Plénière de clôture à la COP29 (flickr-COP29)
La COP29 s'est terminée à Bakou tôt dimanche matin, avec un accord mais beaucoup de frustrations. Nous avons interrogé Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l'Ifri sur ce résultat et sur les perspectives des négociations climatiques.
Quel est votre sentiment général à l'issue de cette COP29 ?
Il n'y a pas eu de surprise, ni dans un sens, ni dans l'autre. La COP29 était une COP de transition entre deux étapes importantes : les COP de Glasgow/Dubaï et celle de Belém l'an prochain avec un enjeu de renforcement des contributions déterminées au niveau national.
Il n'y avait pas de grosses attentes de sursaut dans la gouvernance compte tenu des fragmentations mondiales et il n'y a pas eu de « catastrophe » puisqu'un accord a été trouvé à Bakou. Cette COP a eu lieu à la suite d'autres grands événements de gouvernance des biens communs mondiaux comme le sommet du G20 ou la COP16 biodiversité qui ont reflété l'état du monde : nous sommes confrontés à un recul des ambitions, les pays sont absorbés par d'autres sujets et l'on assiste par conséquent à un affaiblissement de la volonté d'avancer, ainsi que des pays moteurs.
Le Premier ministre indien Narendra Modi avait dit à Vladimir Poutine en 2022 que ce n'était pas le moment de faire la guerre. Il est impossible d'avoir en même temps des dépenses militaires qui atteignent des records et de s'occuper des biens publics mondiaux.
Trois autres remarques : l'Arabie saoudite a, tout comme à la COP28, fortement pesé sur la Conférence, et pas dans le sens voulu par les pays européens. On peut d'ailleurs imaginer une alliance entre ce pays et les États-Unis de Trump, au cas où il maintient les États-Unis dans le système...
Il y a par ailleurs une grande frustration des pays qui seront les principales victimes du changement climatique et pour qui les moyens mis à disposition sont insuffisants. Mais il faut rappeler les limites, du côté des pays du Nord d'abord, notamment des pays européens accaparés par la guerre en Ukraine, et du côté de certains pays du Sud marqués par la corruption et une gouvernance insuffisante. Enfin, la position de la Chine, leader du G77, est de plus en plus contestable en tant que premier émetteur mondial de gaz à effet de serre tandis que l'Europe, du fait de sa désindustrialisation, est en train de devenir un très bon élève.
Y a-t-il des signaux favorables à retenir de cette COP ?
La mise en avant des réseaux et des moyens de flexibilité pour espérer un triplement des capacités renouvelables d'ici 2030, l'importance donnée aux moyens de cuisson propre vont dans le bon sens. La gouvernance pour les marchés volontaires du carbone (article 6 de l'Accord de Paris) est aussi remise en selle. Sur les émissions fugitives de méthane, quelques grandes entreprises européennes sont à la pointe du sujet et fournissent un effort de longue haleine. On peut également noter quelques autres avancées, par exemple sur la certification de l'hydrogène bas carbone.
En revanche, on peut regretter une vraie reculade en ce qui concerne le langage sur le charbon et les autres énergies fossiles. Se développe actuellement un grand flou. Quand on fera le constat que la cible des « 1,5°C » est hors d'atteinte, quelles seront les conséquences ? Les efforts d'atténuation devront se poursuivre à tout prix pour éviter le pire.
Était-ce une erreur d'organiser cette COP29 en Azerbaïdjan ?
Je ne pense pas. Ce n'est pas le premier pays pétroliers à organiser une COP et le pétrole reste la première source d'énergie consommée dans le monde. Les dérapages de la présidence azérie, notamment contre la France, étaient inappropriées. Mais elle a su obtenir un texte final et éviter un délitement complet avant la COP de Belém.
Le processus des COP est-il toujours adapté à la lutte contre le changement climatique ?
Le processus des COP reste indispensable, nous n'avons rien d'autre. C'est là où négocient l'ensemble des représentants du monde entier. Des habitudes se sont mises en place, les négociateurs se connaissent entre eux et connaissent les lignes rouges de chaque Partie. Cette dynamique doit perdurer.
Les COP permettent au monde entier de se retrouver quelques jours par an, avec les entreprises, les ONG... Des points peuvent bien sûr être discutés comme le mode de désignation des pays ou le caractère volontaire des décisions mais les modifier risquerait d'affecter le processus. Ce moment reste absolument crucial.
Malheureusement, la majorité des émissions dans le monde résultent d'entreprises, qui dans un contexte de fragmentation des volontés, de doutes sur la capacité des États à agir, d'incertitudes réglementaires, pourraient être tentées de repousser les investissements pour des vraies transformations structurelles. Ce qui risquerait in fine de nous faire louper le cap des « 2°C ».
Quel va être l'impact de l'élection de Donald Trump ?
L'élection de Donald Trump aura un impact sur les financements et la capacité à atteindre les 300 milliards de dollars par an annoncés d'ici à 2035, même si ce montant est inférieur aux 1 200 milliards demandés par les pays du Sud ou les 2 000 à 3 000 milliards dont on aurait besoin tous les ans.
Côté américain, il n'y a plus de personnalité forte comme John Kerry. Une question en suspens reste la coordination entre la Chine et les États-Unis. Cette coordination avait été mise en place par Obama et Xi Jinping qui s'étaient mis d'accord sur la faisabilité d'objectifs et ont permis d'aboutir à l'Accord de Paris.
Quand cette coordination flanche, surgissent des incertitudes sur les textes finaux des COP. Et la poursuite de cette coordination est très incertaine : sur les émissions fugitives de méthane par exemple, la priorité de Trump n'est évidemment pas de lutter contre mais de réduire, voire de mettre fin aux outils visant à cibler ces émissions comme l'EPA (Environmental Protection Agency) dont l'avenir est compromis.
Quelles sont les avancées possibles d'ici la COP30 à Belém ?
D'ici la COP30, il y a bien sûr la réunion technique de négociations pré-COP à Bonn en juin prochain. Mais c'est surtout la Conférence Océans des Nations unies, qui se tiendra aussi en juin 2025 à Nice, qui donnera l'occasion de rattraper l'absence d'avancée à la COP biodiversité d'octobre 2024 en Colombie et de sanctuariser des décisions qui permettront aux océans de jouer leur rôle de régulateur du climat. Il y a de nombreux points très compliqués, notamment sur la pêche, le transport maritime ou sur les ressources fiscales, mais le résultat de cette Conférence augurera de la COP à Belém, qui sera précédée du sommet du G20 organisé par l'Afrique du Sud.
Le Brésil a une relation très privilégiée avec la Chine mais Lula et Trump ne font pas bon ménage. Lors du sommet du G20 de Rio en novembre, la Présidence brésilienne n'a pas réussi à jeter des ponts comme on pouvait l'attendre. Ce pays est pris dans ses propres contradictions, disposant d'un immense potentiel pétrolier avec toutefois un mix électrique très bas carbone. En matière d'agriculture, le pays a la volonté de lutter contre la déforestation mais a aussi un immense potentiel de développement agricole, avec un vif intérêt de la Chine.
Plus généralement, si le monde continue à se surarmer, si les guerres se poursuivent et si d'autres émergent, nous n'y arriverons pas. Un cercle vicieux d'instabilité et d'insécurité se mettra alors inévitablement en place.