France-Allemagne : le mix électrique, juge de paix du bilan carbone de l’industrie

David Lolo portrait

Économiste chargé d’études à La Fabrique de l’industrie

De l’industrie à l’énergie en passant par les transports et l’agriculture : les feuilles de route nationales de décarbonation déploient des trajectoires de réduction des émissions par grand secteur émetteur. Une approche intelligible et opérationnelle certes, mais qui ne rend compte que des émissions directes de ces secteurs. L’intégration de leurs émissions indirectes, liées notamment à leur consommation d’électricité, permet pourtant d’avoir une vision plus juste de leur bilan carbone. C’est bien ce qui ressort de la comparaison environnementale des industries française et allemande(1).

Il est monnaie courante de confronter la France à l’Allemagne sur leurs performances industrielles respectives. Cet exercice place depuis longtemps l’Allemagne en tête sur plusieurs critères : maintien de l’industrie dans le PIB, positionnement de gamme, compétitivité à l’export. 

En matière de gaz à effet de serre en revanche, la comparaison entre les industries nationales est piégeuse. Si les données d’Eurostat indiquent que l’industrie française est en moyenne 30% plus carbonée que l’industrie allemande pour un même euro de valeur ajoutée(2), cet écart statistique est à imputer en réalité à la surreprésentation des industries lourdes dans la valeur ajoutée française.

Le mix électrique national, juge de paix du bilan carbone de l’industrie

Mais ce n’est pas tout. Au-delà de ce simple biais de composition, l’écart ne porte ici que sur les émissions industrielles directes, c’est-à-dire sur les émissions liées aux procédés de fabrication des entreprises et aux combustibles qu’elles utilisent (charbon, gaz naturel, fioul, etc.). Or, ce périmètre, désigné « scope 1 » en jargon technique, n’est que la partie émergée de l’empreinte carbone totale des entreprises. Il faut y ajouter les émissions de « scope 2 », liées aux énergies de réseau que sont l’électricité et la chaleur, et qui sont, du reste, déjà prises en compte par les entreprises quand elles réalisent leur propre bilan carbone.

Cette étape est déterminante. En élargissant ainsi le bilan carbone aux émissions indirectes liées à la consommation d’électricité (c’est-à-dire au scope 2 hors chaleur), le prétendu écart entre les industries française et allemande s’inverse : scopes 1 et 2 cumulés, l’industrie française a émis 371 g éq. CO2 par euro de valeur ajoutée en 2021, contre 359 g outre-Rhin et même 457 g si l’on raisonne à tissus industriels comparables(3)

La décarbonation de l’industrie, qui passera par un recours accru à l’électricité en substitut des énergies fossiles, dépend en partie des choix énergétiques aux mains des États.

Un rééquilibrage qui tient aux différences structurelles entre les mix électriques français et allemand : le premier figure parmi les plus décarbonés d’Europe, notamment grâce à l’énergie nucléaire (64,8% de la production électrique en France métropolitaine en 2023), quand le second repose encore fortement sur les énergies fossiles (47,2% de la production électrique allemande en 2023(4)), lui valant une électricité globalement six fois plus carbonée.

Il en va de même quand on compare les émissions à l’échelle sectorielle. Si l’industrie chimique allemande peut se targuer d’une faible intensité carbone en scope 1 par rapport à son homologue française, c’est parce qu’elle compte davantage d’activités électro-intensives, comme la pétrochimie et la fabrication de PVC. Une fois le scope 2 intégré, le benchmark s’inverse en faveur de l’industrie française.

Cette comparaison des industries française et allemande est riche d’enseignements. D’une part, elle nous invite à une prise en compte plus systématique du scope 2 dans les bilans carbone, un travail, on l’a dit, déjà maîtrisé par les entreprises elles-mêmes mais qui fait encore défaut dans la littérature institutionnelle. D’autre part, elle nous rappelle que la décarbonation de l’industrie, qui passera par un recours accru à l’électricité en substitut des énergies fossiles, dépend en partie des choix énergétiques aux mains des États. D’où l’importance que les industriels portent aux documents de planification énergétique comme la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en France.

