Concessions hydroélectriques : historique en France jusqu'au renouvellement

parue le

Les concessions hydrauliques françaises doivent entrer dans une procédure de mise en concurrence depuis 2010. De nombreux retards ont toutefois été pris dans cette voie et des scénarios alternatifs sont à l’étude.

Présentation des concessions hydrauliques

90% de la puissance cumulée du parc hydroélectrique franças est exploitée sous le régime de la concession de service public : ce sont toutes les installations de puissance égale ou supérieure à 4,5 MW, celles de moins de 4,5 MW étant sous le régime de l'autorisation(1).

Les ouvrages hydroélectriques sous concession sont très divers et traditionnellement réparties selon quatre modes d’exploitation :

  • au fil de l’eau ;
  • en écluses ;
  • en lac ;
  • en station de transfert d‘énergie par pompage (STEP).

Cela représente au total près de 340 ouvrages.

Propriétés de l’État, ces ouvrages sont actuellement exploitées par deux concessionnairs historiques : EDF qui contrôle 70% du parc hydroélectrique et Engie via deux filiales (la Société hydroélectrique du Midi et la Compagnie nationale du Rhône). Près de 6 000 personnes travaillent sur ces barrages.

La plupart des concessions ont été historiquement attribuées pour une durée de 75 ans. A l’issue de cette période, les biens en concession font retour à l’État qui peut renouveler la concession ou l’attribuer à un autre opérateur.

Lorsque le groupe EDF a été constitué en 1946, une de ses missions était d’accélérer le développement de la production hydroélectrique, « la houille blanche », pour sortir lentement mais sûrement de la houille noire... En accélérant le développement de la production hydroélectrique, EDF s’inscrivait dans une ancienne tradition dont le régime juridique avait été institué par la loi du 16 octobre 1919, en pleine reconstruction nationale, pour les centrales de puissance supérieure à 4,5 MW (ce qui était technologiquement une puissance élevée pour l’époque).

Avec 25,4 GW de puissance installée, la France métropolitaine dispose du plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne. On peut la comparer à la demande électrique de pointe en France en hiver (vers 19h) qui peut atteindre exceptionnellement 100 GW et la demande d’été maximale (vers midi) qui avoisine 45 GW. 

Être concessionnaire d’un barrage est un choix lourd de conséquences potentielles pénales, civiles, administratives. Un barrage met en cause la sécurité publique et est soumis à des règles administratives strictes qui supposent des équipes expérimentées. En cas de changement de concessionnaire, si le nouveau concessionnaire a les qualités et l’expérience requises, il n’y a toutefois pas de raison de penser a priori qu’il fera moins bien que le précédent.

La mise en concurrence demandée par Bruxelles

La procédure du renouvellement des concessions hydrauliques répond à l’exigence européenne d’ouverture à la concurrence.

En juillet 2008, « en application d'une procédure en manquement émanant de la Commission européenne », le Gouvernement a décidé de mettre en concurrence l'attribution des concessions hydroélectriques à leurs échéances.

Dans le cadre du Grenelle Environnement, un calendrier du renouvellement des concessions hydroélectriques est rendu public en avril 2010. La procédure était censée s’appliquer à 49 barrages en 2015 pour 10 lots d’une puissance installée totale de 5 300 MW (soit près de 20% de la puissance totale installée du parc hydraulique français).

Début juillet 2012, le Conseil européen rappelle que « de nouvelles étapes sont nécessaires pour améliorer l’accès d’opérateurs alternatifs à la capacité de production en France, comme la production hydroélectrique ».

Différents opérateurs étrangers se positionnent alors en vue du renouvellement des concessions hydrauliques. Citons le suédois Vattenfall, le norvégien Statkraft, l’allemand E.ON ou encore les suisses Alpiq et BKW. Des électro-intensifs comme la SNCF et ArcelorMittal sont également partie prenante au sein d’un consortium. Une première consultation de ces acteurs a lieu en février 2012 dans le cadre de la préparation des appels d’offres.

Mais rien ne s'est concrétisé concernant la libéralisation des barrages français.

