Thierry Chapuis est délégué général de l’Association française du gaz depuis octobre 2017. (©Arnaud Caillou)
Dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un débat public est organisé jusqu’au 30 juin 2018 par la CNDP (Commission nationale du débat public). L’un des temps importants de ce débat a lieu samedi 9 juin, avec la réunion à Paris d’un panel de 400 citoyens, baptisé « G 400 », invité à se prononcer sur les discussions en cours.
Connaissance des Énergies consacre une semaine de publications à la révision de la PPE, en interrogeant quelques grands acteurs impliqués sur leurs constats et attentes. Aujourd’hui, la parole est à… Thierry Chapuis, délégué général de l’Association française du gaz (AFG).
Près de trois ans après l’adoption de la loi de transition énergétique, quel est aujourd’hui le rôle du gaz dans le mix énergétique français ?
La consommation française de gaz avoisine actuellement 480 TWh par an. Cette énergie compte pour près d’un cinquième de la consommation finale d’énergie. S’il ne s’agit pas de l’énergie principale, elle est très importante pour différents usages, notamment pour le chauffage dans le secteur résidentiel-tertiaire, dans certains milieux industriels, pour la production d’électricité et de plus en plus pour 3 filières : le biométhane et la mobilité au gaz des véhicules lourds et des navires.
Il y a 3 ans, nous poussions deux axes forts dans le cadre de la PPE : le biométhane et le GNV (gaz naturel pour véhicules) dans le transport routier, avec des objectifs qui paraissaient alors assez ambitieux. Ces secteurs connaissent aujourd’hui des dynamiques très fortes. Nous avons en particulier la quasi-certitude de respecter l’objectif de la loi de transition de consommer 10% de gaz renouvelable en 2030 alors qu’il semblait très difficile à atteindre en 2015. Certains opérateurs souhaitent aujourd’hui relever cette ambition mais les avis sont encore partagés.
Le nombre de sites de méthanisation progresse rapidement : il est aujourd’hui de 58 contre 44 fin 2017. Nous sommes passés d’un site installé tous les mois à un site tous les 15 jours et bientôt un toutes les semaines. Ce ne sont pas des raffineries ou des centrales nucléaires mais pas non plus des petits sites... La filière biométhane est ainsi très prometteuse mais il faut encore lui laisser du temps.
La mobilité au gaz concerne aujourd’hui en premier lieu les véhicules lourds, aussi bien pour le transport de marchandises que de passagers, avec un besoin d’autonomie assez important : les camions, les bus, les cars et autocars. Le financement des stations au GNV n’est plus un problème car les acteurs disposent désormais d’une demande suffisante. Une nouvelle station GNV est actuellement installée chaque semaine en France.
Une partie des véhicules roule au GNC (gaz naturel comprimé) et une autre au GNL (gaz naturel liquéfié). La dynamique est encore principalement liée aux flottes captives mais est également tirée par les grands corridors de déplacement européens, par exemple sur l’axe remontant d’Espagne, sur lequel une offre de GNL est disponible tant en Espagne qu’en France avec les terminaux méthaniers de Montoir-de-Bretagne, voire de Dunkerque.
Les navires vont également être de plus en plus propulsés à partir de GNL et nous souhaitons que la France soit au cœur de cette mutation. Le principal enjeu pour nous n’est pas la consommation de gaz du transport maritime mais la logistique et l’attractivité des ports français pour accueillir les futurs bateaux de croisière et de marchandises alimentés au GNL.
Nous disposons de vrais atouts avec nos 3 façades maritimes, des terminaux méthaniers, une logistique et un savoir-faire importants autour de la cryogénie du gaz, à l’image de GTT qui fabrique des membranes de méthaniers. Les ports français sont conscients que le GNL peut être un point d’attractivité fort. La concurrence est toutefois très rude en Europe. Il ne faut pas négliger l’influence d’énormes ports comme Rotterdam, Barcelone ou Gênes et aider Le Havre, Dunkerque ou Marseille à être à la hauteur.
Le gouvernement va-t-il faire, selon vous, du gaz naturel un acteur important de la transition énergétique ?
L’industrie du gaz est habituée à des signaux contrastés, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous avons d’une part reçu un soutien très fort pour les 3 filières citées précédemment. En matière de mobilité gaz, l’AFGNV (Association française du gaz naturel pour véhicules) a ainsi présenté à la demande du gouvernement un plan de développement du GNV dans le transport routier d’ici à 2030. Le plus ambitieux scénario envisage à cet horizon un réseau de 2 000 points d’avitaillement et 220 000 poids lourds circulant au gaz.
Il y a également eu des engagements assez forts au niveau du transport maritime et des prises de position très fortes du Premier ministre. Sur le biométhane, la task force pilotée par Sébastien Lecornu a constitué un autre signal fort.
Toutefois, il y a d’autre part des signaux plus inquiétants pour la filière, notamment dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Les objectifs de développement du gaz, y compris renouvelable, apparaissant dans la première version étaient très faibles, à tel point que la question de la pérennité de la filière gaz se pose. Les signaux sont plutôt positifs à l’horizon 2030, le gaz jouant un vrai rôle dans la transition énergétique sans pour autant prévoir de hausse de la consommation. À plus long terme, la question est encore posée…
Comment l’AFG est-elle concrètement impliquée dans la révision de la PPE et dans le débat public ?
L’AFG a participé à un ensemble d’ateliers et de débats d’acteurs organisés dans le cadre de la PPE et de la SNBC (stratégie nationale bas carbone). Depuis quelques mois, nous avons le sentiment que la SNBC prend davantage d’importance que la PPE.
