas plus attentifs à leur demande en électricité, suggérant que ce serait une bonne chose, par exemple, de lancer le lave-vaisselle la nuit. Cette suggestion est très peu pertinente dans le contexte québécois, puis la pointe demande électrique est circonscrite à quelques heures dans l'année, lors des grands froids hivernaux. Grâce à une production hydroélectrique extrêmement flexible et à un réseau capable de répondre à la demande des grands froids, il n’y a pas de raison technique d’avoir un tarif « heures peines/heures creuses » s’appliquant à l’année.
Heureusement, le projet de loi approche cette question de manière plus appropriée, en ouvrant la porte à une tarification et à des contraintes sur la puissance consommée dans le secteur résidentiel afin de réduire la demande en électricité durant les pointes. Si la Régie de l'énergie fait son travail correctement, cette possibilité devrait avoir très peu d'impact sur les citoyens, malgré la multiplicité des articles et interventions médiatiques qui font miroiter des contraintes sur les choix énergétiques des citoyens.
Ce survol laisse de côté, bien sûr, de nombreux articles, parfois importants, du projet de loi 69. On pense, par exemple, aux nombreux articles qui contribuent à renforcer la capacité du ministre à s'insérer dans le processus décisionnel à plusieurs niveaux, ce qui la porte à une politisation accrue, malgré la présence du plan intégré des ressources. Globalement, toutefois, ce projet de loi représente une avancée réelle, qui devrait pouvoir être amélioré lors des consultations en commission parlementaire qui devraient se tenir à l’automne à condition que le ministre soit en mode écoute.
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