Concessions hydroélectriques : les points d’attention sur la mise en concurrence

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages

Lorsque le groupe EDF a été constitué en 1946, une de ses missions était d’accélérer le développement de la production hydroélectrique, « la houille blanche », pour sortir lentement mais sûrement de la houille noire... En accélérant le développement de la production hydroélectrique, EDF s’inscrivait dans une ancienne tradition dont le régime juridique avait été institué par la loi du 16 octobre 1919, en pleine reconstruction nationale, pour les centrales de puissance supérieure à 4,5 MW (ce qui était technologiquement une puissance élevée pour l’époque). Qu’en est-il aujourd’hui ?

État des lieux des concessions hydroélectriques en France

La plupart des concessions hydrauliques ont été historiquement attribuées pour une durée de 75 ans. A l’issue de cette période, les biens en concession font retour à l’État qui peut renouveler la concession ou l’attribuer à un autre opérateur.

En juillet 2008, « en application d'une procédure en manquement émanant de la Commission européenne », le gouvernement a décidé de mettre en concurrence l'attribution des concessions hydroélectriques à leurs échéances. Ceci s’est concrétisé par trois longs articles (116, 117, 118) de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Les concessionnaires actuels sont logiquement réticents à cette mise en concurrence qu’ils estiment contraire à l’intérêt commun.

En pratique, il y a jusqu’ici deux grands concessionnaires en France :

  • EDF qui gère la grande majorité des lacs de montagne avec une puissance installée de 18,4 GW, les STEP (Stockage d’Energie par Turbinage Pompage) avec une puissance installée de 5 GW en croissance grâce à des suréquipements, l’aménagement du Rhin partagé avec l’Allemagne pour 1,6 GW ;
  • la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), associée à la Société Hydroélectrique du Midi, qui gère près de 5 GW de capacités hydroélectriques.

Le total représente 25,4 GW que l’on peut comparer à la demande électrique de pointe en France en hiver (vers 19h) qui peut atteindre exceptionnellement 100 GW et la demande d’été maximale (vers midi) qui avoisine 45 GW.

Loi de transition énergétique : vers le développement de SEM

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée le 18 août 2015, ne prévoit pas explicitement d’augmentation de la puissance hydroélectriques installée en France. Le texte de loi a convergé vers un compromis « public-privé » favorable à la mise en concurrence des concessions, mais par le biais de sociétés d’économie mixte (SEM) ad hoc, en tout cas pour les lots les plus importants.

Il est prévu dans la loi « la possibilité de création d’une nouvelle catégorie de SEM, dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques sur une vallée. Cette disposition a pour objectif de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau, et de renforcer le contrôle public sur le patrimoine commun que constitue le parc hydroélectrique français. Aux côtés des entités publiques (collectivités locales, mais également d’éventuels investisseurs publics), les actionnaires privés sont sélectionnés à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, conformément à la législation européenne. Dans certains cas, la loi prévoit également la possibilité de regrouper des concessions afin d’optimiser l’exploitation de chaînes d’aménagements hydrauliquement liés ».

Le décret relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges est paru au Journal Officiel le 30 avril 2016. Il précise les conditions du regroupement des concessions lorsque des aménagements sont hydrauliquement liés et doivent être exploités de manière coordonnée. Il établit également la procédure de création de SEM hydroélectriques lors du renouvellement de concessions.

Points d’attention

La loi traite donc principalement de l’aspect politique de l’association des collectivités territoriales à la gestion de l’eau et du renfort du contrôle public. « Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d'un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l'État, une redevance proportionnelle aux recettes de la concession. Les recettes résultant de la vente d'électricité sont établies par la valorisation de la production aux prix constatés sur le marché, diminuée, le cas échéant, des achats d'électricité liés aux pompages. Les autres recettes sont déterminées selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie ».

La loi n’évoque pas explicitement le rôle spécifique croissant que va jouer l’hydroélectricité dans la transition énergétique.

Il ne faudrait pas que cette rédaction conduise à considérer l’hydroélectricité comme une rente passive et non comme un outil stratégique de la transition énergétique. Notons que l’aménagement du territoire est une partie constitutive de la mission de la CNR avec la participation des collectivités locales. EDF est associée très étroitement à la gestion de l’eau, en particulier lors des périodes de sécheresse.

La loi n’évoque pas explicitement le rôle spécifique croissant que va jouer l’hydroélectricité dans la transition énergétique. Or ce rôle est de très haut niveau technique et échappe à la connaissance des collectivités locales et du public. Il est essentiel de maintenir et renforcer les compétences scientifiques et techniques des exploitants quels qu’ils soient et de s’assurer de leurs capacités de recherche et développement du fait des nouveaux enjeux.

Les investissements importants à entreprendre supposent une visibilité de long terme et des conditions d’amortissement explicites dans les règles de concession, ce que la loi permet. Cette visibilité est essentielle pour le parc hydroélectrique, sinon il perdra de son efficacité et de sa sûreté et ne répondra pas aux attentes que le réseau place en lui.

La nouvelle loi sur les concessions hydroélectriques, provoquée par les orientations libérales contraignantes européennes, n’est qu’un des aspects de l’approche nouvelle de l’hydroélectricité. Ce sont peut-être les critères d’évaluation initiaux et permanents des opérateurs et la définition des missions futures des sociétés concessionnaires qu’il faudrait mieux détailler, sans doute avec la CRE.

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Commentaire

Youenn Rosmorduc
Et à quand la mise en concurrence des concessions pour les Îles non connectées au réseau ?
malpensant73
Plusieurs remarques: 1) confier les concessions au moins disant qui répercutera le coût de son sacrifice initial en réduisant les coûts de maintenance est potentiellement dangereux. Quid du principe de précaution? 2)Participer au réglage tertiaire n'a de sens que si l'essentiel de l'offre à l'instant t est assurée par les deux autres réglages. Or l'hiver ce n'est pas la variabilité du solaire ou de l'éolien qui cause problème mais bien leur quasi absence de production 3) Il ne faut pas faire de la production hydraulique une rente de situation; mais quand on voit le comportement des élus locaux depuis les premières tentatives de mise en concurrence, on peut se demander si ce n'est pas le seul objectif visé. 4) les projets de mise en concurrence ignorent la cohérence d'exploitation d'un bassin, aussi bien pour aménager les disponibilités en cas d'arrêt technique que pour prioriser les investissements; globalement le coût final du kWh sera plus élevé qu'actuellement
F
Après avoir gagné l' appel d'offre, si le nouveau concessionnaire venait à s'apercevoir qu'il pourrait sur équiper une vallée, il ne le fera pas car cette nouvelle concession sera remise en concurrence et il risquerait de tout perdre.Ce qui signera la fin du développement de la production hydroélectrique dans ces vallées.
DECORPS
L'ensemble des installations hydroélectriques est un bien précieux qui doit rester à l'état. C'est aux citoyens d'exiger le contrôle du bon fonctionnement au meilleur coût tout en garantissant la sécurité. Les Français ont payé avec leurs impôts toutes les installations, ne les vendons pas au privé. Ne prenons pas pour exemple les autoroutes, elles nous donnent un aperçu de ce que serait l'évolution des prix de l'Energie si les installations hydroélectriques passaient au privé.

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