François Benhmad, Maitre de conférences à l'Université de Montpellier
Jacques Percebois, Professeur émérite à l’Université de Montpellier (CREDEN) et coresponsable du pôle Transitions énergétiques à la Chaire Économie du Climat (Paris-Dauphine)
L’ARENH est un moyen pour les concurrents d’EDF d’obtenir l’accès à un volume d’électricité d’origine nucléaire (100 TWh par an, jusqu’en 2025) à un prix censé refléter le coût réel auquel ce nucléaire revient à EDF (fixé à 42 euros le MWh depuis 2012). Ce mécanisme, prévu par la loi Nome de 2010(1), constitue en quelque sorte pour les fournisseurs dits « alternatifs » une assurance pour se protéger contre la hausse des prix de l’électricité sur le marché de gros.
Actuellement, beaucoup anticipent une augmentation du prix spot de l’électricité pour deux raisons : une hausse possible du prix du pétrole dans les prochains mois et surtout une augmentation inéluctable du prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des quotas d’émission (ETS). Les fournisseurs concurrents d’EDF voudraient à ce titre que le plafond annuel de 100 TWh soit augmenté.
La demande d’ARENH pour 2019 a déjà avoisiné 133 TWh et la Commission de régulation (CRE) a dû réduire les prétentions de chacun pour rester dans le plafond légal. Rappelons qu’en 2016, la demande d’ARENH était nulle (puisque les prix de gros de l’électricité étaient alors très bas).
EDF souhaiterait pour sa part que le prix régulé de l’ARENH soit accru pour tenir compte des nouvelles conditions de marché, et en partie des surcoûts liés à la sûreté nucléaire. Il est également possible de se demander s’il est encore justifié d’obliger l’opérateur historique à vendre à prix coûtant une partie de son électricité nucléaire dans un contexte de baisse annoncée de sa production nucléaire (avec les fermetures de réacteurs à venir) et alors que ses concurrents augmentent régulièrement leur part de marché à son détriment.
La Cour des Comptes a critiqué le système de l’ARENH et certains voudraient le supprimer, considérant que c’est un système rigide qui s’accorde mal avec la logique de marché. C’est un mécanisme asymétrique puisque les concurrents d’EDF peuvent s’y « sourcer » quand cela les arrange et y renoncer quand ils le souhaitent, et ceci sans compensation pour EDF.
Il existe une solution préférable à l’ARENH qui pourrait théoriquement assurer le même service : un mécanisme d’ « options négociables » qui serait partiellement régulé par la CRE.
Des options négociables en partie régulées
Une option est un contrat à terme qui n’est pas un engagement ferme, à la différence des « futures ». Ce contrat est, comme l’ARENH, de type « asymétrique » puisque les droits et obligations de l’acheteur et du vendeur ne sont pas les mêmes.
Une option d’achat confère à un acheteur le droit durant une période limitée d’acheter (« lever l’option ») ou non un support dit « sous-jacent » (ici l’électricité), à un prix fixé d’avance (« prix d’exercice » ou « strike »). À l’échéance, l’option perd toute valeur si elle n’est pas exercée. Le vendeur est quant à lui tenu de suivre la décision de l’acheteur mais bénéficie en contrepartie d’une prime - acquise que l’option soit exercée ou non par l’acheteur - qui est loin d’être symbolique et qui représente en fait le prix de l’option.
Appliquons désormais ce cadre des « options » d’achat à un fournisseur d’électricité concurrent d’EDF qui souhaite avoir accès à l’électricité produite par les centrales nucléaires de l’électricien. Comme dans le cas de l’ARENH, l’exercice de l’option d’achat par ledit fournisseur dépendrait du niveau du prix de l’électricité sur le marché spot durant la vie de l’option, avec 2 scénarios possibles :
- si le prix spot est supérieur au prix d’exercice, le fournisseur exerce son option. Cela lui permet d’acquérir un volume d’électricité prédéterminé à un prix plus avantageux ;
- si le prix spot est inférieur au prix d’exercice, le fournisseur n’exerce pas son option puisqu’il peut acquérir le volume d’électricité souhaité sur le marché à un prix plus faible.
Dans ce nouveau cadre, EDF a toujours l’obligation de fournir l’électricité si l’option est exercée mais bénéficie en contrepartie d’une prime garantie. On peut imaginer que le prix actuel de l’ARENH (42 €/MWh) intègre à la fois le prix d’exercice de l’option d’achat et cette prime. Si l’on suppose que la prime représente 10% de l’ARENH, c’est-à-dire 4,2 €/MWh, le prix d’exercice s’élèverait à 37,8 €/MWh.
Reprenons alors les 2 scénarios envisagés :
- si le prix de l’électricité sur le marché spot est supérieur à 42 €/MWh avant l’échéance de l’option, le fournisseur d’électricité exerce son option d’achat et bénéficie d’un « gain » (correspondant à l’écart entre le prix spot et 42 €/MWh). EDF touche dans ce cas un total de 42 €/MWh, composé de la prime et du prix de l’électricité ;
- si le prix de l’électricité sur le marché comptant est inférieur à 42 €/MWh avant l’échéance, le fournisseur d’électricité n’exerce pas son option d’achat. Il est plus intéressant pour lui de se fournir directement sur le marché spot mais il subit une « perte » sous la forme de la prime versée dans tous les cas à EDF qui est de 4,2 €/MWh (soit un total de 420 millions d’euros si l’on suppose que le volume d’électricité nucléaire souscrit et livré par EDF aux différents fournisseurs d’électricité s’élève à 100 TWh par an).
Il est légitime que l’opérateur historique perçoive une prime pour son engagement à garantir cet accès à l’électricité nucléaire.
Beaucoup d’opérateurs critiquent le nucléaire mais apprécient aujourd’hui de pouvoir compter sur l’ARENH lorsque les prix de l’électricité sur le marché de gros s’envolent. Avec le mécanisme actuel, EDF subit un manque à gagner quand le prix spot est supérieur à 42 €/MWh (et personne ne souscrit d’ARENH dans le cas inverse, comme en 2016, sans aucune contrepartie pour EDF). Il est donc légitime que l’opérateur historique perçoive une prime pour son engagement à garantir cet accès à l’électricité nucléaire.
Outre la compensation de l’engagement d’EDF citée ci-dessus, un mécanisme d’option permettrait de manière pratique de dépasser le plafond de l’ARENH prévu actuellement par la loi (la CRE pourrait toutefois introduire un volume négociable à ne pas dépasser). C’est une solution qui s’inscrit dans la logique de marché qui régit aujourd’hui le secteur de l’électricité.
Précisons qu’il est déjà possible de recourir au mécanisme des options sans impliquer EDF (il suffit d’aller sur le marché des produits financiers dits « dérivés ») mais rien ne garantit alors que le prix négocié sera proche de 42 €/MWh. Le « prix d’exercice » pourrait être négocié par enchères au sein d’une plage de valeurs déterminée par la CRE, une sorte de « tunnel », ou être fixé de façon régulée à un niveau revu périodiquement. On concilierait dans ce cas logique de marché et régulation du prix de base de l’électricité.
Sources / Notes
- Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, il a été considéré qu’EDF, en tant qu’exploitant de l’ensemble du parc nucléaire français déjà « amorti », disposait d’un avantage par rapport à la concurrence.