Après deux mises en demeure européennes en 2015 et 2019 pour ouvrir à la concurrence ses concessions hydroélectriques, jugeant EDF en position dominante, le dossier patine et l'incertitude demeure sur le futur régime des concessions hydrauliques.

Pourquoi ça coince ?

De fait, des contraintes sont posées par le renouvellement des concessions. De nombreux élus et les concessionnaires actuels sont logiquement réticents à cette mise en concurrence qu’ils estiment contraire à l’intérêt commun. Les détracteurs insistent en particulier sur :

  • le découpage inadéquat des vallées remises en concurrence, des opérateurs différents pouvant exploiter des ouvrages situés dans la même vallée sur un même cours d’eau ;
  • le refus de toute exclusion d'EDF du processus de mise en concurrence ;
  • une mise en concurrence limitée aux concessions échues ;
  • un intérêt financier qui primerait sur tout le reste.

Hormis pour le contrat de la CNR, qui a depuis l’origine en 1933 la forme d’une concession unique regroupant les 18 barrages du Rhône et dont le contrat prolongé en février 2022 court jusqu’en 2041, les échéances de ces concessions ne sont pas coordonnées alors même que de nombreuses installations sont liées du point de vue de la ressource hydraulique, avec des personnels mutualisés sur une chaîne de concessions. La Cour des comptes prend ainsi l'exemple des 8 concessions du Rhin « dont les termes s’échelonnent de 2028 à 2046, [et qui] pourraient, lors de leur renouvellement, être attribuées à différents opérateurs, ce dont découlerait des difficultés de coordination ». Cette configuration pourrait en effet entraîner des conflits entre l’exploitation de l’ouvrage de tête et celui en aval et « désoptimiser » le potentiel de production de l’ensemble.

La dévolution des concessions peut être compliquée par l’imbrication d’équipements différents dans la chaîne de production d’électricité. Les aménagements complexes comprenant des barrages de haute montagne, des tunnels, des conduites en charge, des usines de fond de vallées ne produisent de valeur que collectivement. Les travaux destinés à augmenter la durée de vie d’un ouvrage ou à le mettre en conformité avec la législation qui évolue ne trouvent de répondant économique que dans la concession de l’usine ou des usines concernées, car c’est elle qui produit l’électricité. Il en est de même pour les successions d’usines équipant une même vallée ou des vallées confluentes qui doivent fonctionner de concert en « train d’eau » descendant la vallée et produisant à chaque étage.

La gestion globale de l’optimisation de l’exploitation du « réservoir France » est une question importante. Il est souhaitable que l’optimum économique de chaque concessionnaire participe à un optimum global pour la France, ce qui n’est pas nécessairement le cas. On a constaté, par exemple en Californie en 2000 avec l’entreprise Enron, des comportements spéculatifs très éloignés des règles éthiques habituelles…

Ceci est d’autant plus vrai que les installations hydroélectriques ont une valeur particulière pour le réseau électrique national et européen. Elles apportent une disponibilité quasi immédiate au moment où le réseau le demande : c’est la production hydroélectrique qui est la plus sollicitée pour passer la pointe. Ce stock d’eau, qui est en pratique un stock d’électricité, est soit naturel, soit « rechargeable » comme les STEP au prix d’une dépense d’électricité et pour des durées d’environ 5 heures à pleine puissance. Cette contribution de l’hydroélectricité ira croissante avec l’augmentation de la part d’énergie intermittente dans le mix électrique, d’autant plus que le vent est nul et le soleil inexistant lors des périodes froides anticycloniques hivernales.

La production hydroélectrique (réservoirs de montagne, STEP ou éclusées) joue un rôle très efficace dans l’équilibrage du réseau parce qu’elle apporte de l’inertie au système global grâce au poids élevé et au grand diamètre des turbines hydrauliques, mais aussi grâce à sa grande flexibilité et à une cinétique de démarrage très rapide (pas de temps de chauffe).