Quel bilan carbone à l’aune du scope 3 ?

Un ultime poste d’émissions indirectes doit être intégré au bilan carbone des entreprises et des secteurs, et peut biaiser, là encore, les comparaisons internationales : celui des émissions dites de « scope 3 », liées à l’externalisation des chaînes de valeur industrielles (sous-traitance, importations d’intrants, fourniture de services, etc.). 

Ce poste d’émissions, que les entreprises commencent à appréhender, reste encore un casse-tête statistique à grande échelle. Pour preuve, le recours possible des cimentiers français à du clinker importé (matière première du ciment) jette un flou sur le bilan carbone réel du secteur, quand les cimentiers allemands n’en importent pas. Flou qu’il reste difficile d’évacuer en l’absence de données plus fines, soumises au secret.

La prudence doit donc rester de mise face aux données de comptabilité environnementale, qui reposent, il faut le saluer, sur un travail exhaustif et transparent des instituts d’inventaire et de collecte de données, mais dont on peut également éprouver les limites sur le plan analytique.

Sources / Notes

  1. Lolo, D. (2024). L’industrie est-elle plus verte ailleurs ? La France face à l’Allemagne. Les Notes de La Fabrique ; étude réalisée en partenariat avec McKinsey & Company.
  2. Sur le périmètre de l’industrie manufacturière, 380 g éq. CO2/€ de valeur ajoutée en France contre 290 g éq. CO2/€ de valeur ajoutée en Allemagne en 2021.
  3. Sur le périmètre de l’industrie manufacturière hors cokéfaction-raffinage.
  4. En 2023, les énergies fossiles ont produit 240 TWh d'électricité, contre 268 TWh pour les énergies renouvelables (7 TWh pour le nucléaire) selon Agora Energiewende. 
    Die Energiewende in Deutschland: Stand der Dinge 2023, Agora Energiewende, janvier 2024
     

