Président de Coénove
La publication le 30 novembre dernier par la Commission européenne de plusieurs dispositions législatives au sein du « paquet énergie » est l’occasion de s’arrêter plus particulièrement sur la directive relative à l’efficacité énergétique et de revenir, en particulier, sur le calcul du coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire qui fait débat en France.
Dans sa proposition de révision de la Directive Efficacité Energétique(1), la Commission européenne fixe pour objectif de renforcer de 30% l’efficacité énergétique au sein de l’UE d’ici à 2030(2) (par rapport au niveau de 1990). Cet objectif est exprimé en énergie primaire et finale. Pour rappel, les dirigeants européens s’étaient entendus en octobre 2014 sur l’objectif moins ambitieux d’augmenter de 27% l’efficacité énergétique européenne d’ici à 2030.
Revenons très concrètement sur l’une des mesures envisagées par ce texte, à savoir la révision du facteur de conversion de l’électricité en énergie primaire.
Energie primaire, énergie finale et coefficient de conversion
L’énergie primaire représente la quantité totale d’énergie nécessaire pour fournir l’énergie finale consommée par l’utilisateur. Pour la calculer, il convient d'ajouter à cette énergie finale l’énergie nécessaire à sa production, à son acheminement, en intégrant en particulier les rendements de production des centrales permettant cette transformation et les pertes liées à la mise à disposition du consommateur. C’est ce rapport entre l’énergie finale et l’énergie « primaire » totale nécessaire pour la produire et la mettre à disposition qui constitue le coefficient de conversion en énergie primaire.
Des combustibles fossiles comme le gaz ou le pétrole sont des énergies qualifiées de « primaires » car ce sont des sources d’énergie disponibles directement dans la nature. Leur coefficient de conversion est conventionnellement fixé à 1 (l’énergie nécessaire en amont, par exemple pour l’extraction ou le raffinage, n’est pas prise en compte dans ce calcul(3)). Il n’en va pas de même de l’électricité qui n’est pas considérée comme une énergie primaire : elle est obtenue par transformation de ressources naturelles dans des centrales de production avec un rendement moyen inférieur à 40%, qui varie en fonction du combustible utilisé. Le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire est donc fonction du mix de production de l’électricité.
De l’usage du coefficient de conversion
Ce coefficient de conversion est aujourd’hui utilisé de deux manières au niveau européen : d’une part, dans le cadre de la Directive européenne éco-conception, pour comparer les performances énergétiques d’équipements ayant recours à différentes énergies et assurant la même fonction (chauffage, production d’eau chaude), et d’autre part, pour exprimer la performance des États membres en matière d’efficacité énergétique, en leur laissant toutefois la possibilité, en application du principe de subsidiarité, d’appliquer un coefficient qui soit le reflet de leur propre mix.
Ainsi, le coefficient actuellement en vigueur pour convertir l’électricité en énergie primaire est de 2,5 au niveau européen mais un coefficient de 2,58 a été retenu en France.
Vers une révision optimisée du facteur de conversion ?
Devant le « verdissement » progressif des mix de production électrique des différents États membres et dans la mesure où le rendement des filières renouvelables électriques est conventionnellement fixé à 100%, les discussions sont ouvertes pour actualiser le coefficient européen de 2,5.
La Commission européenne a retenu une approche basée sur le mix « moyen » de production électrique dans l’UE, analogue à la méthode en vigueur actuellement, mais plus proche de la réalité de fonctionnement du système électrique (avec notamment la prise en compte des pertes sur les réseaux).
Pour être pertinent, en suivant cette méthode, le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire devrait être calculé sur les données historiques constatées mais la Commission propose de prendre en compte des données prospectives à l’horizon 2020. Une telle approche revient à retenir une valeur plus faible du coefficient de conversion de l’électricité en raison de l’anticipation du « verdissement » croissant du mix de production et conduit automatiquement à avantager les solutions électriques par rapport aux autres sources d’énergie (par exemple lors de la future révision en 2018 du règlement d’écoconception pour les chaudières et pompes à chaleur).