Cela se justifie peut-être par la tenue du débat public spécifique à la PPE. Ce dernier nous semble satisfaisant en matière d’organisation, de concertation et de participation du grand public. Nous avons rédigé un cahier d’acteur(1), comme beaucoup d’autres organisations.
À notre avis, il manque toutefois une concertation sur les grands choix énergétiques structurants.
Ces grands choix ne sont-ils pas déjà fixés par la loi de transition énergétique ?
Sont-ils tous fixés par cette loi ? Si c’était le cas, il n’y aurait pas de PPE et de débat public. La PPE est organisée dans le cadre de la loi mais elle peut aussi la requestionner…
Quels sont les grands enjeux de la PPE et qu’attendez-vous de sa révision ?
Il faut conforter le développement ambitieux de nos axes prioritaires, le biométhane et le GNV, auxquels s’ajoute pour cette nouvelle PPE la problématique GNL du transport maritime.
Dans les bâtiments, nous sommes très favorables à toutes les mesures d’efficacité énergétique, c’est-à-dire de réduction de la consommation. Ces mesures ne doivent pas être confondues avec celles de réduction des émissions de CO2. La priorité est bien de réduire la consommation. Puis vient la problématique de décarbonation de ce que l’on consomme.
Dans les transports, le développement de la filière GNV nécessite un accompagnement financier, grâce notamment à deux mesures : un gel de l’écart fiscal entre le gaz et les carburants traditionnels permettant au gaz de conserver son avantage sur le gazole et un mécanisme de suramortissement des poids lourds. Ces mesures ont été validées dans le projet de loi de finances pour 2018(2) et doivent être confirmées le temps que la filière s’amorce.
Dans le transport maritime, une « plateforme GNL » regroupant ports et armateurs a été créée pour fédérer la filière. Nous travaillons sur des mesures permettant d’améliorer la compétitivité des ports, en disposant en particulier d’une offre d’avitaillement en GNL et de tarifs d’escale attractifs. Une solution GNL peut également être mise en œuvre pour la consommation d’électricité des navires à quai.
La commande publique doit montrer l’exemple pour lancer la filière. Il est nécessaire de se poser a minima la question de la propulsion GNL. Les conteneurs arrivant dans les ports maritimes doivent également retrouver une infrastructure adaptée autour des fleuves, même si le transport fluvial sera probablement moins basé sur le GNL. Des renforcements de contrôle autour des émissions des navires doivent enfin permettre de récompenser les acteurs engagés dans cette dynamique.
Quels sont les atouts que peut faire valoir aujourd’hui la filière gaz dans le cadre de la transition énergétique ?
Le principal atout du gaz, qu’il soit fossile comme aujourd’hui ou renouvelable comme demain, est sa flexibilité et sa capacité à permettre de passer la pointe de la demande, en particulier en hiver. Son autre atout important est son prix pour le chauffage.
Dans les bâtiments, la part du gaz vis-à-vis de l’électricité va toutefois baisser car la consommation d’énergie liée au chauffage va diminuer et il restera par ailleurs une consommation d’électricité spécifique pour d’autres usages que le chauffage.
Dans le secteur électrique, la France compte aujourd’hui 11 centrales à gaz. Leur consommation de gaz avait atteint 8 TWh thermiques en 2014, puis 16 TWh en 2015. L’AFG avait alors estimé à 20 TWh par an la demande future de ces centrales. Cette prévision avait suscité de nombreux débats, certains estimant qu’elle était trop élevée. La consommation de gaz des centrales a finalement atteint 46 TWh en 2016 et 55 TWh en 2017… Cette hausse témoigne de la flexibilité offerte par ces centrales.
Le gaz naturel a compté pour 7,7% de la production électrique en 2017, avec une forte progression de sa contribution depuis 2 ans. Comment envisagez-vous l’évolution de ce parc ?
Nous n’envisageons pas de construction de nouvelle centrale à gaz, conformément aux scénarios de la PPE.
Si nos centrales fonctionnent 1 000 heures par an, la consommation de gaz associée avoisinera 10 TWh par an. Si elles produisent de l’électricité 6 000 heures par an, cette consommation pourrait atteindre 80 TWh par an.
La consommation future de gaz à des fins de production électrique pourrait ainsi être comprise entre 10 et 80 TWh par an, en fonction des appels de puissance sur le réseau électrique. Nos prévisions de consommation de gaz ne sont toutefois globalement pas fortement orientées à la hausse, compte tenu des mesures d’efficacité énergétique.
Avez-vous identifié de bonnes pratiques à l’étranger dont la France pourrait s’inspirer ?
L’expérience de l’Allemagne est intéressante en matière de production de biogaz. Le pays a sauvé son agriculture avec cette filière mais cultiver du maïs pour le mettre dans un méthaniseur nous semble absurde. Le choix français, plus compliqué, de ne pas y consacrer une agriculture dédiée mais des cultures intermédiaires ou des résidus nous semble préférable. Les intrants dans les méthaniseurs sont plus variés et nécessitent des process plus techniques et longs à mettre en œuvre. Cela explique pourquoi notre industrie décolle seulement aujourd’hui, plusieurs années après l’Allemagne. Sur la partie process, le modèle industriel allemand est intéressant et il faut s’en inspirer.
Rappelons par ailleurs qu’il faut travailler à une harmonisation européenne, pas totale mais au moins sur certains sujets, en particulier sur les objectifs de long terme et sur le prix du carbone. Il ne faut pas avoir en France un prix du carbone trop éloigné des prix en Europe ou dans le monde, ce qui ferait peser un risque important de délocalisation d’une partie de notre industrie.