Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines
La rumeur d’une scission d’EDF en deux entités fait de nouveau l’objet de spéculations : une société (« oldco ») reprendrait les activités réputées difficiles à valoriser en bourse (le nucléaire et peut-être les centrales thermiques condamnées à fermer), une autre société (« newco ») s’occuperait des activités jugées plus lucratives et prometteuses (les réseaux de distribution, les énergies renouvelables et les services commerciaux associés à la vente de l’électricité).
C’est un peu « l’ancien monde » contre « le nouveau monde », à l’instar de ce qui s’est produit en Allemagne avec RWE, et qui semble d’ailleurs avoir eu les faveurs des financiers si l’on regarde l’évolution de la valeur en bourse des deux composantes de l’ex-RWE. Cela prouve bien que la logique financière l’emporte sur la logique industrielle.
Certains y voient une opportunité de « sanctuariser » le nucléaire en déconnectant sa rentabilité de la volatilité des prix observée sur le marché de gros de l’électricité et en le considérant comme le « dernier des Mohicans » du service public. Rappelons que l’injection massive d’électricité renouvelable rémunérée hors marché par des prix d’achat garantis très élevés a, dans un contexte de stabilité de la demande d’électricité, engendré une chute des prix de gros partout en Europe, ce qui a fragilisé les centrales classiques (thermiques à combustible fossile et nucléaires), lesquelles à la différence des renouvelables demeurent financées par ces prix de gros(1).
On a fragilisé le nucléaire en lui imposant une règle du jeu qui ne lui est pas adaptée, celle d’un marché de court terme avec des prix très volatils et artificiellement déprimés, puis on s’étonne que sa rentabilité ne soit plus au rendez-vous. Certes la baisse du prix du kWh n’est pas la seule cause des difficultés du nucléaire. Notons que le nucléaire « historique » demeure malgré tout à peu près compétitif avec les prix actuels du marché puisque son coût « cash » (en sortie de centrale) reste inférieur au prix moyen du marché spot. On constate ainsi une très bonne corrélation statistique entre le cours de l’action d’EDF et le prix de gros du kWh sur les dix dernières années. C’est le nucléaire nouveau, dont les coûts fixes sont plus élevés, qui pose problème dans le cadre du renouvellement du parc.
On pourrait s’interroger sur l’intérêt d’un marché « spot » de l’électricité si plus de 93% de l’électricité produite en France est rémunérée par un système régulé...
On peut concevoir que, pour le nucléaire comme pour les renouvelables, un nouveau modèle soit mis en place : des « contrats pour différences » (CfD en anglais) dans le premier cas et des « feed-in premiums » (FIP) dans le second. Avec le modèle des CfD en vigueur au Royaume-Uni pour l’EPR, le kWh nucléaire est rémunéré au prix de marché de gros et bénéficie d’un complément de revenu si ce prix n’est pas suffisant pour récupérer les investissements ; dans le cas où ce prix de gros est plus élevé que prévu au contrat, c’est l’opérateur qui rembourse la différence. Avec les FIP, le modèle est très proche sauf que la prime est recalculée périodiquement par référence à un prix théorique qui est une moyenne mobile des prix « spot » alors que le prix théorique qui sert de référence dans le CfD est fixé ne varietur(2) sur le long terme.
Du coup, on pourrait s’interroger sur l’intérêt d’un marché « spot » de l’électricité si plus de 93% de l’électricité produite en France(3) est rémunérée par un système régulé. A force de faire des entorses au marché puis de mettre des rustines sur ces entorses on finit par se demander si on est encore dans un modèle de marché. Autant fixer directement le prix de vente, comme dans « l’ancien temps ».
Mettre le nucléaire à part, c’est surtout envoyer un mauvais signal au marché puisque cela revient à afficher que le nucléaire comme le charbon sont des énergies du passé, ce qui peut être perçu comme une étape vers l’abandon progressif de cette énergie alors même que de nouvelles technologies sont aujourd’hui dans les cartons (SMR, « small modular reactors », ou RNR, réacteurs à neutrons rapides).
Certains veulent aujourd’hui accélérer la « sortie » des fossiles, en renonçant à tout investissement dans l’exploration-production des hydrocarbures, d’autres souhaitent la sortie immédiate du nucléaire, d’autres encore l’abandon simultané de ces deux sources d’énergie. Si l’hiver est vraiment très froid, nous serons sans doute heureux d’avoir encore en stock quelques réacteurs nucléaires et quelques turbines à gaz en complément de notre électricité renouvelable.
Sources / Notes
- Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois, « Transitions électriques ; ce que l’Europe et les marchés n’ont pas su vous dire », Editions Odile Jacob, 2017.
- Sans changement ultérieur.
- En 2016, le nucléaire (72,3% du mix) et les énergies renouvelables (19,1%) comptaient pour 91,4% de la production électrique française.
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