Ce raisonnement est dangereux et contre-productif. Dangereux car il revient a faire des hypothèses sur le mix futur de production, et contre-productif car il n’incitera pas à mettre en place les actions nécessaires pour réduire cette valeur (développement des énergies renouvelables) puisqu’elle est déjà considérée comme acquise. La méthode retenue par la Commission n’est donc pas pertinente.
Si le souhait est de garder une méthode basée sur le mix électrique européen « moyen », ainsi que l’a calculé le Fraunhofer Institute dans son étude d’évaluation commandée par la Commission européenne, ce sont les dernières données du mix de production électrique européen publiées par Eurostat, à savoir de 2015, qui doivent s’appliquer. Elles conduisent à un coefficient de 2,26 (versus 2,5 actuellement) et non à 2 comme le propose aujourd’hui la Commission (sur la base du mix attendu en 2020)(4).
Et la France dans tout cela ?
Comme mentionné précédemment, la France utilise, pour l’appréciation de la performance énergétique des bâtiments dans ses différentes règlementations, un coefficient conventionnel de conversion de l’électricité en énergie primaire de 2,58. Ce coefficient a été calculé à l’occasion de l’élaboration de la RT2000, à partir d’une méthode développée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui utilise pour l’ensemble de la production électrique le rendement conventionnel des centrales thermiques à flamme, à savoir 38,7% (avec cette méthode, le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire est donc de 1/0,387 = 2,58).
Compte tenu de la spécificité de la production électrique française, qui provient à près de 75% de centrales nucléaires, on voit bien l’inadéquation de cette méthode qui n’intègre pas le rendement des centrales nucléaires dans le calcul du coefficient. Or, si le nucléaire a des qualités environnementales certaines, son rendement est notablement inférieur aux moyens thermiques classiques
L’AIE établit conventionnellement à 33% le rendement de la production d’électricité d’une centrale nucléaire. Ce rendement est moins bon que celui des centrales thermiques à flamme car, pour des raisons de sécurité : les températures sont moins élevées dans le circuit primaire des centrales nucléaires (aux alentours de 320°C) que dans des centrales thermiques à flamme, dans lesquelles la vapeur surchauffée peut atteindre 550°C.
Si l’on appliquait au mix électrique actuel de la France la méthode de calcul retenue par la Commission européenne plutôt que celle de l’AIE, la valeur du coefficient évoluerait à la hausse pour atteindre une valeur proche de 3 (2,93 exactement sur la base des données historiques 2015 pour la France) !
Ainsi, contrairement à certaines prises de position répétées, le niveau de 2,58 est plutôt « bien payé » pour l’électricité.
En conclusion…
Dans le cadre de la révision européenne en cours, le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire mentionné dans la directive Efficacité Energétique devrait être de 2,26.
Pour la performance énergétique des bâtiments en France, le coefficient de 2,58 actuellement en vigueur reste en-deçà de la réalité du mix de production électrique français et ne justifie pas, contrairement à ce que réclame la filière électrique, de baisse compte tenu de la prédominance du nucléaire dans le mix électrique français.
L’association Coénove, présidée par Bernard Aulagne, « réunit des acteurs clés de la filière gaz en France, tous convaincus du bien fondé d’une approche basée sur la complémentarité de toutes les énergies et de la place que l’énergie gaz tiendra dans le futur ».
Sources / Notes
- Proposition de directive modifiant la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique, 30 novembre 2016
- C’est-à-dire de baisser de 30% la consommation d’énergie par rapport aux scénarios de consommation estimée pour 2030.
- L’extraction de l’uranium n’est également pas prise en compte dans le cas de l’énergie nucléaire.
- Cette proposition est d’ailleurs totalement cohérente avec la volonté de la Commission d’avoir recours à un « PEF » (Product Environmental Footprint) calculé et revu tous les 5 ans en fonction du mix moyen constaté.