Commentaire

Serge Rochain
Monsieur Lolo semble ignorer que l'industrie productrice d'électricité de la France, le nucléaire, emet en réalité beaucoup plus de CO2 par KWh que ce que la France annonce à grand renfort de tromperie. Le CO2 émis par l'industrie nucléaire française n'est pas de 6 g par KWh comme prétendu. D'où sort ce 6g ? D'une étude scientifiaue ? Non celle sur laquelle était établi l'émission de l'industrie nucléaire en moyenne résultait de l'étude scientifique Sovacool qui déplaisait au sénateur Longuet puisqu'elle plaçait mieux les émissions produites par les renouvelables, le nucléaire étant de 66 g /KWh selon l'étude Sovacool. Monsieur Longuet, balayant l'étude Sovacool d'un revers de main, s'est donc entendu avec Monsieur de Rugy alors Ministre de la transition écologique pour décider que ce serait 6 g. Lesquels 6 g n'étant enregistré a cette époque (21-2-2019) dans la base de l'ADEME que comme la production du KWh par les moyens en France, ce qui n'est donc plus une étude ACV. L'ADEME étant sous la tutelle du ministre de la transition écologique s'est vu ordonner de mettre 6g de CO2 par KWh produit par l'industrie électronucléaire française, à la place des 66 qui figuraient précédement dans la base de donnée servant aux comparaisons avec les autres pays. Cette discussion en séance au Sénat s'est déroulée devant un parterre de sénateurs qui ne comprenaient rien à l'échange entre le représentant du Ministre de Rugy qui n'était pas présent lui-même et le sénateur Gérard Longuet, le 21 février 2019 et a fait l'objet d'un enregistrement dans les minutes du sénat qui a été effacé depuis faisant disparaitre le petit arrangement politique d'une question hautement technique, bien qu'il existe des copies réalisées avant que l'original de la base de donnée du sénat ne soit effacée, comme celle que je tiens à la disposition de qui me la demandera : "Question écrite n°09117 - 15e législature Les informations clés Question de M. LONGUET Gérard (Meuse - Les Républicains) publiée le 21/02/2019" Cette question écrit n°09117 ainsi que la réponse du Ministre de Rugy, représenté, n'existe plus de façon accessible avec la méthode classique par le lien Https. Veuillez vérifier : https://www.senat.fr/questions/base/2019/qseq190209117.html Elle a cependant été réintroduite le 15 novembre 2023 accessible par un lien figuratif qui ne peut pas être retranscrit par le gestionnaire de texte utilisé dans cette messagerie, mais qui eput l'être par une formulation sous Word. Cependant la mise à jour de la base de l'ADEME après vérification n'a pas été corrigé selon les instruction du ministre avec les 12g (qui est la médiane calculé par le GIEC et non la moyenne comme l'a interprété le sénateur Longuet), et seul le 6 g dont on essaie manifestement passé le 66 pour une répétition malencontreuse du 6g a été enregistré. L'étude Sovacool fait pourtant bien état de 66g et non 6 g. Le 66 g ne peut alors plus passé pour une simple faute de frappe. La supercherie devient évidente avec l'explication qui en est donné. Je reproduit ici cette question écrite et sa réponse ministerielle. Question écrite Impact carbone de la filière nucléaire Question écrite n°09117 - 15e législature Les informations clés Auteur de la question LONGUET Gérard Type de question Question écrite Ministre interrogé(e) Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire Date(s) de publication Question publiée le 21/02/2019 Réponse publiée le 18/07/2019 Question de M. LONGUET Gérard (Meuse - Les Républicains) publiée le 21/02/2019 M. Gérard Longuet attire l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les chiffres relatifs à l'impact carbone de la filière nucléaire. Fin janvier 2019, le Gouvernement a publié le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour les dix ans à venir ; projet soumis aujourd'hui à la consultation de différentes instances et des professionnels du secteur. Le chapitre 3 (alinéa 3.5.8.) de ce rapport est dédié au nucléaire. Le projet PPE indique deux références en matière d'émissions de CO2 liées au nucléaire : « le GIEC, "qui a publié des données sur l'impact carbone de la filière nucléaire, l'estime en moyenne à 12g CO2/kWh au plan international" ; "selon la base carbone de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), pour la France, l'énergie nucléaire émet en moyenne 66 g CO2/kWh sur l'ensemble de son cycle de vie". » Le résultat proposé par la base carbone de l'ADEME, largement utilisée pour les calculs des bilans réglementaires gaz à effet de serre (GES), est en réalité de 6g CO2/kWh pour l'énergie nucléaire en France. Pour calculer les émissions de CO2, la méthode de référence reste l'analyse de cycle de vie (ACV). Elle a fait l'objet d'un consensus scientifique international ; elle est utilisée dans tous les secteurs, dont le nucléaire, pour calculer le bilan environnemental d'un service ou d'un produit. L'ACV est normalisée depuis de nombreuses années (normes ISO 14040 & 44). Le chiffre de 66 gr CO2/kWh, cité dans le projet de la PPE, vient d'une étude ancienne d'un universitaire britannique. Cette dernière n'est pas une étude ACV, mais une analyse d'études dont certaines ne sont pas des études ACV. En outre, les chiffres ne sont pas adaptés à la France. Aussi, il lui demande de lui indiquer si la valeur de « 66 g CO2/kWh » a bien sa place dans le rapport de la PPE et de préciser si c'est le chiffre de « 12g CO2/kWh » ou celui de « 6g CO2/KWh » qui sera retenu comme chiffre d'émissions de CO2 du nucléaire. Publiée dans le JO Sénat du 21/02/2019 - page 947 Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire publiée le 18/07/2019 Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028 et le projet de synthèse associé ont été publiés le 25 janvier 2019. Deux facteurs d'émissions sont effectivement donnés dans le projet de PPE pour l'impact carbone de la filière nucléaire dans ce projet de document : 12 gCO2/kWh d'après le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et 66 gCO2/kWh d'après la Base Carbone de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Le dernier chiffre relève d'une erreur typographique, qui sera corrigée dans la version finale de la PPE. Celle-ci présentera donc deux valeurs : 12 gCO2/kWh d'après le GIEC et 6 gCO2/kWh d'après la Base Carbone de l'ADEME. Publiée dans le JO Sénat du 18/07/2019 - page 3909 Page mise à jour le 15 novembre 2023 Quant à l'étude Sovacool elle est bien une étude ACV contrairement à ce que prétend Monsieur Longuet et également contrairement au 6 g dont il fait état (dans la mesur où sa source serait celle puisée dans l'ADEME qui ne reprend que les émlission produites en France dans la cahine de transformation du minerai uranifère et son enrichissement. Je tiens également à disposition l'étude Socacool. Serge Rochain
Dominique Wenger
Il suffit que le mot "nucleaire" apparaisse dans un article pour que nous ayons droit a un commentaire de M Rochain. Ses commentaires deviennent de plus en plus longs et compliques. (Que ceux qui ont tout lu levent le doigt😆). Ici, M Rochain essaye de contester la demonstration de M Lolo en supposant qu il ne connaisse pas les emission de CO2 de l energie nucleaire. Le poste de M Rochain est completement hors sujet. M Rochain voudrait peut etre nous faire croire que les emissions de CO2 d une centrale au lignite sont plus faibles que celles d une centrale nucleaire.
Serge Rochain
On voit bien que Monsieur Wenger n'a pas lu lmon message comme il l'avoue lui-même, ce qui ne l'empéche pas de faires des hypotheses, fausses évidemment, et d'en faire état.
Denis Margot
  • ADEME : 6 g (ADEME)
  • GIEC : 12 g
  • EDF : 4 g
  • CEA : 5 g
  • ElectrciityMap : 5g (UNECE)
  • Rochain : 66 g
Rochain le 2023-12-19 : « La méta-analyse de Benjamin K. Sovacool de l’université de Singapour a montré que les émissions de C02 attribuables à la production d’électricité nucléaire sont en moyenne de 66 gr/CO2/kWh sur la base d’un examen critique de 103 études consacrées à cette question. 38 % des émissions de CO2 du secteur sont dues aux opérations d’extraction des minerais d’uranium, à leur conditionnement et leur acheminement.» En effet, sur les 66 g, 38% font déjà 25 g ! Par ailleurs, l’ADEME dans le tableau signalant les 6 g mentionne clairement POUR LES MOYENS DE PRODUCTION EN FRANCE: Les 6 g par KWh ne concernent donc que ceux émis en France, et ce n'est donc pas une mesure ACV L’extraction, le concassage et les divers traitements faits in situ sur les lieux de production ne sont pas en France, alors la réalité sur le cycle de vie en supposant vrais les 6 g pour le reste de la durée de vie de ce qu’il advient de l’uranium nous sommes à 25+6 = 31g par KWh. »