L’équilibrage du réseau électrique est de la responsabilité de RTE sous le contrôle de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Les outils d’équilibrage sont les réserves système déclenchées automatiquement et le mécanisme d’ajustement déclenché volontairement à moins de 13 minutes et à 30 minutes. Cet ajustement est rémunéré par le marché et payé par les consommateurs à travers le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics (TURPE). La production hydroélectrique participe efficacement à la réserve primaire avec peu de perte de rendement. Mais, c’est dans le mécanisme d’ajustement tertiaire que l’hydraulique joue un rôle majeur. L’hydraulique, en particulier de lac (STEP incluses), est particulièrement adaptée à une demande croissante de flexibilité et d’ajustement. Ce rôle augmente du fait de la croissance de l’intégration des énergies intermittentes qui jusqu’à présent ne participent pas à la stabilisation du réseau. L’électricité solaire photovoltaïque est produite en courant continu qui est ensuite ondulé avec de l’électronique de puissance, donc sans les adaptations permises par les machines tournantes. Par ailleurs, la production photovoltaïque diffuse est généralement raccordée sur le réseau Basse Tension, ce qui complexifie beaucoup l’ajustement. L’électricité éolienne pourrait participer plus à la stabilité du réseau qu’elle ne le fait aujourd’hui.

Autre argument souvent relayé par les opposants au processus de libéralisation : l’ouverture n’est pas similaire dans les autres grands parcs hydroélectriques européens. En Autriche et en Allemagne, les ouvrages sont soumis au régime de l’autorisation, en Suisse et en Norvège, ces ouvrages sont inaccessibles aux groupes privés sans partenariat avec des structures publiques.

Enfin, les syndicats du secteur s'inquiètent d'une "privatisation" des barrages. "Comment peut-on décider de brader la production d'électricité hydraulique" et "comment peut-on décider de démultiplier le nombre de propriétaire des concessions hydrauliques, désorganisant ainsi le système hydro-électrique ?", s'insurge ainsi la CGT.

Où en est-on en attendant ?

Pour répondre à Bruxelles, la loi sur la transition énergétique, votée en 2015, a aussi introduit dans trois longs articles (116, 117, 118) ;

  • la possibilité de créer des sociétés d'économie mixte (SEM), au capital partagé entre public et privé ;
  • et la possibilité de prolonger les concessions en contrepartie de la réalisation de travaux nécessaires.

Il est ainsi prévu dans la loi « la possibilité de création d’une nouvelle catégorie de SEM, dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques sur une vallée. Cette disposition a pour objectif de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau, et de renforcer le contrôle public sur le patrimoine commun que constitue le parc hydroélectrique français. Aux côtés des entités publiques (collectivités locales, mais également d’éventuels investisseurs publics), les actionnaires privés sont sélectionnés à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, conformément à la législation européenne. Dans certains cas, la loi prévoit également la possibilité de regrouper des concessions afin d’optimiser l’exploitation de chaînes d’aménagements hydrauliquement liés ».

Le calendrier d'échéance des concessions hydroélectriques en France métropolitaine s'étale entre 2003 et 2080, avec une quarantaine deconcessions à ce jour échues et pas renouvelées, dont la poursuite d'exploitation est toutefois autorisée par le régime dit des « délais glissants ».

Pour atténuer les conséquences financières de cette situation, le législateur a imposé aux concessions échues le paiement, à partir de 2020, d’une redevance spécifique égale à 40% du bénéfice normatif après impôts.

La Cour des comptes a appelé le gouvernement à "sortir de cette situation afin d'éviter que la gestion d'ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu'il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique".

De fait, les experts affirment que pourrions passer de 11% à 15% d'électricité d'origine hydraulique dans le mix électrique français s'il y avait une meilleure gestion des barrages. Or cela suppose des investissements et le principe de la concession, c'est que celui qui l'obtient investit, mais aucune société ne veut investir sans visibilité. Le régime même de la concession contraint à remettre l'ouvrage en concurrence s'il doit faire l'objet d'un investissement substantiel, visant par exemple à augmenter sa puissance. De quoi freiner les grands projets de modernisation d'installations parfois vieillissantes. 

Rappellons par ailleurs que le potentiel de développement est encore très important avec au moins 500 mégawatts d'augmentation de puissance et 1 500 MW de capacités en stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) à l'horizon 2035. "Et d'autres projets sont à l'étude pour ajouter 2 GW au-delà", a expliqué Emmanuelle Verger, directrice d'EDF Hydro. La France ne compte que six STEP, alors qu'ils permettent d'absorber les pics de consommation et de production.

