La future place du nucléaire dans le mix électrique français fait l’objet de nombreux débats, y compris au sein du CESE. Ici, la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. (©EDF-Guillaume Souvant)
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté le 20 février un avis(1) sur l’article 1er du projet de loi relatif à l’énergie que prépare actuellement le gouvernement. Il y fait part de ses commentaires et préconisations sur 4 grands objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 qui pourraient être modifiés avec le nouveau texte législatif.
Préciser l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Dans la loi de transition énergétique de 2015, il est fixé comme objectif de diviser par 4 les émissions françaises de gaz à effet de serre en 2050 par rapport au niveau de 1990 (« facteur 4 »). Le nouveau projet de loi du gouvernement prévoit de remplacer cette cible par un objectif de « neutralité carbone » (équilibre entre les volumes de gaz à effet de serre émis et capturés)(2) à l’horizon 2050.
Les contours de la « neutralité carbone » à atteindre restant flous, le CESE appelle à reprendre explicitement l’objectif de la SNBC (stratégie nationale bas carbone) dans le nouveau texte de loi, à savoir une réduction de 83% des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2050.
L’objectif de neutralité carbone implique dans le même temps de « doubler les capacités de stockage du carbone dans les sols et les forêts » selon le CESE, ce qui implique « d’associer étroitement le monde agricole et forestier ». L’assemblée consultative met à ce propos en garde sur les risques de surestimer les capacités de stockage du carbone, en rappelant que la faisabilité technique, le coût et l’acceptabilité des techniques dites « CCS » (Carbon Capture and storage) ne sont par ailleurs « pas clairement établis ».
Le CESE note que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France sur la période 2015-2018 n’ont pas été atteints et rappelle que c’est l’empreinte carbone totale des Français (incluant les émissions liées à la production de biens et services importés) qui doit être considérée pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique : « il ne serait rendu aucun service au climat mondial » si l’objectif de neutralité carbone passe par « des délocalisations d’activités, notamment industrielles, supplémentaires et une montée des importations correspondantes ».
Maintenir l’objectif de baisse de la consommation d’énergie à l’horizon 2030
La loi de transition énergétique de 2015 prévoit de réduire de 20% la consommation française d’énergie finale à l’horizon 2030 et de moitié d’ici à 2050 (par rapport au niveau de 2012). Un « important retard » a déjà été pris depuis 2015 en matière d’efficacité et de sobriété énergétiques et le gouvernement souhaite, dans le nouveau projet de loi, limiter à 17% cet objectif de réduction de la consommation d’énergie finale à l’horizon 2030.
Le CESE préconise de maintenir l’objectif de 20% de baisse de la consommation à l’horizon 2030. Il souligne en outre le fait, qu’en vue de diviser par 2 cette consommation d’ici à 2050, toute baisse de l’objectif intermédiaire « implique d’imposer au pays un effort supplémentaire dans ce domaine sur la période 2030-2050 ».
Renforcer l’objectif de baisse des consommations d’énergies fossiles d'ici à 2030
Le nouveau projet de loi du gouvernement prévoit de réduire de 40% les consommations d’énergies fossiles en France d’ici à 2030 par rapport à 2012, au lieu de l’objectif de baisse de 30% inscrit dans la loi de transition de 2015.
Le CESE « se félicite » de cette nouvelle cible plus ambitieuse mais souligne que les objectifs dans ce domaine n’ont pas été tenus durant la période 2015-2018. Il appelle donc à suivre « beaucoup plus régulièrement » l’évolution des consommations, en mettant en œuvre si besoin des mesures supplémentaires.
La contribution climat-énergie ou « taxe carbone », dont la hausse a été gelée en 2019 dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », a un rôle important à jouer dans l’atteinte de l’objectif de baisse des consommations d’énergies fossiles, affirme le CESE. L’assemblée recommande ainsi au gouvernement de présenter « rapidement une nouvelle trajectoire de cette contribution », à l’issue du Grand débat en cours(3).
Les impacts sociaux et économiques liés aux fermetures de centrales à charbon (ou leur « mutation » vers des solutions décarbonées) et aux baisses potentielles d’activité des secteurs pétrolier et pétrochimique doivent faire l’objet d’un accompagnement du gouvernement, souligne le CESE. L’instance appelle par ailleurs, dans le domaine des transports, à encourager un « changement profond des comportements » : développement des transports collectifs, des mobilités dites « actives » (vélo et marche à pied), du covoiturage, du télétravail, des services publics de proximité, etc.
« Dissensus » autour de l’objectif de 50% de nucléaire en 2035
La loi de transition énergétique de 2015 a fixé pour objectif de limiter à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française en 2025, une cible abandonnée fin 2017 par le gouvernement. Le nouveau projet de loi prévoit d'atteindre les « 50% » à l'horizon 2035 (en 2018, le nucléaire a compté pour 71,7% de la production électrique en France métropolitaine).
Sur ce point, le CESE fait état d’un « dissensus » en son sein, « reflet des divergences d’opinions existant au sein de la société ». L’avis de l'assemblée consultative constate toutefois que la nouvelle cible de 2035 « ne règle en rien la question de l’avenir de cette filière et de sa place future dans le mix énergétique français ». Le CESE appelle donc à « trancher ce débat au cours de la législative actuelle », en prenant compte des travaux réalisés par le comité stratégique de la filière nucléaire(4).
Le CESE appelle par ailleurs à « veiller à ce que les capacités (électriques) en place ne conduisent pas à freiner les actions en matière de la maîtrise de la demande », l’efficacité et la sobriété énergétiques restant les priorités de la transition énergétique(5).
Saisie par le gouvernement sur l’article 1er du nouveau projet de loi – avec « un délai excessivement court », déplore le CESE – l’assemblée consultative exprime également dans son avis des remarques sur l’article 2 du texte législatif qui prévoit la création d’un Haut conseil pour le climat auprès du Premier ministre. Le CESE affirme que « la priorité devrait être donnée à une meilleure coordination des instances existantes » afin de mieux gérer la gouvernance de la transition énergétique.