Rochain_2023 confirme bien, contrairement à Rochain_2024, que l’analyse Sovacool est une moyenne et non une ACV. D’ailleurs, Rochain_2023 montre incidemment que cette « étude » aboutit finalement, non à 66 g, mais à 31 g.
Si Rochain détient la preuve de la forfaiture, qu’il le démontre avec ses copains écolos devant une cour, il a toutes les chances de gagner, les juges adorent les lanceurs d’alerte et ce sera la gloire pour Rochain.
Serge Rochain
Oui comme 42 est ma pointure pas mon âge. Margot va jusqu'à ignorer qu'une moyenne peut être celle des ACV de ce qui constitu la moyenne.....pauvre mMrgot
Denis Margot
Non, Rochain, une moyenne de 103 « études » ne peut en aucun cas constituer une ACV, ce n’est pas comme ça que ça se fait. Vous pouvez consulter les documents ISO 14064-1, 14064-2, 14064-3, vous verrez, c’est plus instructif que vos élucubrations sénatoriales. Votre argument s’écroule encore une fois. Merci de ne plus nous inonder avec votre roman, le suspense est mauvais et l’intrigue convenue.
Schricke Daniel
Après son "brillant" exposé, S. Rochain pourra certainement nous démontrer que, contrairement à une "Fake" désormais très répandue (y compris même dans les programmes scolaires et universitaires !), notre planète terre est bien PLATE, et non sphérique, comme tout le monde (ou presque) le pense à tort ! A quand la démo ?
Serge Rochain
Pauvre Margot !

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