Quelles sont les solutions envisagées ?

En 2013, une proposition cosignée par 50 sénateurs(2) proposait de porter la durée des concessions à 99 ans. Les parlementaires voulaient ainsi gagner du temps pour trouver une solution pérenne, et aligner la situation française sur celle de leurs homologues européens, dont certains bénéficient déjà d'une telle durée des concessions (Autriche), ou de mécanismes divers - prolongations, droit de préférence - d'effet équivalent, en Espagne, en Italie ou encore au Portugal.

EDF plaide de son côté pour que les ouvrages soient exploités sous le régime de l'autorisation, comme dans la plupart des pays européens, "ce qui permettrait de libérer les investissements", souligne le PDG d'EDF Luc Rémont, car il permettrait d'investir dans les barrages sans en perdre l'exploitation.

La Cour des comptes a rendu public en février un référé(1) en février 2023 sur le renouvellement des concessions hydroélectriques, adressé le 2 décembre 2022 à la Première ministre. Elle y fait part de deux grandes recommandations sur les STEP et le mode de gestion dit de quasi-régie.

La Cour des comptes appelle ainsi à « ne plus considérer les STEP comme des ouvrages ordinaires destinés à commercialiser de l’électricité sur le marché de détail mais comme des équipements destinés à contribuer à la flexibilité du réseau ».

De fait, les STEP permettent un stockage d'électricité à grande échelle : composées de deux bassins situés à des altitudes différentes, ces installations permettent de stocker de l’énergie en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur lorsque la demande électrique est faible (et le prix de l’électricité peu élevé). Lorsque la demande électrique augmente (tout comme le prix de l’électricité), elles restituent de l’électricité sur le réseau en turbinant l’eau du bassin supérieur. La Cour des comptes appelle ainsi à « proposer un modèle de rémunération propre » à ces STEP « à la hauteur de leur contribution au fonctionnement du système électrique français et permettant d’assurer un développement des investissements en ligne avec les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie ».

La deuxième recommandation générale de la Cour des comptes est ainsi de « prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières en sus des considérations juridiques, au moment d’opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions hydroélectriques échues, soit pour leur mise en concurrence, à l’unité ou par regroupements ».

Le mode de gestion dit de « quasi-régie » est une alternative au dispositif de mise en concurrence : il permet « au pouvoir adjudicateur d'attribuer une concession publique [...] discrétionnairement à un opérateur public sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui sur propres services ». Une solution privilégiée par l'État dans le contexte de renationalisation d'EDF.

"Quel que soit le choix du gouvernement, la solution devra être conforme au droit européen, commune à l'ensemble des acteurs publics et privés, et équitable", insiste un autre acteur du secteur.

L’exemple de la CNR et d’EDF

Durant de longues années, EDF et ses agents exploitaient les centrales hydroélectriques échelonnées le long du Rhône tandis que la CNR gérait l’aménagement du territoire le long du fleuve : barrages, canaux, usines, vannes, écluses, ports, irrigation, etc. En 2001, la CNR a retrouvé son statut de producteur indépendant et elle exploite depuis elle-même des usines. En 2006, 300 agents EDF ont été transférés à CNR pour assurer la continuité de l’exploitation.

L’actionnariat de la CNR est aujourd’hui composé par Engie (49,97%), le groupe CDC (33,2%) et les collectivités locales (16,83%). Avec le soutien d’Electrabel-Suez, la CNR s‘est équipée à partir de 2005 d’une salle des marchés avec une équipe météo, une équipe hydrologie, une équipe « débit du Rhône » aux différents barrages et une salle de marché classique permettant de vendre de l’électricité à terme, généralement le lendemain, en jouant intelligemment sur les volumes d’eau variables dans chaque bief (section d’un cours d’eau compris entre deux écluses.). C’était un progrès. Au moment du changement, les dossiers ont été transmis d’EDF à la CNR et ont été gérés par des équipes dont de nombreux membres étaient maintenus en place, ce qui est essentiel. La continuité de la mission, le maintien de l’expertise, la permanence et la disponibilité des archives sont essentiels pour garantir la sûreté des installations si un concessionnaire vient à changer.

Sur le même sujet